Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3


C’


est la pilule censée aider
la majorité à digérer le re-
cours au 49.3 : un texte re-
manié pour intégrer de nombreux
amendements des groupes parle-
mentaires, opposition comprise.
«Personne ne conteste le caractère
brutal du 49.3», concédait Gilles
Le Gendre vendredi, vingt-quatre
heures avant qu’Edouard Philippe
ne fasse tomber le couperet consti-
tutionnel. En discussion depuis
une semaine sur la «liste de courses»

Une semaine plus tôt, ils étaient
pourtant nombreux à vouloir lais-
ser du temps à la discussion.
Ceux-là avaient gagné une manche,
mardi, quand le Premier ministre
leur avait demandé de «tenir en-
core». La ligne d’un 49.3 fissa a fina-
lement repris de la vigueur. «Le
groupe a évolué. Au début, il y avait
des doutes, mais on a compris que
face à LFI, on ne pourrait pas avoir
un débat de fond», résume Marie
Guévenoux, qui plaidait pour ne
pas laisser traîner les choses. «Les
insoumis et les communistes nous
ont tendu un piège et on est tombés
dedans», admet un député LREM.
«L’opposition maîtrise le timing du
débat, le gouvernement celui du
49.3», pose un autre.

«Impréparation». Et la majo-
rité? Prise dans la toile des
41 000 amendements, la voilà ré-
duite à prier le gouvernement
d’abréger sa peine. Si le dénoue-
ment leur semblait in fine inévita-
ble, certains jugent que le gouver-
nement aurait pu s’y prendre
autrement au départ. En imposant
notamment un «temps pro-
grammé» qui attribue un temps de
parole à chaque groupe selon son
poids. Faute de délai suffisant entre
le dépôt du texte et le débat – il fal-
lait six semaines –, le gouvernement
s’est privé de cette carte. Et quand
le président de l’Assemblée, Ri-
chard Ferrand, l’a proposé, avec un
compteur de cent vingt heures, le
PCF et LFI ont logiquement mis leur
veto. «On ne découvre pas l’obstruc-
tion. Pourquoi personne ne l’a vue
venir? Je veux bien qu’on se revendi-
que “amateurs” mais ce serait pas
mal de connaître la procédure par-
lementaire», grince un député
LREM. En pointant comme «fait gé-
nérateur la position extrémiste et
antidémocratique» de LFI, Barbara
Pompili se dit «furieuse contre l’im-
préparation». «Rien n’a été sérieuse-
ment anticipé et préparé en ce sens
et cela nous conduit à cette situation
politique indéfendable d’un point de
vue démocratique, pour une loi aussi
importante», dit-elle sur Facebook.
Damien Abad ne dit pas autre
chose. «Le recours au 49.3 sur un
sujet aussi fondamental que notre
système de retraite est une triste
première de l’histoire parlemen-
taire», a dénoncé le président du
groupe LR, en annonçant le dépôt
d’une motion de censure. Une se-
conde a été enregistrée, signée par
les socialistes, les communistes et
les insoumis qui se sont déchaînés
contre un «coup de force» et invitent
les salariés «à se mobiliser devant
l’Assemblée mardi, si c’est la date re-
tenue», a lancé Fabien Roussel
(PCF). Les motions de censure
n’ayant aucune chance d’être vo-
tées, le projet de loi sera envoyé au
Sénat. L’Assemblée doit examiner
le volet organique de la réforme.
«On devrait enchaîner et démontrer
qu’on peut voter un texte sur les re-
traites, qu’il n’y a pas de déni de dé-
mocratie, dit Cendra Motin. C’est
un texte technique de cinq articles,
ça va beaucoup moins intéresser nos
oppositions.» Qu’un 49.3 n’est pour-
tant pas de nature à détendre.
LAURE EQUY

que le gouvernement consentirait
à reprendre, le président du groupe
LREM se disait alors «déterminé à
faire de ce qui peut être considéré
comme un mal, un bien». Les dépu-
tés LREM répètent leur satisfaction
d’avoir été entendus... du moins
dans ces tractations en coulisses.
Une note leur a été transmise pour
vanter un texte «considérablement
enrichi» sur la pénibilité, pour les
femmes ou sur la possibilité de dé-
parts progressifs. «Il y a au moins ce
point positif : le travail n’a pas été
vain, les rapporteurs sont contents
de ça», assure Marie Guévenoux.

«Jour sans fin». Samedi, peu
avant l’intervention du Premier
ministre, quand Gilles Le Gendre
réunit ses troupes salon Delacroix,
voisin de l’hémicycle, la garantie
d’un texte portant la patte du

groupe ne souffre pas de protesta-
tions. «Un 49.3 ne fait pas plaisir,
mais Gilles nous a rassurés sur le
projet de loi, on était soulagés», ra-
conte Cendra Motin. Certains ont
toutefois peu goûté la manière ca-
valière dont ils ont été avertis : un
SMS les priant de gagner l’Assem-
blée sur-le-champ. «Les geignards
vont geindre, mais ils se sont peu
tapé le débat. Ceux qui étaient là
ont plutôt dit : “Enfin! Il était
temps !”» ajoute un autre. Ces der-
niers jours, la majorité reprenait le
couplet du «jour sans fin», excédée
par les amendements LFI et com-
munistes pour changer un mot par
son synonyme ou s’appuyant sur
les records de longévité des débats
sous la Ve : «On a fait plus long que
sur le mariage pour tous (en 2013)
et on a vu 10 % des articles» ; «on est
comme un hamster dans sa roue...»

Le bourbier


du Palais-Bourbon


Si des députés LREM
se félicitent d’un texte
«enrichi», d’autres
critiquent la méthode.
L’opposition, elle, prépare
la riposte, mais les
motions de censure n’ont
aucune chance d’aboutir.

mieux la sécurité juridique» de la ré-
forme. Inédit. Entre-temps, la grève
dans les transports battait le record
de longévité sous la Ve République.
Le pire c’est que cette réforme des
retraites aurait pu rabibocher une
partie de la gauche avec le Président.
Mais ceux qui avaient voté Macron
dès le premier tour en 2017, persua-
dés que, derrière les paravents de
«l’efficacité» et du «pragmatisme»
revendiqués de la «start-up nation»,
la réforme emprunterait le chemin
de la justice sociale et de l’équité, se
sont progressivement détournés
d’une macronie et ses ordonnances
sur la loi travail, sa suppression de
l’ISF, sa réduction des APL, son dur-
cissement sur l’immigration et son
bilan écologique illisible.
C’est donc aux électeurs de droite
que s’est adressé le gouvernement
ces derniers mois lorsqu’il a parlé
retraites. Ceux qui n’auront rien à
redire à l’acte d’autorité du 49.3, qui
applaudissent la fin des régimes
spéciaux et saluent les incitations à
travailler plus longtemps. Ceux-là
mêmes qui constituent désormais
le socle de l’électorat du camp ma -
joritaire et que l’exécutif n’entend
pas voir retourner Suite page 4

PHOTO DENIS ALLARD

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