Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

finale européenne perdue contre
le Bayern : deux fois, les Verts avaient frappé
les montants qui auraient laissé passer
le  ballon s’ils avaient été ronds, disent les
mauvais perdants ; sur le premier de ces tirs,
Patrick Revelli avait manqué une reprise
de la tête, seul face au gardien... On
n’échappe pas à son passé.
Il est arrivé dans sa petite voiture – verte –,
sans conseiller ni communicant, loin du foot
business ou de la politique professionnelle.
Même silhouette un peu voûtée que lorsqu’il
filait tête baissée sur les pelouses, moustache
en avant, comme celle qui lui valait le surnom
de « Gaulois », il s’était présenté la veille aux
jeunes « gauchistes » qui l’interpellaient pour
rappeler qu’il était fils de mineur et avouer sans
fard le montant de sa retraite, « 2  900 euros ».
Une vie active commencée à 14 ans dans
un garage de Gardanne, un père socialiste et
un grand frère au PCF, une carrière de joueur
menée dans les peu bourgeoises Saint-
Étienne ou Sochaux (certes, achevée à
Cannes), le chômage après un emploi de
commercial chez Adidas (« dans la France
profonde »), les vacances au Grau-du-Roi...
À 68 ans, Patrick Revelli revendique les
valeurs de simplicité, de solidarité et de téna-
cité qu’il prête à la ville (« Je suis stéphanois
dans l’âme »). Il y fut adulé, surtout après le
quart de finale remporté en 1976 contre Kiev
(« Crochet intérieur, crochet extérieur, bonjour
monsieur, et le centre en retrait sur Rocheteau
et voilà! », s’extasiait Thierry Roland),
avant que l’équipe, vaincue en finale, défile sur
les Champs-Élysées devant une France qui
adorait les perdants. Puis il y fut conspué par
les supporteurs pour les mauvais résultats
des saisons d’après (« les gens ne se rendent
pas compte du mal qu’ils font... »). Le club
incarnait alors ce qui restait de l’âge d’or de
la cité ouvrière à un moment où les mines et
Manufrance commençaient à battre de l’aile,
quand Lavilliers, sur l’album Le Stéphanois
(1975), c h a nt a i t « les cheminées d’usine


hululent à la mort ». Ultime fierté d’une ville qui
perdit 50 0 00 habitants en trente-six ans (de
220 0 00 en 1975 à 170 0 00 en 2011). Patrick
Revelli s’y est engagé entre 2008 et 2014,
conseiller pour le sport de l’ancien maire
socialiste, mais aussi sur la liste du PS (en
position de non-éligible) pour les régionales
de 2010. « Je sais bien que je dénote. On me
prend pour un footballeur qui ne sait que taper
dans un ballon, mais cela n’a été que dix-sept
ans de ma vie », dit-il.
Tout cela n’est sans doute pas assez « nouveau
monde » pour une partie des macronistes
locaux qui ne voulaient pas de lui. Lorsque
les instances parisiennes lui ont préféré l’ancien
footballeur, Magalie Viallon, candidate défaite
aux législatives 2017, a claqué la porte pour
rejoindre la liste Europe Écologie-Les Verts par
l’intermédiaire de CAP 21, le parti de Corinne
Lepage. Elle raille un homme « imposé par la
logique des clans », « pas à la hauteur », « âgé »,
« qui n’a même pas de compte Facebook » (ce
qui, au moins, améliore son bilan carbone...).
Autres « figures » locales de LRM, le député
Jean-Michel Mis ou l’ancien vallsiste Jean-Louis
Gagnaire ne débordent pas d’enthousiasme
pour celui qui se réclame de la société civile. Ils
reconnaissent même un « bilan pas mauvais »
à Gaël Perdriau, qu’ils avaient espéré un temps
« Macron- compatible », avant que le maire LR
choisisse de se réconcilier avec Wauquiez puis
d’épauler Christian Jacob à la vice- présidence
du parti. Quant au PRG, d’abord aux côtés de

Patrick Revelli, il a renoncé pour des questions
de places et annonce sa propre liste. Lorsqu’il
s’est lancé, l’ancien joueur a sollicité le soutien
de celui qu’il côtoyait en attaque, son aîné
Hervé, 73 ans, meilleur buteur de l’histoire
de l’ASSE. En vain. Compagnon de route de
la droite locale depuis plus de vingt ans
(il s’était présenté sans succès aux cantonales
de 2003), Hervé défend Gaël Perdriau comme
il l’avait fait en 2014, avant de mettre, un
temps, sa notoriété et son carnet d’adresses
au service des demandeurs d’emploi de la
ville. « Je voyais la misère chaque jour, menta-
lement, c’était fatigant », dit-il. Après la mort
d’un fils, en 2017, son épouse et lui se sont
exilés à Lyon, la rivale de Saint-Étienne. Hervé
reçoit au P’tit Vert, le bar- restaurant que tient
son autre garçon, où il nous annonce que son
couple est sur le point de « rentrer ». Hervé
sera du comité de soutien au maire qui, vu
l’opposition dispersée façon puzzle (cinq
listes, des multiples vestes retournées, sans
compter le RN), peut espérer être reconduit.
La ville change, la construction d’un nouveau
quartier d’affaires, décidée en 2007 autour
de la gare TGV de Châteaucreux, affiche des
ambitions tertiaires, la population est repartie
à la hausse depuis cinq ans... L’ancien avant-
centre défend la troisième ligne de tram, dont
Patrick critique le tracé et le coût. Hervé a
tenu plusieurs boutiques avec sa femme
– parfumerie, prêt-à-porter – au cœur de
la ville. Il conteste la « dévitalisation » que
déplore son cadet et que renforcerait l’ouver-
ture prochaine d’un grand centre commercial
en périphérie. En cas de victoire, Hervé
pourrait travailler aux côtés de Gaël Perdriau
afin d’attirer de grands événements sportifs.
Mais, s’ils s’opposent, les deux frères par-
tagent cette reconnaissance pour la ville qui
leur a « tout donné », font l’éloge du travail et
des « ego laissés de côté au profit du collectif »,
du « respect de la parole donnée ». Ce sont
moins leurs alliances politiques que conju-
gales qui les ont éloignés et ils s’agacent tous
deux quand les gazettes réduisent leur enga-
gement à un « On refait le match » familial.
« Un engagement citoyen – je préfère ce mot
à “politique” – est plus sérieux que ça », lâche
Hervé, regard tranchant sous la crinière grise.
C’est aussi l’avis de Gaël Perdriau, pour qui
« ce serait réduire à peu de chose l’avenir de
la ville ». Ce qui ne l’empêche pas d’énumérer
ses « amis footballeurs », de l’ancien gardien
Jérémie Janot à Loïc Perrin, l’actuel capitaine
des Verts. À défaut du palmarès, ils ont la jeu-
nesse... Patrick Revelli, lui, cherche à boucler
sa liste avant le 27 janvier, la date limite. Il éla-
bore avec son équipe un programme très local
qu’il oppose à la gestion et aux « ambitions
nationales » du maire, note les idées qui
viennent à 4 heures du matin, « quand [il] ne
dor[t] plus et que ça tourne dans [s]a tête ».
Apparemment, l’angoisse du candidat à l’ap-
proche de l’élection vaut celle du gardien de
but au moment du penalty.

“Je sais bien que je dénote. On


me prend pour un footballeur


qui ne sait que taper dans


un ballon, mais cela n’a été


que dix-sept ans de ma vie.”


Patrick Revelli


Les frères Revelli
s’opposent en
politique dans
la ville qui leur
a « tout donné »
(ici, à la Fête
pour les Verts,
en mai 2016).

LA SEMAINE

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PhotoPQR/Le Progrès/MaxPPP
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