32 | 0123 SAMEDI 15 FÉVRIER 2020
0123
L
a fréquentation des salles
de cinéma a atteint des
records en 2019, grâce,
surtout, aux films améri
cains, mais la cérémonie des Cé
sars, qui aura lieu le 28 février, ac
cumule les critiques depuis des
mois, au point de se demander si
la fête ne court pas au désastre.
Très peu de films de femmes
nommés, omniprésence de Ro
man Polanski avec douze nomi
nations pour J’accuse, reproches
de réalisateurs ou de produc
teurs, tribune assassine de 400 fi
gures du cinéma contre l’opacité
des instances qui régissent les Cé
sars et la sélection des œuvres...
Durant cette crise, le président de
la manifestation, le producteur
Alain Terzian, 70 ans, plus à l’aise
avec la cooptation pour former
son entourage qu’avec la parité,
est sur la défensive. Sa position
était intenable. Dans la soirée du
13 février, il a démissionné, et son
conseil d’administration avec lui.
Ce coup de théâtre soulève un
peu plus une question : l’autocé
lébration d’une profession, qui af
fichera une unité de façade Salle
Pleyel, et sa fraternisation avec le
public par le biais du petit écran,
n’estelle pas artificielle? Les fans
de films à grand spectacle ne s’y
retrouvent pas, tout comme diffé
rentes communautés du cinéma
qui, à l’image de la société, sont
fragmentées. Du reste, les audien
ces des Oscars 2020, le 9 février, à
Hollywood, et des Césars de 2019
furent les pires de leur histoire.
Pas sûr que le millésime 2020 de
la fête française redresse la barre,
à moins que le public soit alléché
par le déchirement en direct de la
famille cinéma, un peu comme
dans le film Festen.
Une révolution de l’intérieur
On souhaite du courage à Flo
rence Foresti, la maîtresse de cé
rémonie, à celles et à ceux qui
pourraient remettre un prix à
Polanski (viendratil ?), aux ca
méras de Canal+ qui devront jon
gler entre l’équipe de J’accuse,
l’actrice Adèle Haenel (figure de
la lutte contre le harcèlement
sexuel) et des associations fémi
nistes, qui, dans Le Parisien du
12 février, ont appelé à venir ma
nifester à Pleyel sous la bannière
« Si violer est un art, donnez à Po
lanski tous les Césars! »
La rébellion des 400 signataires
de la tribune, publiée dans Le
Monde du 12 février, est devenue
révolution de l’intérieur, tant ils
sont nombreux, souvent célèbres
et font partie des 4 680 membres
de l’Académie des Césars. Leurs
doléances croisent plusieurs su
jets – Mathieu Amalric l’a signée
tout en étant proche de Polanski
et acteur dans J’accuse. Mais c’est
bien la question féministe qui do
mine ce charivari. Car si les fron
deurs sortent du bois aujourd’hui,
et pas hier, c’est d’abord parce qu’il
y a seulement 35 % de femmes
parmi les votants aux Césars. Sans
oublier un incident déclencheur :
l’académie a refusé que l’écrivaine
Virginie Despentes et la cinéaste
Claire Denis soient les marraines
de jeunes acteurs lors d’un dîner
préfigurant la cérémonie.
Quant à la présence de Polanski
aux Césars, difficile de la refuser à
partir du moment où le film a pu
sortir en salle, mais la question
aurait été moins brouillée si l’aca
démie était irréprochable sur la
parité des votants.
C’est encore le sexisme qui relie
les Césars et « Le Masque et la
Plume ». L’émission de France In
ter, diffusée le dimanche à
20 heures, est la plus ancienne de
l’antenne – elle date de 1955. Elle
met en scène des journalistes qui
s’accordent, s’opposent ou s’étri
pent à propos de films, livres ou
pièces de théâtre dans l’actualité,
sous l’arbitrage de Jérôme Garcin.
700 000 auditeurs. Un gros suc
cès. Dans un long article publié le
2 février sur le site Mediapart, Ma
rine Turchi, qui a écouté 96 « Mas
que », surtout récents, a collecté
non les perles, mais les propos
sexistes et misogynes, parfois ho
mophobes, des intervenants. Des
auditeurs se sont plaints. Jérôme
Garcin a reconnu des erreurs.
Mais pourquoi eston bien plus
choqué par ce qu’on lit dans Me
diapart que par ce que l’on entend
à l’antenne? Question de con
texte. Les mots de la discorde sont
concentrés dans Mediapart, di
lués à l’écoute. Des émissions en
tières ne posent pas vraiment
problème. Le problème concerne
beaucoup le cinéma, et Eric Neu
hoff en particulier, critique du Fi
garo qui semble apprécier son
costume de misogyne. Et puis les
mots lus font oublier que l’émis
sion est un spectacle, diffusé dans
les conditions du direct et face à
un public, qui a la parole aussi, et
parfois la dent dure contre les
journalistes. C’est un théâtre
friand de joutes, où chacun joue
et surjoue. Il faut être rapide, avoir
le sens de la repartie. Le succès
vient de là, les dérapages aussi.
Il arrive, par exemple, que des
critiques réduisent les actrices à
leur physique – moins les acteurs.
Mais comment ne pas voir que
nombre de films, d’hier et
d’aujourd’hui, de tous pays, usent
à leur façon du même registre,
montrent des corps magnifiques,
provoquent le désir chez le specta
teur, avant que des médias n’en
fassent la promotion avec la com
plicité des modèles? Le « Mas
que » dit tout cela à sa façon. Il
échappe aux formules convenues,
contrôlées et promotionnelles,
qui dominent le monde culturel.
Il est paradoxal d’attaquer l’une
des rares émissions qui criti
quent des œuvres, tout en parve
nant à faire aller au cinéma ou
acheter des livres. Surtout au mo
ment où la critique culturelle est
fragilisée par Internet, des blogs,
platesformes, réseaux sociaux,
« influenceurs », souvent dopés
par des algorithmes qui canton
nent le public dans sa zone de
confort. On peut comparer « Le
Masque et la Plume » avec « La
Dispute », sur France Culture, qui
traite très bien de l’actualité des
arts, du théâtre ou de la musique,
mais dans un climat plus intellec
tuel et policé, et dont l’audience
est six fois moindre.
Il y a un reproche à faire au
« Masque » et il est tout autre. Les
films et livres soumis aux criti
ques pourraient être plus aventu
reux. Sinon, que des intervenants
fassent un peu attention mais
sans obéir à un quelconque tribu
nal du peuple. Chacun est libre de
les écouter ou pas. Et assez grand
pour se faire son opinion.
Q
uand Emmanuel Macron, lors de
sa campagne présidentielle de
2017, avait jugé possible d’attein
dre un taux de chômage de 7 % en
fin de quinquennat, l’objectif avait suscité
beaucoup d’incrédulité. Les Français
avaient encore en tête l’incapacité de son
prédécesseur à « inverser la courbe » du chô
mage, comme ce dernier s’y était engagé.
Les chiffres de l’emploi, publiés par l’Insee,
jeudi 13 février, montrent que la trajectoire
fixée par Emmanuel Macron est du do
maine du possible.
Le taux de chômage, en 2019, a chuté de
0,7 point pour tomber à 8,1 %. Pas de quoi
pavoiser, mais le nombre de chômeurs de
longue durée est passé, pour la première
fois depuis dix ans, sous la barre du mil
lion, tandis que le marché des cadres bat re
cord sur record.
D’aucuns diront que c’est un bol d’oxy
gène pour un gouvernement empêtré dans
sa réforme des retraites. Il s’agit avant tout
d’une bonne nouvelle pour les Français.
Voilà douze ans qu’un tel chiffre n’avait pas
été atteint. Plus marquant encore : pas une
seule année depuis 1983, le taux de chô
mage de notre pays n’est retombé sous la
barre des 7 %, alors que la plupart des gran
des économies ont retrouvé le pleinem
ploi depuis plusieurs années déjà.
L’amélioration de la situation française
s’explique d’abord par la dynamique de
créations d’emplois. La tendance est
d’autant plus solide que, contrairement à
un passé récent, les emplois aidés ne sont
pas à l’origine de la décrue. Près de 90 % du
million de postes créés sur les cinq derniè
res années le sont dans le privé.
Lorsque le chômage augmente, le gouver
nement est systématiquement considéré
comme le principal responsable. Il est bien
légitime que, lorsqu’il baisse, l’exécutif
cherche à s’en attribuer les mérites. Mais
ceuxci doivent être partagés. Les réformes
engagées sous François Hollande avec l’al
légement du coût du travail pour les entre
prises et la réforme du code du travail, deux
axes poursuivis et amplifiés par Emmanuel
Macron, commencent à produire des effets.
Le regain d’attractivité de la France pour les
investisseurs étrangers, la montée en puis
sance de la réforme de l’apprentissage et de
la formation professionnelle sont égale
ment à même de soutenir la tendance.
Mais, audelà de ces mesures, deux fac
teurs puissants expliquent l’amélioration
du marché du travail. Le premier tient à la
démographie. Alors que, dans les années
2000, la population active augmentait de
200 000 à 300 000 personnes par an, elle a
aujourd’hui tendance à stagner, voire à di
minuer. Sans remettre en question les ef
forts du gouvernement, quand un pays a
moins de personnes à intégrer sur son
marché du travail, la diminution du taux
de chômage est mécaniquement facilitée.
Le second facteur est lié au ralentissement
des gains de productivité. L’économie fran
çaise continue de créer de l’emploi à un
rythme soutenu, même lorsque la crois
sance est tout juste supérieure à 1 %. Même
s’il faut se féliciter du fait que l’industrie re
commence à créer de l’emploi, l’essentiel de
la dynamique est soutenu par les emplois de
services, qui ont une faible productivité.
Ces deux paramètres devraient continuer
à jouer dans les mois à venir. C’est une op
portunité pour le gouvernement, qui doit
maintenant concentrer ses efforts pour
rendre le marché de l’emploi plus inclusif,
alors que le nombre de personnes sans acti
vité, mais qui, pour diverses raisons, ne
cherchent pas de travail, a explosé en
quinze ans. Derrière des chiffres encoura
geants, la fracture sociale demeure.
SI LES FRONDEURS
SORTENT DU BOIS,
C’EST D’ABORD PARCE
QU’IL Y A SEULEMENT
35 % DE FEMMES
PARMI LES VOTANTS
AUX CÉSARS
LA BONNE
NOUVELLE
Les Césars DE L’EMPLOI
et Le Masque
LE « MASQUE ET LA
PLUME », C’EST UN
THÉÂTRE, OÙ
CHACUN JOUE ET
SURJOUE. LE SUCCÈS
VIENT DE LÀ, LES
DÉRAPAGES AUSSI
Tirage du Monde daté vendredi 14 février : 174 653 exemplaires
CULTURE|CHRONIQUE
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