Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 u 17


«C


était mon prof principal. Il était
très gentil.» Bastien (1) est venu,
samedi, comme d’autres élèves,
déposer un bouquet de fleurs sur la grille du
collège Jean-de-la-Fontaine à Crépy-en-Va-
lois. Dominique V., 60 ans, première victime
française du Covid-19, est décédé mercredi
26 février à l’hôpital parisien de la Pitié-Sal-
pêtrière. Derrière le portail de l’établisse-

ment, fermé pour les vacances scolaires, les
agents du département, vêtus de combinai-
sons blanches et porteurs de masques, pro-
cèdent à la désinfection des locaux. «Je ne
suis pas inquiète, assure la mère de Bastien.
J’étais moi-même souffrante. J’ai subi un dé-
pistage au centre hospitalier de Beauvais.
Test négatif. Tout va bien», sourit-elle. Pour
autant, une question demeure. Comment ce
professeur, qui n’avait voyagé dans aucune
des zones à risques a-t-il pu être infecté par
le coronavirus?

«Tests négatifs»
A quelques kilomètres de là, à Vaumoise,
commune où vivait l’enseignant, la question
reste entière. «On ne sait pas comment il a été

contaminé, ce pauvre homme, dit Annick,
une riveraine de 76 ans. Il était plutôt discret.
Certes, il était conseiller municipal et il fai-
sait du tir à l’arc mais on le voyait peu.» Les
autres membres du conseil municipal ne
présentent «aucun symptôme», assure Gilles
Petitbon, maire de Vaumoise. «C’est vrai
qu’on ne sait pas comment il a été contaminé.
C’est aux scientifiques de le déterminer.»
L’épouse et la fille de l’enseignant, elles-mê-
mes un temps confinées à la Pitié-Salpê-
trière, ont pu regagner leur domicile ce
week-end. «Leurs tests étaient négatifs», sou-
ligne le maire. Un ami très proche de Domi-
nique V. a également été mis à l’isolement
quelques jours. Là encore, aucune contami-
nation. Depuis, les autorités sont parties à
la recherche du patient zéro, celui qui aurait
contaminé le professeur. D’autant qu’un au-
tre cas est apparu non loin de là dans la ville
de Creil. Et plus particulièrement sur la base
militaire aérienne, la BA 110. Là encore, un
civil de l’administration qui n’avait pas
voyagé. Mais ici, le secret-défense prime.
Sous couvert d’anonymat, un militaire af-
firme : «Nous n’avons pas reçu d’instruction
particulière. On nous a juste dit qu’il ne fal-
lait plus se serrer la main, ni se faire la bise
et se laver régulièrement les mains.»

«Enquête pasteurienne»
Un temps soigné au centre hospitalier de
Creil, le militaire de 55 ans a depuis été trans-
féré au centre hospitalier universitaire
d’Amiens dans un état grave. A l’hôpital de
Creil, le personnel du service de réanimation
qui s’est occupé de lui a finalement été con-
finé à domicile. Et le service de réanimation
fermé. «Rechercher le patient zéro est l’en-
quête pasteurienne classique, explique Fran-
çois Buton, chercheur au CNRS. Les épidé-
miologistes remontent la chaîne de
contamination. Quels sont les lieux où s’est
rendu le patient contaminé? Avec qui a-t-il
été en contact? L’itinéraire est reconstitué.
Cette technique est vieille comme les épidé-
mies. En l’état, il peut très bien y avoir plu-
sieurs patients zéros.» D’autant que l’ensei-
gnant et le militaire ne se connaissaient pas.
«Ces patients ont pu être contaminés autre-
ment que par une transmission directe, rap-
pelle Anne-Marie Moulin, chercheuse au
CNRS. La climatisation annihile les distances
et peut transmettre les germes. Nous l’avons
constaté avec la légionellose.» Mais depuis
vendredi, d’autres cas ont été diagnostiqués
parmi le personnel de la base militaire. Trois
militaires et deux autres civils de l’adminis-
tration. «Le patient zéro, il est là en réalité,
souligne Paul Cesbron du Comité de défense
des hôpitaux de Creil et Senlis et ex-chef du
service gynécologique à Creil. Depuis le dé-
but, je trouve très curieux que les autorités ne
mentionnent pas le fait que des militaires de
la base aérienne de Creil ont procédé au rapa-
triement de Français depuis la Chine. Les ra-
patriés ont été placés à l’isolement. Pas les mi-
litaires. Il est temps de l’évoquer. Nous
sommes face à une épidémie.»
L’enseignant de Vaumoise aurait été en
contact avec une connaissance de la BA 110.
Depuis, l’Oise, qui constitue le foyer principal
de l’épidémie en France, a enregistré 36 cas.
Ce lundi, 102 établissements scolaires sont
fermés pour la rentrée dans huit communes
du département. La préfecture a annulé tous
les rassemblements collectifs jusqu’à nouvel
ordre et invite les habitants à limiter leurs dé-
placements. «Nous passons au stade 2 sur 3,
a déclaré le ministre de la Santé, Olivier Vé-
ran. Le virus circule sur notre territoire. Nous
devons freiner sa diffusion.»
VALÉRIE AURIBAULT
(dans l’Oise)

(1) Le prénom a été modifié.

A l’hôpital de Tours,
vendredi. PHOTO
PASCAL MONTAGNE.
HANS LUCAS

Dans l’Oise, la quête


d’un patient zéro en


zone secret-défense


Foyer de l’épidémie en France,
le département picard fait
l’objet de plusieurs enquêtes
pour déterminer, notamment,
si la base militaire de Creil est
la source des contaminations.

LES FAITS DU WEEK-END


nLe nombre de cas de coronavirus
s’élevait dimanche en fin d’après-midi
à 88 257, dont 2 996 morts, dans 66 pays
et territoires.
nLa Chine (hors Hongkong et Macao),
où l’épidémie s’est déclarée
en décembre, comptait 79 824 cas,
dont 2 870 morts.
nL’Hexagone, avec 130 cas recensés,
est devenu l’un des principaux foyers
du coronavirus en Europe avec l’Italie
et l’Allemagne.
nSamedi, le ministre de la Santé,
Olivier Véran, a demandé l’annulation de
«tous les rassemblements de plus
de 5 000 personnes en milieu confiné»
.
Conséquences : le Salon de l’agriculture
a été écourté (fermé samedi) et
le semi-marathon de Paris reporté.
nLe musée du Louvre est resté fermé
dimanche en raison d’un droit de retrait
voté par le personnel inquiet.
nOutre-mer, trois cas ont été confirmés
à la Guadeloupe. A la Réunion
et en Martinique, des heurts ont
opposé la police à des manifestants
qui craignent de voir débarquer
sur leur île des malades du Covid-19.

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