Libération - 02.03.2020

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2 u Libération Lundi 2 Mars 2020


U


ne réforme pensée par des
sociaux-démocrates. Mise
en œuvre par des technos et
des politiques de droite. Pour quel
résultat? Un fiasco politique qui se
termine, provisoirement, par la dé-
cision prise samedi par le Premier
ministre de dégainer le 49.3. La mu-
tation radicale de dizaines de régi-
mes de retraite vers un système uni-
versel par points aurait pu (dû ?)
être l’incarnation du «en même
temps» macronien. Soit un système
plus redistributif avec des garanties
pour les retraités les plus modestes
d’une part, des incitations à «tra-
vailler plus longtemps» et la pro-
messe (tant réclamée par le camp
libéral et conservateur) d’en finir
avec les régimes spéciaux de l’autre.
Ce texte, présenté par les piliers de
la majorité comme la «mère de tou-
tes les batailles» de la macronie, de-
vait signer la nouvelle méthode de
l’exécutif, l’apogée de son «acte II»
autoproclamé au sortir de la crise
des gilets jaunes. Avec l’utilisation
du 49.3, il sera difficile de convain-
cre que l’heure est désormais à

l’écoute. Même si la majorité aura
beau jeu de rappeler les cent quinze
heures de débat dans l’hémicycle
qui s’affichent déjà au compteur.
Ce projet de loi, s’il ne s’embourbe
pas au Sénat en mai et s’il est en-
suite validé par le Conseil constitu-
tionnel avant l’été, a déjà perdu la
majeure partie de sa crédibilité poli-
tique. Il a commencé par être sans
cesse repoussé. Souvenez-vous :
tout devait être bouclé à l’été 2018,
puis 2019, puis 2020... Des reports
qui ont installé l’idée que l’Elysée
avait d’autres chats à fouetter et que
Matignon n’en voulait pas. Puis
celle que le Premier ministre et ses
conseillers venus de la droite fai-
saient leur maximum pour rempla-
cer le grand dessein «systémique»
du candidat Macron par un simple
mais efficace changement «para-
métrique» consistant à reporter
l’âge légal de départ à la retraite au-
delà de 62 ans. Qu’il n’y avait, pour
eux, que les économies qui comp-
taient et non le «projet de société»
présidentiel. Bien aidé par ses deux
ministres de Bercy, Edouard Phi-
lippe n’a cessé de défendre trois
marqueurs de sa famille politique
d’origine : la «nécessité de travailler

plus longtemps» ; celle de «rétablir
l’équilibre budgétaire» du régime
général puis de le maintenir dans le
futur système et en finir pour de
bon avec les régimes spéciaux.

PRÉCIPITATION
Au fil de l’automne, le débat poli -
tique s’est focalisé sur la création
d’un âge pivot pénalisant les actifs
qui ont commencé à travailler
à 20 ans, la disparition des régimes
spéciaux sans grande avancée sur la
pénibilité ou l’emploi des seniors, ou
encore la fin des cotisations au-delà
de 120 000 euros de revenu par an.
Soit quelques milliards d’euros de

cotisation en moins pour certaines
entreprises bien portantes. Il a été
aussi beaucoup question des ensei-
gnants ou des avocats qui seront
perdants en attendant de substan-
tielles – et hypothétiques – revalori-
sations salariales ou des baisses de
cotisations sociales. Les Français
ont découvert les discussions sur la
valeur d’un «point» de retraite qui,
certes, ne pourra pas baisser mais
qui ne sera finalement pas revalorisé
en fonction des salaires comme le
Premier ministre l’avait annoncé
mais en fonction d’un «revenu d’ac-
tivité» qui n’existe pas pour l’instant.
Ce qui peut en partie – hors crise du
coronavirus – expliquer le timing de
ce 49.3 déclenché samedi en fin de
journée : l’adoption du symbolique
article 7 supprimant les régimes
spéciaux et donc l’arrivée rapide en
séance des articles 9 (sur la valeur
du point) et 10 (sur l’âge d’équilibre)
qui avaient occasionné des discus-
sions techniques et houleuses en
commission spéciale.
Signe de la précipitation ambiante,
le Conseil d'Etat avait quant à lui
expliqué publiquement fin janvier
qu’il n’avait pas eu «les délais de ré-
flexion nécessaires pour garantir au

Par
LILIAN ALEMAGNA

ÉDITORIAL


Par
PAUL QUINIO


Amateurs


Un échec. Le recours
au 49.3 décidé samedi par
le Premier ministre pour
faire adopter la réforme des
retraites, considérée
comme la plus embléma -
tique du quinquennat, est
révélateur des difficultés
dans lesquelles continue de
patauger Emmanuel Ma-
cron. Le chef de l’Etat peut
bien sûr arguer que ce dis-
positif est prévu par la
Constitution, précisément
pour sortir de ce type d’im-
passe parlementaire. Il ren-
voie aussi, et c’est de bonne
guerre, la responsabilité du
blocage à la stratégie d’obs-
truction de l’opposition. La
majorité se réjouira aussi
qu’avec ce 49.3, la réforme
fera cette semaine un pas
important vers son adop-
tion. Il n’en reste pas moins
qu’Emmanuel Macron
n’aura, malgré des mois et
des mois de concertation,
pas réussi à convaincre de
la nécessité, encore moins
des bienfaits ou de la jus-
tice de sa réforme du sys-
tème des retraites, au cœur
du pacte social français. Il
disposait pourtant, dans les
rangs syndicaux dits réfor-
mistes, d’alliés pour l’aider
à convaincre. A l’arrivée,
c’est l’inverse qui se pro-
duit : sa réforme divise jus-
qu’à sa majorité. Et l’apôtre
du «en même temps» se
retrouve prisonnier de
vieux bons clivages droite-
gauche, et contraint d’user
d’une arme constitution-
nelle très «ancien monde».
Comment, par ailleurs,
ne pas souligner l’amateu-
risme dont a fait preuve la
majorité dans l’élaboration
de ce texte. Le symbole de
cette légèreté, c’est l’ab-
sence de précision sur la
notion qui a donné son
nom à la réforme : le point.
Comment convaincre dès
lors que ce noyau dur reste
à ce stade encore si flou?
Enfin, si ce recours au 49.
vient parapher les difficul-
tés rencontrées par Emma-
nuel Macron dans la pre-
mière moitié de son
quinquennat, il tue dans
l’œuf le storytelling en
cours sur le Macron new
look
censé aborder la se-
conde moitié de son man-
dat. On nous avait promis
un président plus à
l’écoute, moins jupitérien.
Il dégaine le 49.3. Gare
à la contradiction.•


ÉVÉNEMENT


ANALYSE


«Acte II»,


scène


49.


Le passage en force de l’exécutif, samedi,


souligne le fiasco de la réforme des retraites,


pensée comme un «projet de société»


et devenue un gage à destination de la droite.


C’est aux électeurs
de droite, qui

constituent


désormais le socle


de l’électorat du


camp majoritaire,
que s’est adressé

le gouvernement.


A l’Assemblée nationale, le 24 février.
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