Libération - 02.03.2020

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8 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Lundi 2 Mars 2020
MONDE

L


a politique en Israël a toujours été une
affaire rugueuse. D’autant plus à l’ère
Nétanyahou, qui a importé d’Amérique
l’idée qu’on ne gagne que sur la peur après
avoir traîné son adversaire dans la boue,
comme nous le confiait l’un de ses ex-direc-
teurs de campagne, Moshe Gaon. Mais alors
que les Israéliens s’apprêtent à voter lundi
pour la troisième fois en un an sans qu’une
issue à la crise politique ne se profile, rare-
ment une campagne n’a à ce point ressemblé
à un film de Scorsese. «Benyamin Nétanya-
hou se comporte en mafioso», s’est emporté
vendredi Benny Gantz, principal opposant
au Premier ministre dont le procès pour cor-

ruption doit s’ouvrir deux semaines après le
scrutin. Le général venait de limoger, quel-
ques heures plus tôt, l’un de ses plus proches
collaborateurs, dont un enregistrement dé-
vastateur venait d’être rendu public. Le «stra-
tégiste» de Gantz y confiait ses doutes au su-
jet du militaire retraité, à qui il manquerait
le «courage d’attaquer l’Iran». Confession
glissée à un rabbin, qui portait un micro et
s’est empressé de livrer l’infamante bande à
Nétanyahou. De quoi ranimer l’increvable
rumeur selon laquelle Téhéran détiendrait
une «sextape» du général après avoir hacké
son téléphone.

Maux sociaux du pays
Le lendemain, le camp Gantz répliquait en
faisant fuiter un autre enregistrement volé,
où l’on entend une des éminences grises de

Nétanyahou estimer que les électeurs «non
ashkénazes» du Likoud (comprendre les clas-
ses populaires séfarades) ne sont «unis que
par la haine» et sans morale. «Pour eux, si ce
n’est pour voler, à quoi bon entrer en politi-
que ?», assure le conseiller, qui jure que la tri-
ple inculpation de Nétanyahou a galvanisé sa
base. Un climat infantile et délétère, alors que
le budget de l’année 2020 n’a toujours pas pu
être adopté à la Knesset, aggravant les maux
sociaux du pays, entre hôpitaux en sous-ef-
fectifs, salles de classes surpeuplées et routes
congestionnées.
Cette avalanche de coups tordus, dont la dy-
namique favorise Nétanyahou, n’a pas
ébranlé les «blocs» respectifs des deux candi-
dats, ultra-nationalistes et religieux d’un côté,
centre-droit et gauche en lambeaux de l’autre.
Le Premier ministre et son ex-chef d’Etat-ma-
jor sont toujours à égalité dans les sondages,
incapables de former une majorité. Ni la di-
vulgation du «plan de paix» trumpiste (ac-
cueilli avec réserve voire hostilité par les co-
lons), ni la droitisation de Benny Gantz n’ont
fait bouger les lignes. Infatigable, Nétanyahou
a enchaîné deux meetings par soirée auprès
d’un patchwork israélien toujours plus frag-
menté, tel un VRP en porte-à-porte.
L’immigration facilitée pour les juifs éthio-
piens, la légalisation du cannabis pour les li-
bertariens, des «vols direct pour la Mecque»
pour les Arabes d’Israël, et toujours plus de
colonies autour de Jérusalem pour les zélotes
du «Grand Israël»... Aucun sujet du «roi Bibi»

n’a été oublié, pour reprendre les paroles de
sa dernière chanson électorale : «Benyamin,
l’ami de Dieu /Tu as fais de nous un empire...»
Cible des intox virales des légions de trolls
pro-Bibi (menés par Yaïr Nétanyahou, fils de),
Gantz a voulu rester «Benny le Relax», son
surnom à l’armée, haussant tardivement le
ton après la diffusion par Nétanyahou d’un
clip compilant les bégaiements du général
pour insinuer un «déficit mental».

«Likoud bien peigné»
A ses débuts en politique, il y a tout juste un
an, Gantz se réclamait de l’éthique rassem-
bleuse du mamlachtiyut, l’idée, chère au père
de la nation David Ben Gourion, que l’intérêt
d’Israël doit prévaloir sur les divisions. Il a
cette fois tenté une campagne à droite toute,
approuvant le «deal du siècle» proposé par
Trump et tournant le dos aux partis arabes
qui l’avaient soutenu en septembre. Ce qui
n’empêche pas les likoudniks de hurler sur
tous les toits que Gantz ne peut gouverner
qu’avec Ahmed Tibi, ex-conseiller de Yasser
Arafat devenu figure de la Liste arabe unie. A
gauche, le raidissement de Gantz a entériné
l’idée que son parti Bleu et blanc n’est qu’un
«Likoud bien peigné qui se tient convenable-
ment à table», pour reprendre la formule de
Ravit Hecht, éditorialiste à Haaretz. Une stra-
tégie qui semble avoir renforcé le Premier mi-
nistre, qui, sur l’air de «entre l’original et la
contrefaçon...», qualifie désormais Gantz
«d’imitation pathétique» de lui-même.•

Par
GUILLAUME GENDRON
Correspondant à Tel-Aviv

Les Israéliens sont appelés à élire leurs


députés pour la troisième fois en moins d’un


an. Propos volés, intox de légions de trolls,


le climat est extrêmement tendu entre


Nétanyahou et son rival Benny Gantz,


qui l’a comparé à un «mafioso».
RÉCIT

Israël


Les coups bas


de législatives


à triple détente

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