Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 u 29


felu Mahmoud Ahmadinejad. Sa peine de
six ans ferme est réduite à un an en appel. Il
hypothèque sa maison de Téhéran pour
payer la caution. Il est presque libre. A l’épo-
que, les agents du ministère du Renseigne-
ment, relevant du gouvernement, sont à la
manœuvre. Mais depuis 2017, son sort est en-
tre les mains des pasdaran, la puissante
garde prétorienne du régime qui ne répond
qu’au Guide suprême, et à son très secret ser-
vice de renseignement. «Ils sont sensibles aux
questions liées à la culture»,
relève Rasoulof.
Le harcèlement s’est poursuivi devant la jus-
tice. En 2019, le réalisateur est de nouveau
condamné à un an de prison pour «propa-
gande contre la république islamique d’Iran»
.
Il fait de nouveau appel. «Avant le tournage
[de There Is No Evil, ndlr], je me sentais très
bizarre,
se souvient-il. Tous les matins, je
guettais mon portable dans l’attente du SMS
du tribunal qui confirmerait ma peine. C’était
un délire peur-plaisir très particulier, un sen-
timent que je ne peux pas expliquer. J’ai reçu
le SMS pendant la première semaine de tour-
nage. J’attends maintenant le message qui me
dira quand je dois retourner en prison.»


IMMENSE COLÈRE
Rasoulof évoque cette «littérature iranienne
classique, qui a appris à s’adresser aux puis-
sants de manière voilée, pour ne pas les met-
tre immédiatement en colère».
Ses précé-
dents films recouraient à l’allégorie ou à la
métaphore mais, observe-t-il, «c’est facile
pour le pouvoir de nous écarter en disant
qu’il s’agit de l’œuvre d’un intellectuel».
Les
contacts répétés, et non désirés, avec des
sphères profondes du pouvoir iranien vont


le pousser à affirmer plus frontalement ses
critiques contre le système. There Is No
Evil est une affirmation directe et radicale :
«J’ai décidé d’arracher les masques.»
L’époque l’y pousse. Ces dernières années,
et surtout ces derniers mois, le régime s’est
crispé après une période d’ouverture et de
détente incarnée par l’élection du modéré
Hassan Rohani à la présidence de la Répu-
blique. Rasoulof a cru en lui. Pragmatique
ou non, Rohani n’a pas pu empêcher la ré-
pression d’un mouvement social populaire
fin 2017 et début 2018, et à nouveau en no-
vembre 2019, lorsque les forces de sécurité
ont écrasé les manifestants opposés à la
hausse du prix du carburant. Puis en janvier,
le pouvoir a menti à propos du crash d’un
Boeing transportant 176 personnes à bord,
que les forces armées avaient abattu par er-
reur, comme elles l’ont admis après
trois jours de dénégations. Une immense co-
lère s’est soulevée dans plusieurs strates de
la société iranienne.
«L’Etat ne peut pas continuer comme ça, il
doit changer», constate Rasoulof qui vit au-
jourd’hui sur l’île de Kish, dans le golfe Per-
sique, où le climat politique est plus clément
que dans la capitale iranienne, à tout point
de vue très polluée. Deux jours avant notre
rencontre se tenaient les élections législati-
ves, marquées par les disqualifications mas-
sives des candidats opposés à la ligne la plus
dure, et la participation très faible des élec-
teurs et électrices. «Tout le monde a voté!
Moi, j’ai voté en m’abstenant. Une minorité
s’est exprimée en faveur de l’injustice. Un
groupe plus nombreux s’est fait entendre par
son silence. Mais l’Etat est sourd.» •

L


e nombre de beaux
films présentés cette
année en compétition
à la Berlinale a validé l’exi-
gence que l’on était en droit
d’attendre de la nouvelle di-
rection du festival, incarnée
par Mariette Rissenbeek et
Carlo Chatrian, tout en ren-
dant difficile tout pronostic
quant au palmarès, révélé sa-
medi soir. En décernant
l’ours d’or à There Is No Evil
de l’Iranien Mohammad Ra-
soulof, le jury présidé par Je-
remy Irons a su célébrer un
cinéaste important (lire ci-
contre), tout en faisant un
geste politique fort.

Chômage. Nous n’avons pu
voir le film qui a obtenu le
grand prix du jury, Never Ra-
rely Sometimes Always de
l’Américaine Eliza Hittman,
mais son sujet – le parcours
du combattant d’une mi-
neure pour avorter – n’est
certainement pas étranger à
sa place au palmarès, d’au-
tant qu’au début du festival,
Irons avait été sommé de se
disculper publiquement des
propos réactionnaires, no-
tamment contre l’avorte-
ment, qu’il a jadis tenus et
qui fail lirent remettre en
cause sa présence ici.
Autre symptôme politique :
l’ours d’argent décerné aux
Français Benoît Delépine et
Gustave Kervern pour Effacer
l’historique. Centrée sur trois
voisins d’un quartier pa-
villonnaire sans âme, anciens
gilets jaunes désabusés, unis
par l’accumulation de leurs
malheurs (chômage, divorce,
deuil, surendettement), cette
comédie noire assez réussie
se fait le catalogue de toutes
les nouvelles formes de tech-
nologies, de ventes, de cré-
dits, d’emplois censées facili-

ter la vie mais la compliquant
jusqu’à la transformer en un
enfer froid.

Muse. The Woman Who
Ran, le dernier film du très
productif Sud-Coréen Hong
Sang-soo, lauréat de l’ours
d’argent du meilleur réalisa-
teur, a été l’une des grandes
réjouissances de ce festival.
Limpide, lumineux, drôle, il
est composé de trois parties
correspondant aux trois visi-
tes à d’anciennes amies que
s’autorise une jeune femme
(Kim Min-hee, muse des der-
niers films du cinéaste) dont

le mari possessif est parti en
voyage d’affaires.
Quelques absences ont ce-
pendant brillé lors de cette
remise de prix. Vu les com-
mentaires moralisants qu’il
a suscités dans une partie de
la presse internationale (lire
Libération du 26 février), il
était prévisible que le pour-
tant très beau Sel des larmes
de Philippe Garrel soit exclu
du palmarès. Mais l’oubli du
magnifique First Cow de
Kelly Reichardt est plus inex-
plicable et injuste. Autre
omission regrettable : Days,
qui marque l’émouvant re-
tour à la fiction du Taïwa-
nais Tsai Ming-liang. Nous y
reviendrons dans notre bilan
du festival mercredi.
MARCOS UZAL
Envoyé spécial à Berlin

Un palmarès


ouvertement


politique


La 70e édition du festival international
de Berlin a primé des films traitant
de sujets sensibles, tels l’avortement
et le désarroi des classes moyennes.

CINÉMA/


There Is No Evil
de Mohammad
Rasoulof se compose
de quatre courts
métrages. PHOTO
COSMOPOL FILM

BANLIEUES BLEUES

6 MARS – 3 AVRIL 2020
37 E FESTIVAL

24 CONCERTS · 39 GROUPES
BANLIEUESBLEUES.ORG belleville 2020 © Blutch

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