Libération - 02.03.2020

(avery) #1
le franchissement d’une nouvelle
étape de l’épidémie.

Risque d’embolie. En haut lieu,
l’heure est au branle-bas de com-
bat. Dimanche, la Direction géné-
rale de la santé a examiné la série
de recommandations discutées la
veille au siège de l’AP-HP par des
infectiologues et des représenta-
tions des agences régionales de
santé. Dans les zones en phase 3, les
enquêtes de contact tracing (identi-
fication et isolement des malades
et remontée des chaînes de trans-
mission) conduites pour limiter la
propagation du virus perdent toute
pertinence. On se prépare désor-
mais à «gérer» la crise. Et d’abord
en adaptant le schéma organisa-
tionnel de prise en charge des pa-
tients. Principal enjeu : éviter un
surcroît de mortalité, chez les per-
sonnes les plus vulnérables au Co-
vid-19, mais aussi chez les patients
souffrant de pathologies autres que
le coronavirus mais dont la prise en
charge hospitalière pourrait du
coup être compromise. Car les pra-
ticiens le savent : confronté à un
sous-effectif chronique de tra-
vailleurs paramédicaux et de mé-
decins, et actuellement mobilisé
sur l’épidémie de grippe saison-
nière, l’hôpital public n’est pas en
mesure d’absorber une hausse non
maîtrisée de malades du coronavi-
rus sans risque d’ «effets collaté-
raux». L’actuel confinement de soi-
gnants en contact avec des malades
avérés, comme à Creil, à Compiè-
gne ou à Tenon, augmente encore
le risque d’embolie du système.
Les autorités cherchent la parade.
Des unités hospitalières spéciali-
sées dans les infections respiratoi-
res aiguës, géographiquement iso-
lées des urgences, devraient voir le
jour dans la semaine pour accueillir
et évaluer les cas suspects puis déci-
der de leur hospitalisation ou non,
en fonction de la gravité de leurs
symptômes. Mais pour le profes-
seur Xavier Lescure, infectiologue
à l’hôpital Bichat, à Paris, il con-
vient surtout d’en appeler à l’esprit
de responsabilité : «Pour venir à
bout de cette crise le plus rapide-
ment possible, il faut informer les
gens de façon pragmatique et argu-
mentée, qu’ils comprennent les mo-
des de transmission et la contagio-
sité du virus et qu’ils adaptent leurs
comportements pour se protéger et
protéger les autres.»
NATHALIE RAULIN

L


a bascule en phase 3 (seuil
d’alerte sanitaire maximale)
de l’épidémie de pneumonie
virale chinoise n’est plus qu’une
question de jours. En dépit des ef-
forts déployés depuis fin janvier par
les autorités sanitaires pour le con-
tenir, le Covid-19 circule activement
bien au-delà des clusters (regroupe-
ment de cas liés par une chaîne de
contamination) identifiés dans

tes mas peu importantes en nombre. Or,
nous sommes confrontés à l’inverse : une
épidémie qui se répand assez vite mais qui
n’est pas très grave. Ce n’est pas la peste! Il
ne faut surtout pas que l’on reste prisonnier
de procédures. Et on doit s’adapter au jour
le jour.•

ser, et puis arrivera l’été et les infections res-
piratoires n’aiment pas trop l’été. Mais ce
n’est qu’une hypothèse. En tout état de cause,
aujourd’hui ce que l’on peut dire, c’est que le
taux de mortalité va baisser. De plus, on sait
prendre en charge les malades, il y a juste un
cap difficile à passer pour certains patients.
Ce n’est pas, comment dire, une maladie
grave pour tout le monde.
Finalement, quel est le danger à venir?
D’une certaine façon, il n’est pas médical
sauf en cas d’explosion épidémique. Il est so-
cial. Car il peut y avoir des conséquences
économiques bien embêtantes. En plus, il
faut gérer l’irrationnel, et au passage se bat-
tre contre la dictature des normes et des rè-
glements qui ont été, pour la plupart, conçus
pour combattre des épidémies très méchan-

giosité est avérée : selon les infectiolo-
gues, une personne contaminée en
infecte en moyenne 2,3 autres, ce
qui augure d’un doublement de cas
tous les jours en l’absence de mesu-
res de confinement... Signe de la
tension qui monte, l’exécutif a sa-
medi décidé d’interdire «les rassem-
blements en milieu confiné de plus
de 5 000 personnes sur l’ensemble du
territoire». Sans grand sens sur le
plan sanitaire, cette mesure géné-
rale visait à parer au plus pressé en
limitant le brassage de population
dans la capitale (Salon de l’agricul-
ture, semi-marathon de Paris...).
C’est toutefois donner un avant-
goût des «restrictions sociales» qui
ne manqueront pas d’accompagner

déplacements inutiles et, si possible
de recourir au télétravail».

Brassage. Dans les onze autres ré-
gions métropolitaines, le virus sem-
ble encore contenu. Pour certaines
comme en Bretagne, la phase 2 reste
d’actualité – détection et confine-
ment des personnes infectées.
D’autres qui n’ont enregistré aucun
cas se contentent de la vigilance
(stade 1). Cette «mosaïque épidémio-
logique» retarde l’entrée officielle
du pays en phase pandémique. Sans
doute pour peu de temps : pour
cause, les trois régions les plus tou-
chées sont également les plus den-
sément peuplées de France. De quoi
nourrir un Covid-19 dont la conta-

l’Oise et en Haute-Savoie. La prolifé-
ration de cas isolés un peu partout
en France – au moins un cas dans
onze régions et trois signalés en
Guadeloupe – en témoigne.
Selon nos informations, les autori-
tés sanitaires considèrent que le
stade 3 de l’épidémie était diman-
che atteint dans trois régions : l’Ile-
de-France, les Hauts-de-France et
Auvergne-Rhône-Alpes. Dès sa-
medi, le ministre de la Santé, Olivier
Véran, en a tiré les conséquences
pour les habitants du département
de l’Oise. A l’issue du Conseil des
ministres, recommandation leur
était faite de «limiter leurs déplace-
ments», «d’éviter de se rendre à des
rassemblements, de renoncer aux

La France se prépare à la troisième


phase de l’épidémie


Interdiction de
rassemblements, unités
spécialisées... Les
autorités anticipent
une propagation
exponentielle du virus.

Devant le Louvre, dimanche. Le musée a été fermé par crainte du coronavirus. PHOTO BRUNO LEVY. DIVERGENCES-IMAGES

«[Les équipes soignantes]
sont fatiguées, même
souvent épuisées,
mais elles réagissent
très bien. Reste que
s’il y a des infections
du personnel,
mis en quarantaine,
comment va-t-on faire?
Le vrai problème est là :
la protection du personnel
est fondamentale.»

Mais avec les événe-
ments, je suis revenu sur ma démission. L’ad-
ministration nous aide. Ce n’est pas elle la res-
ponsable de la situation, c’est l’Etat qui a
entraîné l’asphyxie de nos hôpitaux. Là, on
nous donne les moyens, mais combien de
temps cela tiendra-t-il? J’ai toujours dit
qu’une épidémie, dans un système de soins
en difficulté, peut tout faire déborder. Pour
l’instant, on tient, cela résiste mais on risque
de manquer vite de personnel soignant.
En termes épidémiques, quels sont les
scénarios à venir?
D’abord, on le sait, le génie évolutif des épi-
démies est imprévisible. Cela étant dit, le
plus probable est que l’on va avoir des mois
de mars et d’avril assez pénibles, voire très
difficiles. En mai et en juin, cela devrait bais-

Suite de la page 16

FRANCE


LIBÉ.FR

Coronavirus au Japon : le gouvernement
ferme les écoles et sème la zizanie
L’annonce de cette décision plus politique
que scientifique a provoqué un tollé chez
les parents, enseignants et experts
de la cellule de crise.

18 u Libération Lundi 2 Mars 2020

Free download pdf