Les Echos - 02.03.2020

(nextflipdebug2) #1

D


ans « L’Homme
qui en savait trop »,
Hitchcock situe
le crime pendant un concert :
quand les cymbales sonnent,
on n’entend pas le coup de
feu. Pour son débat qui durait
trop, le gouvernement tire
son 49.3 quand la crise du
coronavirus s’impose. Peut-
être l’entendra-t-on peu, ou
du moins pas longtemps.
Pourquoi s’attarder sur un
mécanisme parlementaire
quand c’est de notre vie qu’il
s’agit? Des cymbales pour
atténuer le symbole. Faute
d’avoir réussi à prendre
l’opinion à témoin sur
l’obstruction, l’exécutif
choisit un moment où il sait
que les Français ont la tête
ailleurs. Il intègre cette
caractéristique de l’époque
médiatique qui veut qu’un
sujet écrase les autres. Entre
un outil politique, lointain et
complexe, et un sujet aussi
universel qu’une épidémie,
la peur en prime, il n’y a pas
photo. Depuis samedi,
BFMTV consacre nettement
plus de temps au virus qu’aux
retraites. Un risque politique,
cela se circonscrit, considère
l’exécutif, qui prend
la précaution d’assortir
son geste de promesses
d’amélioration du
texte. Laurent Berger semble
encore y croire, qui demande
d’avancer sur la pénibilité
et la « sécurisation des
transitions ». Il s’insurge
mais ne rompt pas. Or il est
devenu un symbole lui aussi,

dans l’opinion et dans la
majorité. Le coronavirus
peut être un ferment d’unité
politique, tente également
Edouard Philippe, non sans
résultat. Ainsi Yannick
Jadot : très critique sur
le 49.3, mais positif sur la
gestion de la crise (Europe 1 -
« Les Echos » -Cnews).
La stratégie a l’apparence de
la vertu. Elle permet au
gouvernement de se
consacrer à l’essentiel, et
d’entrevoir le moment où il
pourra mettre de nouveaux
sujets sur la table. Mais dans
les tréfonds du pays,
comment cheminera-t-elle?
Pas sûr que les inquiétudes
qu’ont les Français sur leur
retraite soient balayées par
celles que suscite le virus.
Pas sûr qu’ils comprendront
que la majorité n’y ait pas
consacré plus de temps.
Si la période est au sujet
médiatique unique,
il est aussi au décryptage
instantané des tactiques et
intentions cachées. Le 49.
n’est plus seul en cause : la
façon dont l’exécutif a choisi
de s’en servir l’est aussi.
Un ressentiment double,
« autoritarisme » et
« cynisme » disent les
oppositions, peut prospérer.
Dans l’opinion, comme dans
la majorité. Pour En marche,
le 49.3 ouvre une période où
tout est possible, y compris la
perte de la majorité absolue.
Des députés sont à la
manœuvre pour constituer
un nouveau groupe.
A l’extérieur, l’avocat Jean-
Pierre Mignard appelle à
« l’autonomie politique »
de la gauche de la majorité
présidentielle. Pour eux,
le 49.3 résonne fort, il a
le son des cymbales.
[email protected]

Stratégie des cymbales


Dans l’opinion, l’exécutif fait le pari que l’effet du
49.3 sera atténué par la crainte du coronavirus.
Mais dans la majorité, la stratégie fonctionne moins.
Une scission du groupe n’est pas à exclure.

LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

Solweig Godeluck
@Solwii


« J’engage la responsabilité du gou-
vernement sur un texte qui n’est pas le
texte initial », a annoncé Edouard
Philippe samedi à l’Assemblée, met-
tant fin aux discussions en cours
depuis deux semaines sur le projet
de loi sur les retraites. Le Premier
ministre a en effet promis d’intégrer
le fruit des travaux des députés, qui
ont siégé non stop, week-ends com-
pris, et des discussions avec les par-
tenaires sociaux sur la pénibilité,
l’emploi des seniors, les transitions.
Le nouveau texte i ntègre des dis-
positions qui étaient initialement


renvoyées à une ordonnance, et
sur lesquelles le gouvernement a
planché ces derniers jours afin
d’avancer. Sept ordonnances sur
29 vont ainsi devenir inutiles. Cela
va de la transition à l’italienne
(conversion des droits acquis dans
les régimes actuels en fin de car-
rière et n on en 2024) a ux modalités
de montée en charge de la nouvelle
assiette de cotisation des fonction-
naires, en passant par la transition
pour les catégories actives.
Autres sujets inscrits « en dur »
dans le projet de loi : l a création de
l’établissement de retraite et de
prévoyance de la fonction publi-
que d’Etat, la prise en charge par
l’Etat des cotisations des artistes-
auteurs et la délégation de gestion
à leur caisse IRCEC, la réversion
des conjoints divorcés.
Dans un geste d’apaisement en
direction des oppositions, le gou-
vernement va également reprendre
certains des amendements déposés
par les divers groupes politiques


  • sauf ceux de La France insoumise.
    Ainsi, les députés communistes
    souhaitaient que les égoutiers
    bénéficient de la « clause du grand-
    père » : ils pourront continuer à
    bénéficier d’un départ anticipé à
    52 ans, s’ils ont été recrutés avant



  1. A l’instar de la majorité, ils
    avaient demandé que les gains de
    productivité soient pris en compte
    dans le pilotage du système de
    retraite, ce qui sera fait.


Garantie de la retraite
des enseignants
Les socialistes vont, de leur côté,
pouvoir rendre obligatoire la décla-
ration d’intérêts et de patrimoine
pour les membres du directoire du
fonds de réserve universel. D’autres
amendements socialistes, identi-
ques à ceux de la majorité, vont être
repris : création d’un article ad hoc
pour garantir la retraite des ensei-
gnants ; clause de réexamen des
conditions d’attribution des droits
familiaux au bénéfice de la mère...

Les Républicains sont également
servis. Le gouvernement a retenu la
création d’un droit à l’information
pour les travailleurs handicapés et
plusieurs a mendements identiques
à ceux de la majorité : l’allongement
de la transition pour les indépen-
dants de 15 à 20 ans ; le maintien de
la personnalité morale des caisses
locales... Les centristes du groupe
UDI décrochent un rapport sur
l’emploi des seniors et un autre sur
la réversion p our les couples pacsés
(également demandé par la majo-
rité), l a détermination de l’évolution
de l’espérance de vie par l’Insee,
l’ajout d’un o bjectif de c onfiance des
jeunes générations dans le système
de retraite.
Enfin, plusieurs groupes ont
demandé à faire figurer de manière
explicite certaines catégories de
population ou certaines caractéris-
tiques dans les principes du futur
système : solidarité apportée aux
aidants ; d épart anticipé pour c ause
de handicap.n

Les principales modifications du projet de loi


qui sera présenté au 49.


Le gouvernement a réécrit
le texte du projet de loi
réformant les systèmes de
retraite. Sept ordonnances
ne sont plus nécessaires.
Certains amendements
de l’opposition vont
être intégrés.


ses troupes et de faire feu de tout bois
à chaque nouvelle difficulté rencon-
trée sur le chemin de cette réforme
qui peine à convaincre les Français.
Le chef de file de La France insou-
mise, Jean-Luc Mélenchon, a ainsi
dénoncé, dans le « JDD », des « pul-
sions totalitaires », taclant du
« Macron pur jus, qui méprise la vie
des gens du commun ». De quoi ten-
ter de faire monter cette petite musi-
que sur l’autoritarisme d’un Emma-
nuel Macron qui serait sourd aux
attentes des Français. Dimanche, le
secrétaire national du PCF, Fabien
Roussel, a appelé les salariés à se
mobiliser devant l’Assemblée mardi
alors que des rassemblements ont
déjà eu lieu samedi soir. Et qu’au pas-
sage, au Havre, la permanence de
campagne municipale d’Edouard
Philippe a été dégradée. Le porte-pa-
role du PS, Boris Vallaud, a accusé,
sur France Inter, le gouvernement
d’« escamoter le débat », alors qu’il a
obtenu en séance « un mur de silence
ou des réponses très partielles ».

accusé le gouvernement de
« cynisme » pour avoir dégainé le
49.3 en pleine montée de l’épidémie
de coronavirus.
« Qu’il y ait de l’énervement chez les
énervés, cela ne nous surprend pas »,
tente de relativiser l’entourage du
Premier ministre face à cette nou-
velle tempête. Pour essayer de con-
trer les accusations de coup de force,
Edouard Philippe a déjà insisté sur
les modifications qu’il retient p our le
projet de loi, avec des amendements
de la majorité et des oppositions – à
l’exception de LFI – ainsi que des
points issus des discussions avec les
partenaires sociaux.
Il a d’ailleurs appelé ces derniers,
dans un courrier, à « faire encore évo-
luer le projet de loi ». Autant de
signaux à sa majorité mais aussi à la
CFDT, dont le secrétaire général,
Laurent Berger, a reconnu, dans « Le
Parisien », quelques « avancées »
mais a maintenu la pression pour
aller beaucoup plus loin, notam-
ment sur la pénibilité.n

lAprès l’annonce, par le Premier ministre samedi, d’un recours au 49.3 pour adopter le projet de loi de réforme


des retraites à l’Assemblée, les oppositions de droite comme de gauche ont déposé une motion de censure.


lEdouard Philippe a appelé les partenaires sociaux à faire encore évoluer le projet de loi.


Retraites : Philippe justifie le 49.


pour surmonter l’obstruction


Isabelle Ficek
@IsabelleFicek


« Coup de force, déni de démocratie »
versus « insurrection en chambre,
débat empêché par l’obstruction »...
Le Premier ministre a, in fine,
dégainé samedi après-midi l’arti-
cle 49 alinéa 3 de la Constitution, qui
permet l’adoption sans vote du projet
de loi de réforme des retraites en pre-
mière lecture à l’Assemblée. Et au vu
des réactions, la bataille se poursuit
de plus belle sur plusieurs fronts.
Celui de l’opinion, sur lequel
s’affrontent oppositions et gouverne-
ment quant à la responsabilité de
l’échec du débat. Et celui du fond de la
réforme, avec la modification du pro-
jet de loi, la suite du débat au Sénat et
la poursuite de la conférence de
financement.
Alors certes, l’exécutif avait pré-
paré le terrain de ce recours au 49.3,
à la fois pour faire passer la potion
amère auprès d’une partie de la
majorité « pas fan du 49.3 mais dési-
reuse d ’aller a u bout de c ette
réforme », dixit l’un de ses poids
lourds. Mais aussi, en dénonçant,
comme l’a refait Edouard Philippe
samedi, La France insoumise,
« l’obstruction délibérée pour empê-
cher la tenue du débat ». Et d’invo-
quer, lui aussi, la démocratie, esti-
mant qu’elle ne peut « se payer le luxe
d’un tel spectacle ». Un signal à son
électorat et une manière de mettre la
pression sur les oppositions. « Ce
n’est pas un 49.3 pour museler la
majorité, mais pour lutter contre le
“zadisme’’ parlementaire », justifie
un haut cadre de LREM.


« Macron pur jus »
Au tant de déclarations qui ont évi-
demment provoqué l’ire des opposi-
tions, et en tête de La France insou-
mise. Dès samedi, députés LR d’un
côté et députés de gauche de l’autre
(LFI, GDR et PS) ont déposé deux
motions de censure séparées qui
doivent être débattues mardi, mais
n’ont pas de chance d’aboutir, étant
donné le poids de la majorité.
L’objectif n’est pas là. Dans un pay-
sage politique qui reste profondé-
ment éclaté, il est essentiel pour cha-
cune des formations de remobiliser


SOCIAL


« Coup de force » pour l e patron du
groupe LR, Damien Abad, « triste
aboutissement d’un texte confus »
pour l’ancien ministre du Travail et
député LR, Eric Woerth... Chez LR,
qui veut travailler l’image d’une
alternance crédible à Emmanuel
Macron et lui dispute une partie de
l’électorat de droite, la motion défen-
dra la fin des régimes spéciaux en
douze ans et un départ à la retraite à
64 puis à 65 ans, a indiqué Damien
Abad, sur France 3. Quant à la prési-
dente du RN, Marine Le Pen, elle a

« Ce n’est pas un
49.3 pour museler
la majorité, mais
pour lutter contre
le “zadisme”
parlementaire. »
UN HAUT CADRE DE LREM

Une manifestation a eu lieu
à l’appel de la CGT devant
l’Assemblée nationale, samedi soir.
Photo François Guillot/AFP

FRANCE


Lundi 2 mars 2020Les Echos

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