Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1
14 u Libération Jeudi^20 Février 2020
MUNICIPALES

Dans la cité du Nouveau Logis, l’un des principaux quartiers gitans de Perpignan, le 10 janvier. Photo David Richard. Transit

A Montpellier et à Perpignan, les


«référents» gitans montrent la voix


Les influentes
figures de la
communauté sont
approchées par les
candidats pour
qu’ils relaient des
consignes de vote
sur fond de
clientélisme et
de montée du RN.

«P


our la première
fois, il y aura un
gitan sur une liste
aux municipales à Montpel-
lier. Ce sera moi.» Stéphane
Hernandez se cale dans son
siège, tout sourire, à la ter-
rasse d’un café qui borde

didat, on le dit et la commu-
nauté nous écoute, explique
Nano. Question de confiance.»
C’est ainsi que pendant
­trente-cinq ans, les Gitans
de Montpellier, unis derrière
«l’Indien», le père de Yaka,
ont soutenu l’ancien maire,
feu Georges Frêche. Voteront-
ils de nouveau comme un
seul homme? Nano l’espère ;
il évalue cette réserve électo-
rale à 7 000 voix.

Recruter. A Montpellier
comme ailleurs dans le
Grand Sud, les «référents»
occupent une place centrale
dans le choix du vote des
­gitans. Populaires et respec-
tés dans leur quartier, actifs
pour leur communauté, ils
sont volontiers consultés et
écoutés en période d’élec-
tions. «Chez nous, la consigne
de vote existe toujours»,

­r é s u m e Ya k a. M a i s c e s
­référents s’imposent aussi
comme de précieux interlo-
cuteurs pour les «pailloux»,
les non-Gitans.
Plusieurs référents de l’Hé-
rault et des Pyrénées-Orien-
tales nous ont confié avoir été
approchés par des candidats
dans leur ville afin de relayer
la bonne parole politique au
sein de leur communauté.
«Ils nous disent qu’élus, ils
pourront embaucher à la
mairie un fils ou un cousin, ou
bien aider nos associations ou
notre quartier, qu’ils s’arran-
geront pour trouver un loge-
ment social à tel ou tel...» té-
moigne Tony (1), lui-même
démarché par plusieurs poli-
tiques à Perpignan. «Quand
on est référent et qu’on de-
mande quelque chose, on
nous l’accorde.» Mais il y a
une contrepartie, explique-

Par
Sarah Finger
Correspondante
à Montpellier

Nano. Mais il voulait décider
de tout, et on ne voulait pas
­servir de caution.» Quant
à Philippe ­Saurel, l’actuel
maire ex-PS­ (voir ci-dessus),
pour Nano, c’était non : «Sau-
rel a tué les quartiers. Il nous
méprise. On ne
voulait pas être
complices de sa
­réélection.» C’est
donc la liste du député Pa-
trick ­Vignal (LREM) qu’ils
ont rejointe : «C’est le seul qui
nous a montré qu’il nous vou-
lait. Depuis, on est des parte-
naires officiels et privilégiés.
Et je ­serai en position éligible
sur sa liste.»
Nano a organisé une réunion
avec environ 200 gitans de
Montpellier pour les briefer,
autrement dit pour les inciter
à voter Vignal. «Si on estime
que c’est bon pour nous, qu’on
peut se mobiliser pour un can-

la cité Gély. Ici, dans le plus
grand quartier gitan de
Montpellier, celui que tout le
monde appelle «Nano» fait
­figure d’exception : «Dans
­notre communauté, les gens
votent volontiers mais ils sont
très peu politi-
sés. Moi, la poli-
tique m’inté-
resse.»
Hernandez est l’un des
­piliers de ­Citoyens démo­-
crates et solidaires (CDS),
un mouvement qu’il a créé
avec ­Fernand ­Maraval, dit
«Yaka», figure de proue de
la communauté ­gitane à
Montpellier. Ensemble, ils
ont «consulté les candidats»
à la mairie, notamment
­Mickaël Delafosse (PS) et
Mohed ­Altrad, patron de
l’empire ­industriel éponyme
(sans ­étiquette). «Altrad,
on l’a vu six fois, affirme

L'histoire
du jour

t-il : recruter des bénévoles
dans la communauté pour
tracter dans le quartier, con-
vaincre de «bien» voter... Pa-
tricia, qui se dit ex-référente
de Jean-Marc Pujol, maire LR
de Perpignan (candidat à sa
succession), raconte : «On­ fai-
sait de grandes réunions pour
lui dans notre quartier. Et
­Pujol a fait un bon score ici.
Il était bien content.»
Egalement établi à Perpi-
gnan, Jeannot, un musicien
investi auprès des jeunes de
la communauté gitane, ra-
conte qu’il a lui aussi été
contacté par plusieurs can-
didats, ou par leurs bras
droits pour réaliser une «pe-
tite intervention» : «Ils vou-
laient que je fasse un spec­-
tacle à leur permanence.
Accepter, ça signifie qu’on les
soutient. Des gens dont je n’ai
pas eu de nouvelles pendant
cinq ans se remettent à m’ap-
peler ou à venir à mes con-
certs. Et on me promet des
boulots stables pour les jeu-
nes dont je m’occupe...»

Part du gâteau. Ce clienté-
lisme semble avoir atteint ses
limites : plusieurs référents
confirment que la tentation
du vote RN enfle au sein de la
communauté gitane. Anto-
nio, 67 ans, habite une cité du
Haut-Vernet, à Perpignan. Il
explique pourquoi il compte
donner sa voix à Louis Aliot :
«Ça fait vingt ans qu’on est
dans ce logement social avec
ma femme, et ça fait dix ans
qu’on veut en partir, raconte
cet ancien employé de mai-
rie. On vit enfermés à cause
des trafiquants de drogue qui
sont juste là, dehors. Il y a eu
une fusillade il y a deux jours.
Mais on ne voit jamais une
voiture de police. Le maire n’a
rien fait ici.» Antonio et sa
femme ont l’impression que
«ces gens [du RN, ndlr] sont
plus honnêtes», et que dans
l’isoloir, «pas mal» de gitans
feront le même choix.
Certains disent toutefois en
avoir marre d’être manipulés.
Comme Nano à Montpellier :
«C’est fini les porteurs d’eau,
les colleurs d’affiches, les pro-
messes non tenues. On veut
notre part du gâteau.» Quant
à Tony, il cite en riant un pro-
verbe gitan : «Le politique
c’est comme le pigeon. Quand
il est à terre il te mange dans
la main, et quand il vole il te
chie dessus.»•

(1) Le prénom a été changé.

A Montpellier, Philippe Saurel,
candidat de l’esquive Sans sur-
prise, le maire sortant a confirmé mer-
credi qu’il briguerait un deuxième ­mandat. Elu en 2014
avec une candidature jugée dissidente par le Parti socia-
liste, celui qui a soutenu Emmanuel Macron en 2017 a re-
fusé le ­macaron LREM et se présente avec une liste sans
­étiquette, «Montpellier la citoyenne», dont les membres
ont dû renoncer à leur affiliation partisane. Photo afp

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