Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 u 31


seule force de l’esprit et de la générosité.
Ne passez pas à côté!
OLIVIER LAMM

CS + KREME SNOOPY (The Trilogy Tapes).

CS + Kreme, envol planant


Le duo surprend avec «Snoopy», un premier album
envoûtant d’un genre musical non répertorié.

ser le gigantesque chaos de la musique
après vingt ans d’Internet. Aussi ce grand
disque discret accomplit un miracle : son-
ner classique et hyper contemporain, en se
fichant sûrement d’être l’un ou l’autre, à la

C’


est un disque dans lequel on
n’a d’autre choix que de ren-
trer latéralement, par le flanc.
Trempant un orteil, ou la main pour
s’y faire aspirer par une boucle d’orgue
ou un chant susurré, sans heurt aucun.
Ensuite, il ne faut pas longtemps pour
s’y sentir bien : le son est beau, les évé-
nements qui surviennent sont logi-
ques, il y a suffisamment de rythme
et d’ébauches mélodiques envoûtantes
pour que l’esprit se dise «ceci est de la
musique» et entreprenne d’imprimer
des paysages imaginaires sur l’envers
des paupières.
Pourtant Snoopy – le titre improbable
de ce disque que personne n’attendait –
échappe à tous les décryptages
habituels qui permettent d’insérer les
nouveautés discographiques dans
l’actualité : un album qui semble n’exis-
ter que par lui-même, à côté de tout
genre, dénué de toute narration, sans
parler des modes qui continuent à
gouverner l’évolution des musiques
électroniques auxquelles Snoopy fait
partie, du moins si l’on s’en réfère à
la plupart des sons qu’on y entend
(boîtes à rythmes, synthétiseurs) et à
son label (le branché et souvent inspiré
The Trilogy Tapes).
Cela pourrait s’expliquer par l’arbre gé-
néalogique artistique des Australiens
Conrad Standish (alias CS) et Sam Kar-
mel (dit Kreme), deux musiciens cu-
rieux de tout et liés à mille autres tout
aussi fouille-au-pot de la scène expéri-
mentale de Melbourne, tels les sur-
doués Carla Dal Forno ou HTRK, avec
qui ils partagent la faculté précieuse de
mélanger invocation du chaos et art de
la chanson. Snoopy, qui est déjà la cin-
quième référence de leur discographie
en duo, leur fait pourtant franchir un
cap et les isole de l’expérimental de
leurs autres groupes (Bum Creek, F In-
gers) sans la moindre équivoque : ce
disque hautement étrange et varié ne
nécessite aucune intronisation, car il
est fait pour parler à tout le monde.
Ce faisant, il évoque d’autres inven-
teurs d’étrangetés adressées au monde
entier, Brian Eno à l’époque où il faisait
des chansons, le duo ésotérique Coil ou
les pionniers allemands de Popol Vuh.
Comme ceux-là, CS et Kreme sont capa-
bles des plus invraisemblables para-
doxes, peaufinant des pièces à la fois
méditatives et hyperactives, apaisantes
et psychédéliques, sauvages et apprê-
tées. Mais les deux musiciens créent à
une époque qui n’appartient qu’à eux,
si bien qu’ils méritent leurs propres lau-
riers, pour inventer si fort à une période
où la musique semble si peu impor-
tante, et leur manière inédite de ramas-

BEST COAST
ALWAYS TOMORROW
(Concord Music).
Avec Crazy for You en 2010, Best Coast
campait son indie pop dans une Cali-
fornie où la weed est plus verte
qu’ailleurs, les vagues plus scintillantes
et les chatons plus mignons que sur
Tumblr. Le
duo mêlait
alors des influ-
ences des girls
bands et du
punk West
Coast, de ro-
mantisme et
d’humour
concentrés
en une volée de tubes. Quand la ferveur
est retombée, Bethany Cosentino fut
rattrapée par les critiques sexistes et vé-
cut un burn-out. Le duo fait son retour
avec l’album de la sobriété de Cosen-
tino, qui a elle-même annoncé avoir
retourné les bouteilles à la consigne,
et exorcisé ses illusions dans des textes
cinglants : «Je ne suis qu’un imposteur
dans une robe à fleurs.»
Sa voix est une
locomotive de fureur, lancée sur des
guitares fuzz. L’hommage au punk cali-
fornien manque parfois de subtilité
et au mieux rappelle Weezer, avec qui
Cosentino avait collaboré en 2014,
mais a largement de quoi lui faire
remonter la côte. C. Le.


CHRISTINE AND THE QUEENS
LA VITA NUOVA (Because).
Plutôt que le boucan médiatique pro-
grammé, le mini-album livré par sur-
prise. Le format ne pouvait être mieux
trouvé par Héloïse Letissier pour lécher
ses plaies – qu’est-ce qu’elle s’en est pris
pour Chris! – et avancer. Sur la Vita
nuova
, cinq chansons bilingues et un
petit film plein de danse, de paillettes
et de drama pour le faire exister, elle
fait exacte-
ment ça.
Moins specta-
culaire et
moins alambi-
qué dans ses
références que
Chris, un peu
plus plat en
conséquence,
ce mini-album produit avec Ash Work-
man est plus accueillant et plus émou-
vant aussi – ses chansons sont plutôt
meilleures, tout simplement. Comme si
après être allée se chercher un peu loin,
Christine se retrouvait dans un inter-
stice, heureuse de souffler puis de se
trouver changée malgré tout. Le duo
avec Caroline Polachek qui donne son
titre au disque fait partie des meilleures
choses qu’elle a faites. O.L.


PLUS VITE QUE
LA MUSIQUE

CS + Kreme.
PHOTO LOUIS HORNE

MERVEILLEUX

TÉLÉRAMA

ENVOÛTANT

GUILLERMO DEL TORO

MAGNIFIQUE

LIBÉRATION

SPECTACULAIRE

PREMIÈRE

SUPERBE

ALEJANDRO GONZALEZ IÑARRITU

AU CINÉMA LE 4 MARS
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