Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13


E


lle est impossible à louper. Il
suffit d’emprunter la départe-
mentale 160, de parcourir
l’avenue des Sables et d’ouvrir grand
les yeux. La principale aire indus -
trielle des Herbiers (Vendée) se
trouve là, allongée sur les champs,
zone de milliers de mètres carrés de
tôles ondulées où se coudoient par-
kings XXL et palettes entassées. Vé-
ritable lieu-dit d’entreprises dont la
renommée n’est plus à faire : la Bou-
langère, Briand, Jeanneau, K-Line,
Euralis. Tout au long de la route, les
panneaux accrochés aux grillages
de leurs usines apostrophent les
passants. «Recrute mécanicien et
menuisier», «cherche tourneur-frai-
seur», «Forme et embauche métreur-
deviseur». Autant de signes d’une
économie locale en très bonne
santé. Aux Herbiers, commune de
16 000 habitants, le taux de chô-
mage avoisine les 5 %, soit la barre
emblématique du plein-emploi. Une
conjoncture connue et média tisée
en veux-tu en voilà depuis quelques
années : le moteur économique bat
à plein régime et la terre herbretaise
peut se pavaner d’être l’eldorado
vendéen. Tout sauf un mythe.

«TROP DE CURIEUX»
Katia Déon, responsable de l’une des
dix-huit agences (rien que ça !) d’in-
térim du centre-ville, en sait quelque
chose. «Chez nous, lorsqu’une per-
sonne frappe à la porte, on peut lui
trouver un boulot dans la journée.»
Elle précise : «Tout le monde ne
pourra pas trouver un poste dans le

relève que l’association herbretaise
voit désormais débarquer des SDF
munis de contrat de travail. Deux
semaines plus tôt, c’est un jeune de
23 ans, originaire du Nord, qui est
venu frapper à leur porte. «Il avait
signé un CDD dans une entreprise de
métallurgie, mais il dormait dans sa
voiture depuis huit jours. On s’est dé-
menés pour trouver une petite lo -
cation, mais la mission était im -
possible. Il a fini par démissionner
et rentrer chez ses parents.»
Katia Déon, la responsable de
l’agence d’intérim, rapporte un scé-
nario identique : «C’était l’été der-
nier. Quatre jeunes, venus de Nantes,
ont toqué chez nous à la recherche de
jobs dans l’agroalimentaire. Niveau
logement, ils faisaient du camping
sauvage en attendant de trouver
mieux. Mais aux Herbiers, le mieux
n’est jamais arrivé. Ils ont décampé
deux mois plus tard.» Les complica-
tions sont les suivantes : tous les
Herbretais ne peuvent se permettre
de déménager 30 kilomètres à la
ronde. Beaucoup sont employés au
smic par les fleurons de l’industrie
vendéenne et le prix de l’essence
reste toujours aussi haut. «On n’est
pas dans la Silicon Valley ici. Les
gens ne peuvent pas se permettre de
dépenser 200 euros mensuels rien
que pour leur trajet domicile-tra-
vail», analyse Julie Prodhomme, di-
rectrice d’hôtel sur la commune.

«FIER DE SON TERRITOIRE»
Jacques Fillon, patron de la Maison
de presse, ne dit pas autre chose :
«Ici, les gens ont des petits salaires.
Hormis les cadres qui bossent dans
les sièges sociaux des entreprises,
tous les autres travailleurs sont logés
à la même enseigne.» Lui-même
confie ne pas pouvoir offrir des sa-
laires mirobolants à ses employés.
«Quand je veux embaucher, si la po-
tentielle recrue vient d’ailleurs, j’ex-
plique d’abord et toujours la situa-
tion immobilière. Cela peut paraître
futile pour d’autres. Mais chez nous,
c’est essentiel de s’assurer que la per-
sonne pourra assumer une soixan-
taine de bornes d’essence par jour. Et
bien souvent, ça coince.»
Face à cette fragmentation sociale
dans l’espace urbain, la liste d’oppo-
sition menée par Julie Mariel-Go-
dard tente d’avertir sur les obliga-
tions municipales en matière de
logements sociaux. Interrogée sur
cette question, Véronique Besse
botte en touche : «Vous savez, c’est
difficile de vous donner un chiffre
précis, ce genre de donnée évolue
constamment.» Le répertoire des
logements locatifs des bailleurs so-
ciaux, publié en 2018 par le Com-
missariat au développement du -
rable, révèle (d’après nos calculs)
un pourcentage de 9 %. Soit moitié
moins que ce qu’exige la loi solida-
rité et renouvellement urbain (SRU).
«On est clairement mal lotis, mais
que voulez-vous, il n’y a aucune levée
de boucliers forte et collective contre
cette injustice, regrette Jacques
Fillon. L’Herbretais est trop fier
de son territoire, trop content de
faire partie de cette grande réussite
économique pour commencer la
révolution.» •

(1) Le prénom a été modifié.

Par
ANAÏS MORAN
Envoyée spéciale aux Herbiers
Photos THÉOPHILE
TROSSAT

que 9 % du parc immobilier, soit moitié moins que ce qu’exige la loi.


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secteur tertiaire, ça c’est sûr. Ce qui
fait tourner l’économie ici, ce sont les
machines. Les offres d’emplois ma-
nuels se comptent à la pelle !» Il suffit
de voir le nombre d’annonces dans
sa vitrine pour le croire.
Lorsqu’on évoque cette success-
story à un Herbretais, il y a toujours
un peu de fierté, mais très vite, l’en-
vers du décor est planté. En cette
veille de municipales, il faut parler
des contrariétés. De bavardages en
bavardages, un sujet fait l’objet
d’un assentiment général : la satu-
ration du parc immobilier. Au bar
du Quai 8, les habitués sont unani-
mes. «Je vais vous dire. A force de
faire la publicité de notre réussite,
on a attiré trop de curieux. Oui,
on a du boulot pour eux. Mais non,
pour l’heure, on n’a pas de quoi les
accueillir», résume Guillaume Bis-
leau, chef de vente
de 47 ans. Son ami
Benoît Gaudu-
cheau, respon -
sable d’équipe de
37 ans, acquiesce :
«Aujourd’hui, que
ce soit pour de la
location ou pour
de l’achat, chaque
bien qui se libère at-
tire toutes les convoiti-
ses. On croit rêver. On est
en pleine campagne et on a l’im-
pression de subir le même sort que
les habitants de Paris !»
De l’autre côté du comptoir, le
patron Steve Roy s’invite dans la
conversation : «C’est simple, le mar-
ché du travail a explosé et le marché
du logement, lui, n’a pas suivi.» Vrai,
répondent les agences immobi lières.
«On constatait depuis quelques an-
nées déjà le risque réel de satura-
tion», retrace Patricia (1), profession-

nelle du secteur. Selon elle, un phé-
nomène était particulièrement an-
nonciateur de l’avenir : «Le turn-over
locatif s’est progressivement ralenti.
Les Herbretais qui voulaient acheter
des maisons sont restés en location
faute d’offres. Et les Herbretais qui
voulaient louer sont restés sur le car-
reau.» Ces deux dernières années,
l’agence de Patricia a enregistré


  • 25 % de sorties locatives.


«CAMPING SAUVAGE»
La municipalité claironne qu’elle
prend le sujet à bras-le-corps. «La
moindre maison part très vite, j’en ai
bien conscience», affirme Véronique
Besse, maire élue sous l’étiquette
villiériste du MPF (et candidate à sa
propre succession). «Mais dire qu’on
ne fait rien pour arranger les choses
est absolument faux.» La preuve, dit-
elle, une cinquantaine de lots
viennent de sortir de
terre dans le nouveau
quartier de la Pépi-
nière, dans l’est de
la commune. Petit
hic : le projet tant
valoris é a été
amorcé sous l’an-
cien maire. «La poli-
tique actuelle du loge-
ment et de l’habitat n’est
clairement pas satisfai-
sante. Rien n’est fait pour endiguer
la rareté des biens et la flambée des
prix», rétorque Julie Mariel-Godard,
tête de la liste d’opposition (de gau-
che). «Cela doit être notre priorité
numéro 1. Au bout d’un moment, ce
n’est plus possible de voir nos habi-
tants s’échiner pour avoir un toit du-
rable au-dessus de leur tête.»
Les Herbretais ne sont pas du genre
à montrer du doigt, même en pleine
campagne électorale. A qui la faute?
«A la main invisible du marché !» en-
tendra-t-on un midi, au bar-café du
Barbatruc. Mais dans ce coin de bo-
cage, tout le monde y va volontiers
de son anecdote, plus ou moins alar-
mante, sur la difficulté de se loger.
Deux collègues menuisiers compa-
rent l’évolution des prix des loyers :
arrivé il y a sept ans aux Herbiers, le
plus ancien payait 500 euros men-
suels de loyer pour un 75 mètres car-
rés, somme versée actuellement par
le benjamin pour 45 mètres carrés.
Un pilier de l’équipe de football des
Herbiers (rappelez-vous de la finale
de Coupe de France face au PSG)
souligne la chance réservée aux
joueurs de se refiler les bons tuyaux
d’années en années.
Une enseignante explique qu’elle a
abandonné l’idée de vendre sa mai-
son par peur de ne jamais retrouver.
Un jeune apprenti commercial ra-
conte avoir trimé en septembre pour
obtenir une location qu’il va finale-
ment devoir quitter en mai. Son pro-
priétaire le met à la porte en avril,
pour ne pas louper la manne fruc-
tueuse des visiteurs du Puy du Fou,
situé à une dizaine de kilomètres
de là : «Chacun voit midi à sa porte.
Beaucoup de propriétaires préfèrent
louer six mois de l’année à des tou -
ristes que toute l’année à des tra-
vailleurs de la ville. En attendant, on
fait comment nous ?» Il y a aussi ce
bénévole de la Halte des errants,
lieu d’accueil destiné aux pauvres et
rattaché au Secours catholique, qui

15 km

La Roche-
su r -Yo n
VENDÉE

LOIRE
ATL. MAINE
ETLOIRE

CHARENTE
MARITIME

DEUXSÈVRES

Océan
Atlantique

Les Herbiers
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