Les Echos - 02.03.2020

(nextflipdebug2) #1

Philippe Bertrand
@Bertra1Philippe


Le coronavirus impose un double
défi aux distributeurs. Les enseignes
alimentaires se préparent à une
éventuelle ruée des consommateurs
aux rayons pâtes, riz et conserves.
Les spécialistes du non-alimentaire
s’inquiètent pour leurs approvision-
nements.
En France, les achats de précau-
tion ont commencé même si la pani-
que n’est pas encore là. Nielsen indi-
quait une légère baisse de 0,4 % des


ventes des grandes surfaces sur une
semaine au 23 février. Mais l’épidé-
mie s’est étendue et, ce week-end,
certains Français ont constitué des
stocks. Des clients signalaient des
rayons vides samedi soir dans des
Monoprix de Boulogne-Billancourt,
à l’ouest de Paris.
Les ventes en ligne tirent les pre-
miers bénéfices de ce mouvement.
Sur RTL, Thierry Cotillard, le patron
d’Intermarché, a indiqué vendredi
que le débit des points de retrait
drive avait grimpé de 30 %. Le drive
permet de faire ses courses sans se
mêler à la foule.
Nielsen estime que la hausse de
12,2 % du drive au 23 février s’inscrit
dans la tendance annuelle. A titre de
comparaison, les ventes de produits
de grande consommation ont crû de
87 % dimanche 23 février en Lom-
bardie!
Chez Carrefour comme chez
Auchan, les dirigeants se soucient

d’abord de leurs salariés. Les voya-
ges vers et depuis les zones à risque
sont interdits.

Plans B, C et D
A Massy, des réunions quotidiennes
font le point sur les approvisionne-
ments. Les équipes d’achat imagi-
nent des plans B, C ou D pour les pro-
duits saisonniers comme le mobilier
de jardin. Elles identifient des fabri-
cants en Europe ou en Amérique. Le
printemps arrive. Les bateaux
relient la Chine à l’Europe en un à
deux mois. Des ports sont fermés.
Toutes les routes vers l’A sie ne
sont pas pour autant coupées.
Decathlon, deuxième vendeur de
textile en France, a précisé jeudi ne
pas connaître de ruptures. « Nous
confirmons le fait que notre “train
block” (de Wuhan à Dourges) n’a pas
circulé depuis décembre en raison de
la grève en France ainsi que [...] du
Nouvel An chinois », a révélé un com-

muniqué. « Nos collections prin-
temps/été ont pu être anticipées.
L’enseigne continue d’acheminer ses
produits de la Chine par des trains
publics depuis la gare de Chengdu. Les
produits arrivent en Allemagne et
sont ensuite dispatchés par la route
dans les autres pays de l’Europe »,
précise le texte.
Le directeur général de FNAC
Darty, Enrique Martinez, a indiqué
lors de la présentation des résultats
du groupe qu’il avait passé 80 mil-
lions d’euros de commandes de plus
auprès de ses fournisseurs afin de
gonfler les stocks. Seuls 3 % des pro-
duits de l’offre FNAC sont directe-
ment achetés en Chine. Il s’agit des
produits à marque propre. Mais les
deux réseaux sont à la merci
du manque de composants chinois
que contiennent les produits de
grandes marques. Des usines ont
cependant repris leur activité dans
l’Empire du milieu.n

Distribution : les achats de précaution favorisent le drive


Les distributeurs s’activent
sur le front des ventes pour
alimentation et celui des
approvisionnements pour
les produits non-alimen-
taires qui viennent d’Asie.
Les achats de précaution
ont commencé. Les ventes
en ligne en profitent.


Nombreuses sont les entreprises à redouter l’arrêt de l’usine Chine, soit parce qu’elles produisent sur place, soit

Marie-Josée Cougard
@CougardMarie

Se ul le grand public semblait
détendu dans les allées bondées du
Salon de l’agriculture. L’ambiance,
côté professionnels laitiers, était
nettement plus « stress » et les
questions fusaient sur la manière
dont les pouvoirs publics allaient
bien pouvoir gérer l’arrivée du
coronavirus en France. La planète
lait, qui a bouclé une belle année
2019, craint de voir r evenir les mau-
vais jours sur les marchés interna-
tionaux. Avec l’épidémie, les tra-
ders ont levé le pied sur les achats
de lait et les cours mondiaux sont
repartis à la baisse. « Entre le 21 jan-
vier et le 19 février, les prix de la pou-
dre et des matières grasses ont baissé
de 6 à 9 %, i ndique l’Association d es
transformateurs de lait (ATLA).
Cette chute des cours va impacter
l’ensemble des filières exportatrices
de lait. »

Pas de commandes
en mars...
Au cune commande côté Chine
pour mars enregistrée par Lacta-
lis... Les conséquences sont poten-
tiellement redoutables si la situa-
tion perdure. La Chine est le plus
gros client des laitiers français
hors Europe, avec des exporta-
tions de 620 millions d’euros en
2019 et de 40 millions vers Hong
Kong. Même si les choses devaient
rentrer assez vite dans l’ordre, « il
faudra des mois avant que le com-
merce ne revienne à la normale »,
dit-on chez le numéro un mondial
des produits laitiers.
Les professionnels craignent
« un impact sensible du coronavirus
sur la consommation chinoise et des
pertes de contrats. Il pourrait ne pas
y avoir de rattrapage une fois l’épidé-
mie endiguée », selon l’interprofes-

sion (CNIEL). Que va faire de son
lait la Nouvelle-Zélande, qui est, de
loin, avec le groupe Fonterra, le
premier fournisseur de l’empire
du Milieu? Un report sur d’autres
places commerciales provoquera
une spirale à la baisse des prix.
La filière française, elle, voit peu
de solutions de repli pour sa pro-
duction. « La Chine est le poumon
économique de l’Asie. Son ralentis-
sement économique va impacter les
autres pays de la zone », dit encore
le CNIEL. Le Japon et la Corée sont
également de gros clients.
Chaque jour, la tension monte.
Les annonces italiennes ont porté
un coup supplémentaire sur le
moral des professionnels. La
découverte de malades dans l’Oise,
gros département laitier, aussi.
Qu’est-ce que les éleveurs vont faire
de leur lait si les chauffeurs des
camions laitiers sont consignés
chez eux ou si des salariés exercent
leur droit de retrait, s’interroge la
Fédération nationale des indus-
tries laitières? A Lubrizol, les pro-
ducteurs ont dû jeter leur lait.
« Nous attendons du gouverne-
ment un discours clair sur la sécu-
rité des aliments et sur la sécurisa-
tion du business. Ce que l’on craint
par-dessus tout, c’est la désorgani-
sation et un blocage de la vie écono-
mique », expliquent des représen-
tants de l’industrie l aitière
échaudés par la façon dont a été
gérée l’affaire Lubrizol. « C’était du
grand n’importe quoi. Or le corona-
virus, c’est Lubrizol puissance
30... », s’alarme un autre dirigeant
de l’industrie laitière.

4
À NOTER
Le lait est le troisième poste
de la balance commerciale
française de l’agriculture,
derrière les vins-spiritueux et
les céréales, avec 7 milliards
d’euros exportés en 2018.
L’ industrie laitière totalise
un chiffre d’affaires annuel de
30 milliards d’euros environ.

Les cours mondiaux
de la poudre de lait sont
brusquement repartis
à la baisse avec l’épidémie
de coronavirus.

La tension monte


dans la filière laitière


ché dans son appareil industriel,
SEB anticipe une perte de 250 mil-
lions de chiffre d’affaires au pre-
mier trimestre, le spécialiste de
l’inspection et de la certification
Bureau Veritas, un manque à
gagner de 60 à 100 millions, Schnei-
der Electric prévoit « un impact
négatif de 300 millions », Suez, de 30
à 40 millions, Danone un manque à
gagner de 100 millions d’euros sur
ses ventes en Chine, son deuxième
marché. Arkema a fait une croix sur
20 millions d’euros de résultat opé-
rationnel.

Le plus dur reste à venir
Les sociétés qui ont fait des voyages
leur terrain de jeu sont en première
ligne. Air France-KLM estimait, la
semaine dernière, à 150 à 200 mil-
lions d’euros l’impact du virus sur
son résultat d’exploitation. Devant
l’aggravation d e la situation, l a com-
pagnie réduit ses dépenses et gèle
certaines embauches, comme son
partenaire néerlandais KLM. Chez
Accor, le revenu par chambre en
Chine a plongé de 90 % depuis la
mi-janvier, et le groupe a déjà p erdu
5 millions d’euros de redevances.
Mais le plus dur reste à venir. Les
déplacements internationaux des
salariés sont très perturbés, certai-
nes zones étant désormais prohi-
bées. Un certain nombre de groupes
ont décidé d’annuler purement et

simplement tous les voyages profes-
sionnels, sauf cas de force majeure
et sur autorisation expresse de
l’état-major. Si des solutions techni-
ques existent, à commencer par la
visioconférence, la solution n’est
pas idéale si elle perdure.
Et puis il y a surtout le fait que la
Chine est devenue le poumon éco-
nomique mondial. La taille de son
marché fait que le moindre soubre-
saut des ventes fragilise les groupes
qui ont fait leur miel des clients chi-
nois, comme les vendeurs de vins
et spiritueux et les maisons de luxe.
D’autres ont tout à craindre de
l’arrêt de l’usine Chine. Soit parce
qu’ils produisent énormément sur
place, soit parce que leurs appa-
reils industriels sont très dépen-
dants de pièces ou de matériaux
made in China. Les constructeurs
automobiles ou les laboratoires
pharmaceutiques n’en sont que
deux exemples.
Pour noircir le tableau, il reste le
risque financier e t celui qui pèse sur
les matières premières et l’énergie.
Si la Chine souffre plus longtemps,
les marchés vont vraiment vaciller,
le financement des entreprises
aussi, et les conséquences sur les
marchés du pétrole et des matières
premières seront importantes. Un
scénario sombre qui inquiète, mais
dont la probabilité s’avère encore
incertaine.n

lLe scénario noir d’un dérèglement mondial des transports et de l’économie existe si l’épidémie perdure et s’amplifie.


lLes entreprises françaises, qui doivent déjà réagir pour des raisons industrielles ou commerciales, préparent toutes des


Coronavirus : la fièvre gagne les entrep


Julien Dupont-Calbo
@jdupontcalbo


Qui sortira indemne du coronavi-
rus? Aucune entreprise u n tant soit
peu internationale ne peut le dire.
Déjà fiévreux ou pas, tous les sec-
teurs d’activité seront tôt ou tard
fr appés par le mal, au moins par
effet domino : pour nombre de
groupes et de métiers, la Chine est
devenue une carte majeure du jeu.
Le moindre soubresaut là-bas finit
toujours par se ressentir tôt ou tard
par ici.
A ce stade, tout reste cependant
assez flou sur l’impact réel de l’épi-
démie. Même le meilleur élève du
transport aérien mondial, le groupe
IAG, ne sait plus à quelle prévision
se vouer, admettant ne pas être en
mesure d’avancer la moindre prévi-
sion pour 2020, du fait de l’incerti-
tude généralisée. Difficile, dans ce
cadre, de prendre les mesures qui
s’imposent au bon moment et avec
le bon paramétrage. Les plans
d’urgence s’accumulent en ce
moment dans les directions.
Pressés par les autorités boursiè-
res, les acteurs français cotés ont
tout de même tenté de calculer le
coût du Covid-19 sur leurs affaires :
au moins un milliard d’euros. Tou-


ENTREPRISES


Lundi dernier, Bruxelles avait
annoncé l’octroi de 100 millions
d’euros pour financer la recherche
d’un vaccin. Un effort conséquent
qui s’inscrit dans une mobilisation
bien plus rapide, tant des Etats que
de l’industrie – plus d’une dizaine de
laboratoires – et la recherche publi-
que, que lors de la dernière crise
sanitaire mondiale du SRAS, en
Chine comme en Occident.
Depuis, une structure focalisée
sur ce type de risques épidémiques a
même été créée, le CEPI. Composée
de représentants des secteurs public
et privé, la Coalition pour l’innova-
tion en matière de préparation aux
épidémies a d’ores et déjà débloqué
19 millions de dollars pour financer
quatre vaccins. De son côté, le gou-
vernement chinois a annoncé de
premiers essais potentiels sur
l’homme f in avril, tout e n avertissant
que cela ne signifiait pas qu’un vac-
cin serait rapidement disponible.
Aux Etats-Unis, le département
américain de la Santé a passé des

accords distincts avec deux labora-
toires, l’américain Johnson & John-
son et le géant mondial Sanofi Pas-
teur. Ce dernier, qui a signé un
accord de coopération avec l’Auto-
rité pour la recherche-développe-
ment avancée dans le domaine bio-
médical (Barda) du département
américain de la Santé, a plus d’un
atout dans sa manche, dont un can-
didat vaccin contre le SRAS, qui pos-
sède 75 % de similarités génétiques
avec le Covid-19. Il compte utiliser la
plateforme héritée de l’acquisition
de Protein Science pour produire
rapidement de grandes quantités
d’antigènes du coronavirus.

Bientôt un candidat vaccin
chez Pasteur
David Loew, le vice-président exécu-
tif et responsable de Sanofi Pasteur,
table sur un candidat vaccin dans
« moins de six mois » et potentielle-
ment des essais c liniques « d’ici un an
à dix-huit mois », indiquait-il aux
« Echos » la semaine dernière. L’Ins-

titut Pasteur, qui a décrypté le
génome du Covid-19, travaille sur
trois approches différentes, dont
l’utilisation pour transporter du vac-
cin de la rougeole. Employée pour
développer un vaccin contre le virus
du SRAS, elle s’est révélée efficace
chez la souris. Développée avec le
laboratoire autrichien Themis
Bioscience, cette même technique a
fait ses preuves contre le chikungu-
nya dans les deux premières phases
d’essais cliniques. Avec l’autrichien
et l’Université de Pittsburgh, un pre-
mier essai de phase I pour le Covid-
pourrait démarrer en septembre.
Mais quant à sa production à grande
échelle, compte tenu des tests d’effi-
cacité et d e sécurité propres à l’élabo-
ration et la production de vaccins,
difficile d’envisager une production
à grande échelle avant vingt mois au
mieux. D’ici là, l’épidémie aura pro-
bablement disparu. Mais, pour
autant, la science aura progressé,
afin d’être encore plus réactive lors
de la prochaine alerte majeure.n

Mobilisation sans précédent pour trouver un vaccin


Florence Bauchard
@FBauchard


Pa s de doute. Avec la multiplication
de nouveaux cas de coronavirus
sans lien avec des voyages dans les
zones infectées, la France se prépare
à son tour à une véritable épidémie.
Le président Macron l’a confirmé
lors de sa visite, jeudi, à l’hôpital de la
Pitié-Salpétrière, à Paris. Si un arse-
nal de traitements se profile à partir
de thérapies déjà disponibles dans
d’autres maladies type malaria ou
sida, la prévention reste dans le prin-
cipe l’arme la plus efficace.


Des pistes sérieuses
de traitements à partir
de l’arsenal existant
pour d’autres maladies se
dessinent déjà. Côté vaccin,
la mobilisation est massive,
mais sans pouvoir compter
sur une production
à grande échelle
avant un an au plus tôt.


ENTREPRISES


Lundi 2 mars 2020Les Echos

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