Les Echos - 02.03.2020

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44 % des Israéliens préféreraient un gouvernement dirigé par Benyamin Netanyahu
et 42 % par Benny Gantz. Photo Ahamad Gharabli/AFP

Catherine Dupeyron
@catherine-dupeyron
—Correspondante en Israël


Le coronavirus s’est invité dans le
« troisième tour » des élections
israéliennes. D’une part, vingt
bureaux de vote sont spécialement
aménagés pour les personnes
mises en quarantaine. D’autre part,
plus de six électeurs sur 100 pour-
raient renoncer à aller voter par
peur du coronavirus, d’après un
sondage réalisé la semaine précé-
dant le scrutin. Cela représenterait
416.000 voix, ce qui augmenterait
sensiblement le taux d’abstention,
qui de toute façon risque d’être
assez élevé compte tenu de la lassi-
tude des Israéliens.
Avi, la soixantaine, qui a toujours
été très engagé politiquement, a
décidé de profiter du jour férié des
élections pour s’o ffrir un week-end
prolongé à l’étranger. « Ça suffit, ils se
fichent de nous », confie-t-il exas-
péré. D’autres préfèrent plaisanter.
« Dites-moi pour les élections, il faut
arriver avec sa carte d’identité ou bien
maintenant ils se souviennent de
nous?! » est l’un des messages qui
circulent sur les réseaux sociaux.


Les sondages
se sont inversés
Le Li koud et Bleu-Blanc devraient
de nouveau être au coude-à-coude.
Si Bleu-Blanc menait la bataille
de un ou deux sièges il y a une quin-
zaine de jours, le rapport de force
s’est, depuis, inversé au profit du


Likoud. Du coup, l’un et l’autre mul-
tiplient les messages enjoignant les
électeurs à se déplacer et à voter
utile – autrement dit pour eux plu-
tôt que pour les petits partis
d’appoint au sein de la future coali-
tion g ouvernementale. Quoi qu’il en
soit, comme lors des deux précé-
dents scrutins, aucune des deux
principales formations politiques
ne devrait pouvoir former un gou-
vernement majoritaire d’au moins
61 députés et la situation de blocage
politique risque d’être peu ou prou
la même.
Aucun des événements des trois
derniers mois n’a d’impact sur les
intentions d e vote. Pourtant, il y a a u
moins deux éléments majeurs qui
auraient pu faire bouger les lignes.
D’une part, l’annonce du début du
procès de Benyamin Netanyahu,
inculpé de corruption, fraude et
abus de confiance, fixé au 17 mars.

D’autre part, le plan Trump, qui
octroie la souveraineté à Israël sur
environ 30 % de la Cisjordanie et
prévoit un Etat palestinien morcelé
et grignoté. Mais, quoiqu’il se passe,
les rapports de force p olitiques sont
figés. Il en résulte trois options : un
gouvernement d’union nationale,
un quatrième tour de scrutin ou
bien u n gouvernement minoritaire.

Vers un quatrième tour?
Le gouvernement d’union nationale
réunissant Bleu-Blanc et le Likoud
ne semble possible que si Netanyahu
se retire. Un gouvernement minori-
taire est une situation politique qui
s’est présentée maintes fois en cours
de législature mais il n’y a jamais eu
de gouvernement minoritaire mis
en place juste après les élections.
Cependant, la loi ne l’interdit pas.
Enfin, un quatrième tour n’est pas
totalement exclu. D’ailleurs, 30 %
des Israéliens pensent que c’e st ce
qui va se passer. « Après tout, per-
sonne ne croyait à un troisième
tour! » remarque Ariel. « Ce serait
une catastrophe, notamment sur le
plan économique. Tous les budgets
sont gelés, comme les subventions
accordées aux plus démunis. Ce sont
eux qui souffrent le plus. »
La campagne n’intéresse guère et
elle est axée sur les questions de
personnes. Or, 44 % préféreraient
un gouvernement dirigé par Benya-
min Netanyahu et 42 % par Benny
Gantz. Un faible écart, alors que le
chef du parti Bleu-Blanc a long-
temps souffert d’un handicap signi-
ficatif par rapport à son concurrent
qui semblait le seul à pouvoir diri-
ger le pays.n

lLundi, 6,4 millions d’électeurs sont attendus aux urnes.


lD’après les sondages, les résultats devraient


être très proches de ceux d’avril et de septembre 2019.


Les Israéliens appelés à voter pour

la troisième fois en moins d’un an

MOYEN-ORIENT


IMMOBILIER

COMMENT RÉUSSIR

SON INVESTISSEMENT?

DOSSIER
SPÉCIAL

Vendredi 6mars

« La société israélienne


s’est largement fragmentée »


C


laude Klein, professeur de
droit constitutionnel à
l’Université hébraïque de
Jérusalem, analyse la situation poli-
tique historique du troisième tour
électoral en moins d’un an qui se
tient ce lundi.


Comment expliquez-vous
que rien n’ait fait évoluer
les rapports de force?
Ni l’inculpation de Benyamin
Netanyahu ni le plan
Trump. La population
est plutôt atone face à cette
situation politique inédite...
C’est vrai. C’est lié au fait que le vote
est très communautariste, c’est-à-
dire ashkénaze et laïc d’un côté,
séfarade et religieux de l’autre. Il
suffit de comparer les résultats : à
Tel-Aviv, 70 % des électeurs votent
Bleu-Blanc et, à Jérusalem, 70 %
votent pour le Likoud et les partis
religieux. Et il y a aussi le vote
arabe. Quant au plan Trump, il n’a
aucun impact. Il n’y a que 20 à 25 %
maximum de la population qui
souhaite vraiment l’annexion et la
souveraineté sur la vallée du Jour-
dain et les implantations de Cisjor-
danie. Les gens qui votent Likoud
ne font pas tous partie de la droite
idéologique dure.


Benyamin Netanyahu
a proposé un débat télévisé
avec Benny Gantz, lequel
a refusé. Cela aurait-il
pu faire bouger les lignes?
D’abord, je considère qu’un débat
télévisé serait illégal, car nous ne
sommes pas d ans u n système prési-


tructif, u ne formule inventée par les
Allemands.

Depuis quelques années,
les élections à répétition
ont eu lieu dans plusieurs
démocraties. Comment
expliquez-vous
ce phénomène?
Je c rois que c’est u n signe de profon-
des divisions dans les sociétés. Les
électeurs sont partagés entre plu-
sieurs forces. En l’o ccurrence, la
société israélienne s’est largement
fragmentée. Une des raisons a été la
tentative de l’élection directe du
Premier ministre, qui a eu lieu en
1996, 2000 et 2001. Cela a provoqué
un éclatement des votes. Il n’existe
plus de grand parti dominant
comme autrefois. En 1981, le Likoud
et le Parti travailliste avaient, à eux
deux, 96 sièges sur les 120 que
compte la Knesset! Et comme en
Europe, la gauche a disparu. La
gauche ici, c’était surtout la ques-
tion du conflit. Or les Israéliens se
disent : « On n’arrivera pas à faire la
paix avec les Palestiniens. »

Israël a fait la paix avec
l’Allemagne, cela ne veut-il pas
dire que la paix est faisable,
quel que soit le passif, à com-
mencer par les Palestiniens?
Je ne sais pas. Là-bas, les nazis nous
ont tués, ici, on a pris la place des
Palestiniens. Pour eux, on est illégiti-
mes, on est un corps étranger et, de
leur point de vue, c’est vrai. Je pense
que c’est encore plus profond, même
s’il y a eu beaucoup moins de morts.
Propos recueillis par C. Du.

dentiel. Tous les partis en lice peu-
vent prétendre participer au débat.
Ensuite, on ne sait jamais ce qui se
passe lors d’un débat. En l’an
2000, Benyamin Netanyahu avait
été laminé par Itzhak Mordehaï,
un politicien sans envergure parti-
culière. D’ailleurs, depuis, « Bibi »
avait toujours refusé les débats.

Est-ce que l’on s’achemine vers
un gouvernement minoritaire?
Oui. L’autre possibilité, c’e st qu’il y
ait des mouvements internes au
Likoud dès lors que le procès de
Benyamin Netanyahu aura com-
mencé. C’est possible, car, le
17 mars, c’est la lecture de l’acte
d’accusation, ce qui est très grave.

Un tel gouvernement
ne serait-il pas plus légitime
que le gouvernement
transitoire en place
depuis décembre 2018?
Absolument. De toute façon, un
gouvernement minoritaire peut
obtenir une majorité de votes,
même si celle-ci n’est pas absolue.
En outre, depuis les années 1990,
pour renverser un gouvernement,
l’opposition doit donner le nom du
prochain Premier ministre. Cela
s’appelle un vote de défiance cons-

CLAUDE KLEIN
Professeur de droit
constitutionnel
à l’Université hébraï-
que de Jérusalem

« [Un quatrième
tour] serait
une catastrophe,
notamment sur
le plan économique.
Tous les budgets
sont gelés, comme
les subventions
accordées
aux plus démunis.
Ce sont eux qui
souffrent le plus. »
ARIEL

MONDE


Les EchosLundi 2 mars 2020

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