Libération - 02.03.2020

(avery) #1

Libération Lundi 2 Mars 2020 u 9


«craignant-Dieu». «Bibi [Né-
tanyahou] répète qu’il va faire
quelque chose pour nos retrai-
tes [objet de complexes négo-
ciations avec Kiev et Moscou,
ndlr] mais rien n’avance,
poursuit Frida. On est là de-
puis un quart de siècle, nos
petits enfants servent dans
Tsahal et on vit comme si on
venait de poser notre valise
pendant que les religieux ra-
massent les aides !» Liber-
man? «Qu’il retourne en Rus-
sie !» tacle Batsheva Naga,
50 ans. «C’est à cause ce blas-
phémateur qu’on doit voter à
nouveau. Cet homme est un
problème majeur pour le
peuple juif.» Pour elle, ce sera
«rak Bibi !» («seulement
Bibi»), slogan du Likoud.
L’évocation de Gantz, général
devenu principal opposant,
ne lui arrache qu’un sourire
méprisant. Seule une chose
pourrait l’empêcher de voter :
le coronavirus. Nombre
d’analystes craignent que
la peur de l’épidémie soit
utilisée pour décourager le
vote, à base de SMS menson-
gers désignant des foyers de
contagion. Le Shas, parti des
séfarades religieux alliés à
Nétanyahou, a promis des
amulettes anti-Covid-19 à ses
électeurs... «Une chose est
sûre, je n’irai pas voter en
bus !» conclut la Likoudnik.
Kénou, jeune juive éthio-
pienne, est lapidaire : «Bleu et
blanc [le parti de Gantz], c’est
clair! Le Likoud laisse la po-
lice nous tuer» , référence aux
bavures qui ont enflammé la
communauté l’été dernier.
Entre Gantz et Nétanyahou,
Nora Ben Sasson, infirmière,
est l’une des rares à hésiter.
De droite, elle dit vouloir du
«changement» mais n’est
pas convaincue par Gantz. La
situation à Gaza, d’où ont été
tirées une centaine de roquet-
tes il y a une semaine, la pré-
occupe. «J’ai l’impression que
Bibi est déconcentré en ce
moment par ses affaires per -
sonnelles», euphémisme pour
son procès à venir. En uni-
forme, Daniel attend son bus.
Ce soldat de l’unité opérant
les batteries antimissiles
votera Nétanyahou. «Les gens
sont ingrats, ils n’ont pas
conscience de la qualité de cet
homme.» Gantz, dit-il, serait
la promesse du «balagan», la
«pagaille». Ce dernier était
pourtant chef d’état-major
jusqu’en 2015. «Un militaire
n’est pas un homme d’Etat. Il
était aux ordres du Premier
ministre, donc de Nétanya-

fois, «[Avigdor] Liberman, et
puis c’est tout».

Opacité. Depuis sa démis-
sion du ministère de la Dé-
fense fin 2018, qui déclencha
la crise politique dans la-
quelle Israël est englué de-
puis, l’ex-bras droit du Pre-
mier ministre tient le pays en
haleine en refusant de choisir
entre Benyamin Nétanyahou
et Benny Gantz, tel Brutus
faisant monter les enchères.
Si les intentions du natio -
naliste anti-Arabes restent
opaques, lui prétend servir
le million d’Israéliens russo-
phones et combattre l’in -
fluence des haredim, les

«diversité juive» de l’Etat hé-
breu (la population arabe
étant ici marginale), des ba-
rons de la «start-up nation»
aux ultra-orthodoxes, en pas-
sant par les immigrés vieillis-
sants de l’ex-bloc soviétique
et les prolos mizrahim, des-
cendants des communautés
juives du Moyen-Orient. A
l’entrée de la gare routière sur-
montée d’un rutilant centre
commercial, un couple âgé at-
trape quelques rayons de so-
leil sur un banc. Seule Frida,
83 ans, parle hébreu, s’excu-
sant de sa diction trébuchante
au fort accent russe. Arrivés il
y a vingt-cinq ans d’Azerbaïd-
jan, ce sera, comme à chaque

«Une chose est


sûre, je n’irai pas


voter en bus !»


A


25 kilomètres au sud
de Tel-Aviv, Rehovot
est la ville préférée
des sondeurs, baromètre
quasi infaillible d’un pays
coincé dans un cycle électoral
sans fin. Ses 140 000 habi-
tants représentent toute la

A Rehovot, ville
baromètre pour les
sondeurs, peu
d’hésitation dans
chaque camp,
mais l’on craint
les «fake news» liées
au coronavirus qui
pourraient faire fuir
les électeurs.

A Ramat Gan, ville de la banlieue Est
de Tel-Aviv, dimanche. Un panneau électoral
de l’alliance Bleu et blanc de Benny Gantz
à charge contre Nétanyahou, le ministre Amir
Ohana (à gauche) et son collègue Rafi Peretz
(à droite). PHOTO MENAHEM KAHANA. AFP

cubateur à prix Nobel et fu-
turs génies de la tech, autre
ambiance. Amos, 29 ans, sou-
tient l’alliance travaillistes-
Meretz, planche de salut de
la gauche. Sans y croire :
«Les gens n’arrivent plus à
imaginer Israël sans
Nétanyahou, c’est
déprimant, ir-
rationnel. A
Sdérot [ville
proche de
Gaza], ils
p r e n n e n t
des douches
de roquettes
mais votent
Bibi comme un
seul homme.» Ce
chercheur en science infor-
matique a hésité à donner sa
voix à la Liste arabe unie,
dont il apprécie le leader, Ay-
man Odeh, chantre de la co-
existence, mais dont il désap-
prouve l’alliance de raison
avec les islamistes. Lui aussi
craint les fake news liées au
coronavirus : «La politique en
Israël, c’est toujours des coups
tordus...» Employée adminis-
trative, Shani Peleg, 24 ans,
optera pour Gantz. Comme
lors des précédentes élec-
tions. «Je doute que ça serve à
grand-chose, mais je le ferai.
Jusqu’à la prochaine, haha !»
G.G. (à Rehovot)

hou. Gantz aurait dû faire ses
classes à la Knesset plutôt que
d’essayer de remplacer son
boss du jour au lendemain.»
Triturant son épaisse barbe,
le rabbin loubavitch Mor -
dechaï Zavitsky glissera
le bulletin «le
plus à droite
p o s s i b l e ,
pour proté-
ger le shab-
bath». Con-
tre Gantz,
donc, qui a
promis de
faire rouler
les bus durant
le sacro-saint re-
pos hebdomadaire.
«Un jour par semaine sans
s’agiter dans tous les sens, c’est
trop demander ?»

Génies de la tech. Dans la
permanence du Likoud du
quartier populaire yéménite
de Sha’arayim, on bat le rap-
pel, yeux rivés sur des listes
électorales obtenues on ne
sait trop comment. «Si lundi
à 17 heures, ils sont pas allés
voter, on rappellera, explique
Anat, la responsable, presque
sur le ton de la menace. L’ar-
gument numéro 1, c’est d’évi-
ter une quatrième élection.
Les gens en ont marre.» De-
vant l’Institut Weizmann, in-

50 km

Mer
Méditerranée Tel-Aviv

CISJORDANIE

GOLAN

GAZA

JORDANIE

SYRIE

LIBAN

ÉGYPTE

ISRAËL

Eilat

Jérusalem
Rehovot

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dans 28 minutes

presente par elisabeth quin
du lundi au jeudi a 20h05 sur
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