Les Echos - 02.03.2020

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Les touristes qui faisaient la queue, vendredi dernier, au Louvre arboraient
de retrait du personnel, inquiet de l’épidémie. Photo Rafael Yaghobzadeh/AP/Sipa

experts, c’est que quand on a des
signes comparables à ceux de la
grippe sans être faible et malade,
le besoin est plutôt de protéger les
autres de votre virus, en restant à
la maison, que d’être hospita-
lisé », explique Martin Hirsch.

Les services spécialisés
préservés
Quant aux 56 soignants de
l’hôpital Tenon qui ont été pla-
cés samedi en « quatorzaine »
après avoir été mis en contact
avec un porteur du coronavirus,
« certains vont peut-être reve-
nir ». « On va adapter la doctrine
pour que les soignants qui ont
croisé une personne infectée puis-
sent travailler avec un masque,
car c’est considéré comme appor-
tant le même niveau de sécurité »,
expose le directeur général de
l’AP-HP. Conformément aux
recommandations ministériel-
les, les soignants dans le circuit
des urgences porteront un
masque standard. Seuls les
intervenants dans les services
infectieux et de réanimation
porteront les modèles sophisti-
qués. Il n’y a, à ce stade, pas de
pénurie de masques.
Reste qu’après des années de
privations, l’hôpital aborde l’épi-
démie de coronavirus en mau-
vaise posture. Près d’un millier
de lits sont fermés au sein du
groupe faute de personnel.
« Nous faisons face en nous adap-
tant à une s ituation tenant compte
de nos difficultés d’effectifs, qui
sont bien connues. Mais grâce au
professionnalisme de tous, ce n’est
ni la tempête ni le bazar », nuance
cependant Martin Hirsch, qui
cherche à rassurer : « Notre
objectif est d’éviter la mortalité. Ça
se joue dans certains services très
spécialisés, que l’on préserve pour
ne pas être pris de court. »n

Solveig Godeluck
@Solwii

Changement de pied complet à
l’Assistance publique - Hôpitaux
de Paris. Le groupe public, qui
représente 10 % de l’hospitalisa-
tion en France, a décidé diman-
che de cesser de garder systéma-
tiquement les victimes du
coronavirus. « On va c ommencer
à Paris à ne pas hospitaliser cer-
tains patients infectés, comme on
le fait pour la grippe », explique le
directeur général, Martin
Hirsch, aux « Echos ». Il s’agit de
l’une des mesures prises ce
week-end en urgence, alors que
l’épidémie est passée au stade 2,
sur une échelle de 3, et que les
trois quarts des 100 cas annon-
cés samedi sont localisés sur la
région parisienne et l’Oise. Elle
ne s’appliquera pas au niveau
national, car toutes les régions
ne sont pas aussi atteintes.
Jusqu’à présent, à l’AP-HP, les
patients qui se présentaient aux
urgences avec une suspicion de
coronavirus étaient retenus,
afin d’enquêter sur les circons-
tances de la contamination, et
pour éviter une propagation. A
présent, la priorité est de libérer
des lits et du temps de soin. Seu-
les les personnes âgées, fragili-
sées par d’autres maladies, ou
gravement atteintes, seront pri-
ses en charge. « Ce que disent les

Après une phase
pré-épidémique où tous
les porteurs du virus
étaient hospitalisés,
l’AP-HP a décidé de ne
garder que les cas graves
et les patients fragiles.
Ce n’est « ni la tempête
ni le bazar », affirme
le directeur du groupe,
Martin Hirsch.

Les hôpitaux de Paris


changent de stratégie


« Un tiers de l’humanité pourrait


être infecté » à terme


Propos recueillis
par Yv es Bourdillon
@yvesbourdillon


M


arc Baguelin, épidémiolo-
giste à l’Imperial College
et à l’Ecole d’hygiène et
médecine tropicale de Londres,
rappelle que la létalité du Covid-
n’est pas très élevée. En matière de
prophylaxie, fermer les frontières
est illusoire, mais instaurer des
mesures volontaires de « distance
sociale » serait utile.


Quelles sont vos projections
sur l’épidémie de Covid-19?
On peut s’attendre à une épidémie
mondiale, qu’il est possible de frei-
ner mais pas d’arrêter et qui pour-
rait affecter à terme entre un tiers et
la moitié de l’humanité. C’est un
taux d’attaque supérieur à celui
d’une grippe saisonnière, qui
infecte environ 10 % des popula-
tions, parce que le coronavirus
semble naturellement plus trans-
missible et que personne n’est natu-
rellement immunisé contre lui,
puisqu’il vient d’apparaître.
A noter qu’une partie seulement
des personnes infectées va montrer


des symptômes et que si toutes les
personnes porteuses du virus peu-
vent être théoriquement contagieu-
ses, en pratique une bonne partie,
peut-être la moitié, ne contaminera
personne. La létalité sur les person-
nes hospitalisées est assez élevée,
de l’ordre de 10 %. En revanche,
nous l’évaluons à 1 % par rapport au
seul nombre de personnes infec-
tées, soit dix fois plus que pour la
grippe saisonnière.

Croyez-vous que l’épidémie
ralentit en Chine autant
qu’il est dit?
Les chiffres chinois sont à prendre
avec prudence depuis le début, le
nombre réel de personnes infectées
étant, pour diverses raisons, sans
doute supérieur dans un facteur dix,

au nombre officiel. Mais il semble
bien que l’épidémie ralentisse en
Chine, d’une part grâce aux politi-
ques de confinement drastique, qui
seraient sans doute impensables en
Occident, et au fait que l’épidémie à
Wuhan plafonne pour raisons natu-
relles, ne serait-ce que parce qu’elle
aurait épuisé son potentiel. Il ne faut
toutefois pas exclure un rebond du
nombre de cas, surtout après la
reprise de l’activité économique.

Quelle est votre analyse sur
le nombre apparemment élevé
de faux négatifs, de personnes
contagieuses non repérées,
ou de personnes réinfectées
après leur sortie de l’hôpital?
On estime que les deux tiers des per-
sonnes infectées qui ont quitté la
Chine n’ont pas été repérées, car
beaucoup ne présentaient pas de
symptômes et ignoraient même
être porteurs du virus. En outre, le
spectre de symptômes est large et
peu spécifique et peut être con-
fondu avec celui d’autres syndro-
mes grippaux donc on ne peut pas
toujours savoir qui est porteur, sauf
analyse en laboratoire qu’on ne peut
pas effectuer à tout hasard sur des
centaines de milliers d’individus.
Aucun test n’étant parfait, il peut
aussi arriver d’être jugé négatif alors
qu’on a encore une charge virale.

Quelle prophylaxie serait
nécessaire sans introduire
des contraintes catastrophi-
ques et paralysant notre
capacité de réaction?
Fermer les frontières s erait illusoire
car des chaînes de transmission
sont déjà probablement en place un
peu partout. Parmi les mesures
drastiques imposées par les autori-
tés chinoises, instaurer une cer-
taine distance sociale en réduisant

les contacts au cas par cas, semble
avoir freiné la propagation.
On peut préconiser d’ores et déjà
des mesures individuelles comme
se laver les mains très régulière-
ment et s’imposer une quarantaine
au moindre soupçon de contamina-
tion. Fermer les écoles? Les enfants
sont très peu malades mais on ne
peut pas exclure qu’ils soient conta-
gieux. Fermer les commerces ne
serait utile que si on peut appliquer
la mesure sur une longue période,
ce qui ne serait envisageable que si
l’on observe une saturation des
services hospitaliers en cas d’explo-
sion massive du nombre de cas.n

MARC BAGUELIN
Epidémiologiste
à l’Imperial College
et à l’Ecole d’hygiène
et médecine tropi-
cale de Londres

Marie-Christine Corbier
@mccorbier


C’est un chiffre symbolique qui a des
conséquences très concrètes sur la
vie quotidienne des Français :
l’Hexagone a franchi la barre des
100 cas avérés de coronavirus,
samedi soir (12 personnes sont gué-
ries, 2 sont mortes et 86 hospitali-
sées). La France est passée au stade 2
de l’épidémie (sur une échelle de 3)
et est devenue le deuxième foyer
d’infection en Europe après l’Italie.
L’intensification de l’épidémie se
traduit par des effets concrets dans
la vie quotidienne des Français,
avec une série de mesures décidées
samedi lors d’un Conseil de défense
et un Conseil des ministres excep-
tionnels, mais aussi en raison des
peurs qu’elle provoque.
Pour faire face à cette accéléra-
tion, « tous les rassemblements de
plus de 5.000 personnes en milieu
confiné » sont annulés, a annoncé
samedi le ministre de la Santé, Oli-
vier Véran. Cette interdiction vaut
aussi pour les rassemblements « en
milieu ouvert quand ils conduisent à
des mélanges avec des populations
issues de zones où le virus circule pos-
siblement ».


La dernière journée du Salon de
l’agriculture a ainsi été annulée.
D’autres événements, comme le car-
naval d’Annecy, ont été supprimés.
A Cannes, le Salon immobilier
Mipim a été reporté à juin. L’inter-
diction de rassemblements « touche
potentiellement des centaines de sal-
les de spectacles en France de plus de
5.000 places, et donc des milliers
d’événements culturels », a prévenu
le Prodiss, syndicat national du spec-

tacle musical et de variété, qui
regroupe producteurs et diffuseurs
de salles et de festivals. Le Louvre,
musée le plus visité au monde, n’a
pas ouvert ses portes dimanche, en
raison d’un droit de retrait du per-
sonnel, inquiet de l’épidémie.
Dans le sport, le semi-marathon
de Paris, qui rassemble générale-
ment 40.000 participants et devait

avoir lieu dimanche, a été annulé. Le
match du championnat de France
de basket entre Villeurbanne et
Monaco a été reporté. Mais les ren-
contres de football de L1 ne sont
pour l’instant pas remises en cause.
La Ligue de football professionnel
(LFP) s e dit toutefois « en contact per-
manent avec les autorités » sur ce
sujet. Quant aux municipales des 15
et 22 mars, « à ce stade, il n’y a pas lieu
d’envisager leur annulation », a pré-
cisé le ministre ce week-end.

Fermer des écoles
« si nécessaire »
Cette « politique de prévention plus
stricte » a pour objectif, selon Olivier
Véran, de « limiter la diffusion du
virus par le brassage des popula-
tions ». Les mesures prises « sont pro-
visoires e t nous serons sans d oute ame-
nés à les faire évoluer», a -t-il p oursuivi,
en souhaitant « paradoxalement
qu’elles durent un peu, parce que cela
voudrait dire que nous parvenons à
contenir la propagation du virus ». Le
ministre de la Santé dit vouloir ne
« pas tout jouer sur l’inquiétude parce
que notre système s anitaire e st solide ».
« Nous avons toutes les armes pour
faire face », a aussi assuré Edouard
Philippe, samedi soir, sur TF1.
Dans les deux foyers de propaga-
tion du virus de l’Oise (Creil, Crépy-
en-Valois, Vaumoise, Lamorlaye,

Lagny-le-Sec) et de Haute-Savoie (La
Balme-de-Sillingy), des mesures
encore plus strictes ont été prises.
Dans le département de la Haute-Sa-
voie, tous les rassemblements ont
été « interdits jusqu’à nouvel ordre ».
Olivier Véran a recommandé aux
habitants de ces six communes
directement concernées de « limiter
leurs déplacements » et « si possible
recourir au télétravail ».
Dans ces cinq communes de
l’Oise, « les établissements scolaires
qui comptent des [personnes qui ont
été en contact avec des individus
infectés] et qui présentent donc un
risque plus élevé ne rouvriront pas
lundi », a indiqué le ministre de la
Santé. « Nous n’hésiterons pas à fer-
mer des établissements si néces-
saire », a-t-il ajouté. Mais, de
manière générale, les consignes
changent pour les écoles : dans la
mesure où le virus « circule déjà » e n
France, « il n’y a plus vraiment de rai-
son de confiner des personnes qui
reviendraient de zones que nous avi-
ons classées en orange », a affirmé
Olivier Véran. En conséquence, les
élèves de retour de Lombardie et de
Vénétie, deux des régions touchées
en Italie, « pourront retourner dès à
présent à l’école ».

(


Lire l’éditorial de Jean-
Marc Vittori Page 14

lAprès avoir atteint les cent cas avérés et le stade 2 de l’épidémie, la France


est désormais le deuxième foyer d’infection en Europe après l’Italie.


lDes annulations de rassemblements annoncées ce week-end aux mesures


concernant les écoles ou le télétravail, la propagation du coronavirus


affecte la vie quotidienne des Français.


l« Nous avons toutes les armes pour faire face », a assuré Edouard Philippe,


samedi soir.


Le coronavirus se propage et affecte la vie qu


ÉPIDÉMIE


La France est
passée au stade 2
de l’épidémie
(sur une échelle de 3).

Elle est devenue
le deuxième foyer
d’infection en Europe
après l’Italie.

RETROUVEZDOMINIQUE SEUX
DANS«L’ÉDITOECO"
À7H
DULUNDIAUVENDREDI

SUR


« Une partie seule-
ment des person-
nes infectées va
montrer des
symptômes et [...]
si toutes les per-
sonnes porteuses
du virus peuvent
être théorique-
ment contagieu-
ses, en pratique
une bonne partie,
peut-être la moitié,
ne contaminera

DRpersonne. »


ÉVÉNEMENT


Lundi 2 mars 2020Les Echos

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