Le Monde - 15.02.2020

(Romina) #1

IL A DONNÉ RENDEZ-VOUS DANS LE SEUL BAR
DÉSERT du très animé triangle parisien Belleville-
République-Bastille. Le genre de rade qui traverse on
se demande comment les modes et les époques, dont
la décoration et le confort ne semblent pas être le
souci premier des propriétaires, mais où l’on peut
consommer un steak-frites ou un thé à la menthe à
toute heure. Il arrive en retard (il habite en face),
tignasse ébouriffée, veste bleue en velours côtelée
(il fait zéro degré) et lunettes de soleil (il n’y a pas de
soleil). Ici, il est accueilli par un simple « salut Vincent,
tu es à Paris en ce moment? », auquel il répond d’un
tout aussi simple « ouais, ouais ». Et il se marre, on ne
sait pas bien pourquoi. Vincent Lacoste apparaît tel
qu’à l’écran : dans son monde, gentiment déphasé,
décontracté. Un jeune homme poétique et flottant,
pudique et discret, à mi-chemin entre Gaston Lagaffe
et Melvil Poupaud.
Il aurait pourtant de quoi se la raconter, comme disent
ceux de son âge. À 26 ans, il a déjà une dizaine d’années
de cinéma et vingt-cinq longs-métrages à son palmarès,
des nominations aux Césars, six films projetés à Cannes.
Il trimballe sa moue et ses yeux rieurs d’un univers à
l’autre, cinéma grand public comme indépendant, casse
les frontières, réunissant tout à la fois le classicisme d’un
Pierre Niney, la farce d’un Max Boublil, le charme sombre
d’un Louis Garrel. Comme si le cinéma d’aujourd’hui
avait enfin trouvé son jeune premier, dans une époque
qui n’en a plus vraiment. Comme si, alors que les jeunes
générations réinventent les identités masculines et fémi-
nines, les bellâtres bravaches étaient devenus ringards à
l’écran. Et que le sourire en coin et l’œil rieur étaient
aujourd’hui gage de séduction.
« Il a quelque chose de Jean-Pierre Léaud, qui garde son
côté garçon tout en jouant des rôles d’hommes, dit de lui
la réalisatrice Justine Triet, qui, l’une des premières, l’a
fait sortir des personnages d’ado attardé dans Victoria
(2016). Il est en train de beaucoup changer, les gens s’in-
téressent à lui pour des choses diverses. »
Le 26 février, il sera à l’affiche de Mes jours de gloire,
réalisé par son grand copain Antoine de Bary, pour
lequel il incarne celui qu’il aurait pu être s’il ne connais-
sait pas une telle félicité : un acteur trentenaire qui n’a
rien fait après un premier succès, empêché et empêtré
dans une accumulation de problèmes familiaux, senti-
mentaux, financiers et professionnels qui le conduisent
à la dépression. Un de ces rôles dans lesquels il excelle,


un paumé funambule qui oscille entre le comique et le drame. On le verra
ensuite dans deux films d’époque, De nos frères blessés, d’Hélier Cisterne,
qui se déroule pendant la guerre d’Algérie, et une adaptation des Illusions
perdues, d’Honoré de Balzac, par Xavier Giannoli, Comédie humaine. Au
printemps, il tournera sous la direction de Katell Quillévéré.
Un enchaînement éclectique et audacieux qui n’étonne pas ceux qui le
connaissent et qui l’aiment (ce sont généralement les mêmes). « Vincent,
c’est un régal pour les réalisateurs, car il y a quelque chose de très malléable
chez lui, de très pur, poursuit Justine Triet. Il n’a presque pas de corps, il n’est
pas très genré, il a une acceptation absolue de sa part féminine. » « C’est un
acteur-né, estime la comédienne Emmanuelle Devos qui, avant Mes jours de
gloire, l’avait déjà eu comme partenaire à l’écran chez Riad Sattouf. Il est là,
il a une forme d’évidence, une présence incroyable face à la caméra, un spectre
de jeu très large. Il pourrait faire un film familial comme interpréter un serial
killer, c’est très rare. Il est attirant pour un metteur en scène, car on peut le
poser n’importe où, dans n’importe quel décor et n’importe quel costume. » En
même temps, il a réussi le tour de force de « faire le style d’un film, il le colore
d’une teinte particulière, on reconnaît la patte Lacoste », admire son ami le
comédien William Lebghil. « Il a une personnalité très forte. Que ce soit avec
moi, Justine Triet ou Christophe Honoré, il reste Vincent Lacoste », abonde
Thomas Lilti, qui l’a dirigé dans Hippocrate et Première année. Quand on lui
rapporte ce qui se dit de lui, il rit comme pour masquer sa gêne : « C’est cool,
je suis extrêmement heureux de ce qui m’arrive. »

ON


l’a découvert en Hervé des Beaux Gosses, le premier
long-métrage de Riad Sattouf (2009), film culte qui
lui apporte une notoriété immédiate au point que,
vingt-quatre films plus tard, on ne lui parle « que de
celui-là ». Il y incarne un ado doté d’une coupe de
cheveux improbable et de fringues importables,
mal dans sa peau et obsédé par sa quéquette. Dans
la vraie vie, il est alors à peine différent, assure-t-il.
« Au collège, je ne savais pas me battre, j’étais un peu un loser. Je ne savais pas
quoi foutre de ma vie. J’avais des boutons. J’étais focalisé sur le présent : avoir
de bonnes notes et sortir avec une fille. » Le deuxième point s’avérant beau-
coup plus compliqué que le premier. L’aventure démarre comme un joli scé-
nario. Il est en troisième au collège Stéphane-Mallarmé, dans le 17e arrondis-
sement de Paris, quand une directrice de casting distribue une annonce à la
cantine. Il la déchire. « Mon père est juriste, ma mère travaille pour le conseil
de l’ordre des médecins, il n’y avait aucun artiste dans la famille, on ne connais-
sait personne dans le milieu du cinéma, je ne me disais même pas que c’était
possible d’y travailler. »
Il est alors un gamin de la classe moyenne, passe ses vacances dans le Sud-
Ouest, chez ses grands-parents agriculteurs, où il a appris à plumer les
volailles et à chercher des cèpes, des étés au camping de Seignosse (Landes)
à s’essayer au bodyboard, une enfance joyeuse et tranquille. Pour lui, le
cinéma se passe devant la télévision familiale ou en salle. Il est fan de

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LE MAGAZINE

Maciek Pozoga pour M Le magazine du Monde.
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