Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1
10 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi^20 Février 2020
Monde

Le ministre de l’Economie, Martín Guzmán, le 12 février devant le Congrès juste avant la visite du FMI dans le pays. Photo A. Marcarian. Reuters

Entre l’Argentine et le FMI,


un bras de fer très politique


Acculé par ses
créanciers, Buenos
Aires tente de
renégocier depuis
mercredi le prêt
colossal contracté
par l’ex-président
Macri afin d’éviter
une saignée sociale
dans le pays.

L


a saga va recommen-
cer. La première visite
depuis mercredi du
Fonds monétaire internatio-
nal (FMI) à Buenos Aires de-
puis l’arrivée au pouvoir, en
décembre, du président péro-

financière du pays, et surtout
grâce à des taux d’intérêts
­faramineux.
Mais les capitaux arrivés ne
sont restés que le temps de la
spéculation et n’ont donc pas
permis des investissements
productifs. Cette fuite de ca-
pitaux a grandement contri-
bué à plonger le pays dans la
crise : dévaluation du peso,
inflation en roue libre, chute
de la production et explosion
de la pauvreté (qui touche
40 % de la population)...

Fuite en avant. En trois
ans, le pays est entré dans une
grave récession. Un pano-
rama peu alléchant pour les
investisseurs, qui ont coupé
les crédits et commencé à ré-
clamer leur dû. La solution de
Mauricio Macri a été de conti-
nuer cette fuite en avant en
demandant un nouveau prêt

au seul organisme encore en
mesure de le lui accorder : le
FMI. Et sans le valider par un
vote du Congrès.
Mi-2018, l’organisme a déblo-
qué 57 milliards de dollars,
mais la dernière tranche a été
refusée par Alberto Fernán-
dez, et l’Argentine n’a finale-
ment touché «que» 44 mil-
liards. Et sans changement de
politique financière, les mê-
mes causes ont produit les
mêmes effets. La fuite de ca-
pitaux s’est intensifiée et la
récession enracinée.
Le peso a continué de dégrin-
goler, accentuant encore
l’énormité d’une dette con-
tractée en dollars. Mauricio
Macri s’est vu contraint de re-
connaître qu’il ne pouvait pas
faire face aux échéances pro-
grammées. Quelques mois
avant de laisser le pouvoir, il
a commencé un «reprofilage»

Par
Mathilde
Guillaume
Correspondante
à Buenos Aires

le ministre de l’Economie,
­Martin Guzmán, la semaine
dernière devant le Congrès,
désignant ainsi la précédente
administration néolibérale
de Mauricio ­Macri comme
la principale responsable
des difficultés ar-
gentines.
Ce dernier avait
hérité en 2015
d’un pays relativement dé-
sendetté, à l’exception d’un
contentieux avec des fonds
d’investissement dits «vau-
tours». En les indemnisant
selon leurs exigences (l’une
de ses premières mesures), il
avait fait revenir l’Argentine
sur le marché international
du crédit. Son plan : attirer,
après des années de protec-
tionnisme, «une pluie d’in-
vestisseurs étrangers» grâce à
l’attrait de ses politiques
d’ouverture économique et

niste de centre gauche Al-
berto Fernández a rempli sa
mission. Le canal de commu-
nication est ouvert, la nou-
velle renégociation de la co-
lossale dette argentine peut
démarrer. En jeu : 44 mil-
liards de dollars
(40,7 milliards
d’euros) prêtés
par l’organisme
de crédit international au
pays en 2018, soit le prêt le
plus important ­jamais ac-
cordé à un pays émergent,
venu s’ajouter aux 151 mil-
liards déjà prêtés par des cré-
diteurs privés. Mais c’est la
santé économique du pays et
de son peuple, aujourd’hui
plus que souffreteuse, qui se
joue en ce moment.
«Le poids de la dette est insou-
tenable. C’est la conséquence
d’un schéma économique très
loin d’être réussi», a déclaré

L'histoire
du jour

des obligations de la dette,
autant auprès du FMI que de
ses créditeurs privés. Un néo-
logisme pour éviter de se dé-
clarer en défaut de paiement
et laisser le sale boulot à son
successeur.
Aujourd’hui, l’équipe du pré-
sident Fernández, élu en
grande partie à cause de
l’échec patenté des politiques
économiques de son prédé-
cesseur, est dans une situa-
tion complexe. Pour 2020, les
remboursements de capital et
d’intérêts atteignent 34,3 mil-
liards de dollars et ils vont re-
présenter quelque 200 mil-
liards supplémentaires au
cours des quatre prochaines
années. Les réserves interna-
tionales de l’Argentine, elles,
culminent à 44,68 milliards
de dollars.

Pouvoir d’achat. Com-
ment rembourser sans sai-
gner un peu plus son peuple?
Le plan économique d’Al-
berto Fernández, dont les
contours restent flous, ne
prévoit pas de réduction dras-
tique du déficit fiscal mais
tend à relancer l’activité éco-
nomique, aujourd’hui exsan-
gue, par la demande. En clair,
redonner du pouvoir d’achat
aux Argentins, soit le con-
traire des mesures d’austérité
prônées par le FMI.
Il demande du temps pour
que le pays se redresse et
puisse commencer à rem-
bourser. La vice-présidente
(et ancienne présidente du
pays de 2007 à 2015), Cristina
Kirchner, a quant à elle évo-
qué la nécessité d’un audit de
cette dette en vue d’un allè-
gement de son capital, en
principe interdit par les sta-
tuts du FMI et déjà refusé par
Kristalina Georgieva, la di-
rectrice du Fonds. Mais ces
mêmes statuts prohibent
également l’attribution d’un
prêt s’il est destiné au rem-
boursement d’une dette pré-
alable et à la fuite de capi-
taux, ce qui a été le cas en
Argentine. «Alors pourquoi
faire valoir un interdit et pas
l’autre ?» a-t-elle questionné.
Le FMI est «aussi responsable
de la crise de la dette et de la
crise économique que vit au-
jourd’hui l’Argentine», a con-
firmé le ministre de l’Econo-
mie, qui part ce week-end en
Arabie Saoudite pour assister
au sommet du G20, où il ren-
contrera notamment Krista-
lina Georgieva. Pour poursui-
vre le bras de fer.•

Maroc : trente mois ferme pour
des «vidéos offensantes»
Après des youtubeurs, un lycéen et un rap-
peur, ­Rachid Tahiri (alias Bassirou), un blogueur marocain, a été
condamné à deux ans et demi de prison ferme pour des vidéos
diffusées sur ­YouTube et jugées «offensantes» envers «des insti-
tutions de l’Etat» et le «drapeau et symbole du royaume». La con-
damnation s’inscrit en droite ligne de plusieurs sanctions judi-
ciaires récentes visant les ­réseaux sociaux au Maroc.

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