Libération - 02.03.2020

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20 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 2 Mars 2020
FRANCE

S


ur les joues des mili -
tantes féministes, ven-
dredi soir, des larmes.
Pas celles provoquées par les
gaz lacrymogènes, dispersés

à tout-va par les forces de l’or-
dre alors qu’elles tentaient de
s’inviter sur le tapis rouge,
mais celles de la colère. Sen-
sation de ne pas avoir été en-
tendues, d’avoir été mépri-
sées, réduites au silence par
le plébiscite de Roman
Polanski, sacré meilleur réali-
sateur par l’Académie des cé-
sars. Les collages sur le de-
vant de la salle Pleyel, les
pancartes, les slogans féroces
à l’égard du cinéaste, visé par
plusieurs accusations de viol
et dont le film J’accuse a été
nommé douze fois, seront
restés lettre morte.
Plus fracturé que jamais, le
gratin du cinéma français
s’est divisé vendredi en
deux soirées. Indignés, des
invités ont boudé le tradi-
tionnel «after» au Fouquet’s,
préférant se rendre au Per-

choir, bar-restaurant de l’Est
parisien où le collectif 50 /50,
qui œuvre pour l’égalité et la
diversité dans le cinéma,
avait organisé une contre-
soirée. «Comme beaucoup,
nous avons ressenti honte, co-
lère et tristesse combatives,
mais nous gageons que ce vote
est le dernier sursaut d’une
académie conservatrice mo-
ribonde condamnée à renaî-
tre», a fait savoir par commu-
niqué le collectif, expliquant
par ailleurs qu’il participait à
la refonte de l’académie afin
de rajeunir la moyenne d’âge,
d’équilibrer la parité et
«d’inclure la mixité ethnique
et sociale».
«Je ne pensais pas qu’ils ose-
raient remettre le césar du
meilleur réalisateur à Po-
lanski, lâche, de son côté,
Pauline Baron, coordinatrice

du collectif #NousToutes.
J’imaginais que le film ait le
césar des meilleurs costumes
car ce n’est pas lui qui aurait
été récompensé à proprement
parler. Mais le césar du
meilleur réalisateur, c’est tel-
lement choquant! Ils sa-
vaient que cette récompense
allait mettre le feu aux pou-
dres. Là, c’est l’homme que
l’on célèbre, faisant fi des
accusations.»

«Paroles». Ainsi donc l’aca-
démie a-t-elle envoyé ce
«symbole mauvais par rap-
port à la nécessaire prise de
conscience que nous devons
tous avoir dans la lutte contre
les violences sexuelles et sexis-
tes», selon les mots du mi -
nistre de la Culture, Franck
Riester, en amont de la céré-
monie. «Distinguer Polanski,

c’est cracher au visage de tou-
tes les victimes», citent plu-
sieurs collectifs féministes,
reprenant volontiers les pro-
pos d’Adèle Haenel dans une
interview au New York Times.
Devenue figure de proue du
mouvement, l’actrice a mar-
qué les esprits vendredi soir
en quittant la salle sitôt la ré-
compense à Polanski annon-
cée, en clamant «la honte !»
puis applaudissant dans les
couloirs : «Vive la pédophilie,
bravo la pédophilie, bravo !»
Attitude saluée par Alice Cof-
fin, activiste du collectif la
Barbe et présente lors du ras-
semblement devant la salle
Pleyel : «C’est confronter tous
les participants à ce qu’ils
étaient en train de faire : une
célébration de la pédocri -
minalité, du viol, de la vio-
lence machiste. C’était aussi,

Polanski récompensé, les collectifs


féministes remontés


Le prix de la
réalisation remis
au cinéaste
visé par plusieurs
accusations de viol
a scandalisé
une partie de
la profession et
les associations,
pour qui ce choix
revient à «célébrer
la pédocriminalité».

Par
ANNABELLE
MARTELLA
Photo CHA GONZALEZ

Kanye West et sa chorale en représentation
à Paris
Des chants gospel, du Bowie et les Joubert Singers : c’est
accompagné de sa centaine de choristes que Kanye West a fait escale aux
Bouffes du Nord, à Paris, dimanche. C’est la première fois que le Sunday
Service, initié à Los Angeles et en tournée dans plusieurs villes américaines,
se produit à l’étranger. Devant une petite foule d’invités, les chanteurs ont été
guidés par un prédicateur chef d’orchestre. Kanye présente ce lundi la nouvelle
collection de sa marque Yeezy. PHOTO BESTIMAGES

LIBÉ.FR

disons-le, une énergie du dé-
sespoir.»
Fustigeant une cérémonie
«affaissée dans les remercie-
ments», ne prenant pas en
compte les enjeux politiques
qui la traversent, Adèle Hae-
nel a depuis déclaré à Media-
part : «Ils voulaient séparer
l’homme de l’artiste, ils sépa-
rent aujourd’hui les artistes
du monde.» Présente au Per-
choir au côté de l’équipe du
Portrait de la jeune fille en
feu, de Céline Sciamma, elle
a ajouté : «Ils pensent défen-
dre la liberté d’expression, en
réalité ils défendent leur mo-
nopole de la parole. Ce qu’ils
ont fait hier soir, c’est nous
renvoyer au silence, nous im-
poser l’obligation de nous
taire. Ils ne veulent pas en-
tendre nos récits. Et toute pa-
role qui n’est pas issue de leurs
rangs, qui ne va pas dans leur
sens, est considérée comme ne
devant pas exister.»

Collages. Du côté du Fou-
quet’s, les convives n’ont pas
pu échapper très longtemps
au malaise Polanski. «Chaque
participant et participante
au dîner nous a entendu scan-
der des slogans toute la nuit ;
aucun ne nous a manifesté de
soutien», expliquent les mili-
tantes de la «contre-acadé-
mie des césars». En colère
contre ceux qui continuent
«de s’obstiner à faire une dis-
tinction artificielle entre
l’homme et l’artiste, prenant
de facto le parti de l’oppres-
seur et condamnant les victi-
mes», elles comptent bien
continuer à tapisser Paris de
leurs collages anti-césars et
anti-Polanski.
Demandant au gouverne-
ment d’aller désormais
au-delà des discours et
d’accorder de véritables
moyens à la lutte contre les
violences sexuelles, le collec-
tif #NousToutes a organisé
dimanche soir une action
d’accrochage d’affiches et de
pochoirs sur les trottoirs,
avec comme mot d’ordre
«Polanski distingué, victimes
insultées». Mais le prochain
grand ren dez-vous aura lieu
dans la rue le 8 mars, journée
internationale de lutte pour
les droits des femmes, «pour
dire à nouveau que ni l’Aca-
démie des césars ni ceux qui
les soutiennent ne nous
arrêteront». •

Retrouvez le compte rendu de la
soirée et le palmarès sur Libé.fr.

Devant la salle Pleyel, à Paris, où se tenait la cérémonie des césars vendredi soir.
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