Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1

Libération Jeudi 20 Février 2020 u 31


P


our le journaliste Ian Hamel,
Tariq Ramadan est une
vieille connaissance. Cela lui
vaut d’ailleurs beaucoup de féroces
­campagnes de dénigrement sur les
réseaux sociaux de la part des der-
niers supporteurs du leader mu­-
sulman. Correspondant du Point
en Suisse, Hamel a suivi pas à pas
l’itinéraire et l’ascension de l’acti-
viste religieux depuis une quin-
zaine d’années. Ce spécialiste des
affaires ­financières est un enquê-
teur chevronné ayant déjà débus-
qué des éléments gênants dans le
parcours de Ramadan, notamment
la manière problématique dont il a
décroché son doctorat en islamo­-
logie. Il a publié en 2007 une pre-
mière biographie du leader musul-
man, la Vérité sur Tariq Ramadan,
sa famille, ses réseaux, sa stratégie
(Favre). Remontant aux sources de
la saga ­familiale, Hamel mettait au
jour les racines de Tariq Ramadan.
Lui-même et son frère Hani étaient
destinés à reprendre le flambeau du
père, Saïd Ramadan, l’envoyé de
la confrérie des Frères musulmans
pour l’implanter en Europe dans les

années 60. A l’époque, l’enquêteur
était allé jusqu’au Caire et avait ren-
contré Gamal el-Banna, oncle ma-
ternel de Tariq Ramadan et fils de
Hassan el-Banna, le fondateur de la
puissante confrérie.

«Ponts». Depuis l’automne 2017,
Tariq Ramadan, accusé par plu-
sieurs femmes de viols, est empêtré
dans de sales affaires judiciaires en
France et en Suisse. A la faveur de
ces événements, le journaliste a re-

O


n tient d’abord
A mains nues
pour un simple
mais festif manifeste du
désir, du plaisir, féminin
mais pas que ; le tout se
double bientôt d’une of-
frande sincère, celle d’un
individu doué de con et
de conscience, à peu

près hétérosexuel, qui se
retourne soudain comme
un gant, s’efforçant de ren-
verser toutes ses digues
­intimes pour donner,
­peut-être, quelque chose
d’un peu neuf à lire. Mais,
même à mains nues,
pas évident de toucher,
à l’écrit, par sa seule sincé-

rité : on risque toujours
de se laisser bercer par
sa propre petite musique,
et de dévier vers l’auto­-
fiction complaisante, vite
écœurante. Ici, ce n’est pas
le cas. Amandine Dhée
avance à tâtons mais
­surtout à poil, vulve au
vent, à peine voilée – dé-
doublée par l’écriture ; elle
livre ainsi une forme de vé-
rité hachée car crue (voire
cruelle parfois) sur elle-
même, et sur ce que c’est
que d’être humain aussi.
C’est-à-dire accro au désir.

Tout y passe, empoigné
sans ménagement, dans
des allers-retours agréable-
ment décousus, façon
étreinte. Le sexe, bien sûr,
et son incontournable
«continent clitoris» : «Ce
n’est pas le moment de refu-
ser de lécher les femmes,
mais plutôt d’y voir, en plus
du plaisir, un acte politique
d’une grande noblesse» ;
«Jouir est une si belle façon
de désobéir.» Le désir,
qui se marre bien en lisière
clair-obscur de nous-mê-
mes : «Dans nos fantasmes,

n’est-ce pas toujours nous,
les cheffes ?» ; «Nos désirs
sont bien plus retors,
­intelligents et magiques
que nous.» La place béton-
née attribuée aux femmes,
ciment à prise rapide sous
le règne maçonné – ici ou là
ébranlé, #MeToo est dans
la place, mais tenace – du
patriarcat réifiant : «S’ex­-
cuser, la maladie des
­femmes» ; «Que les femmes
parviennent encore à dési-
rer, leur désir pas complète-
ment éteint, pas cramé à
force de faire d’elles des ob-
jets, cela tient du miracle.»
Et encore la question-dia-
gonale du genre («nous
sommes tous fabriqués»),
la maternité («cet amour
si fort qu’il pue la mort,
la terreur de perdre») et

puis, bien sûr, le sentiment
amoureux, satellite de tout,
à l’origine de la plupart
des va-et-vient en nous
et hors nous.
Essai féministe impeccable
jusque dans ses doutes,
ses errances, ses renonce-
ments, A mains nues,
c’est le Bad Feminist fran-
çais, en plus humide ; un
exercice de journal intime
souvent explosif, où il est
en fait sans cesse question
de cette liberté essentielle-
ment inconquise d’être
et de rester vivant·e.
Antonin
Iommi-Amunategui

Amandine Dhée
À mains nues
La Contre Allée,
114 pp., 16 €.

«A mains nues», Amandine Dhée


en quête des sens


L’essai féministe, dans une sorte
de journal intime à la vérité crue,
explore le désir et le plaisir féminins,
érigés en actes politiques.

Performance Le merveilleux scientifique, genre
littéraire méconnu, regorge de machines capables
de lire les pensées des criminels, tel l’«optogramme»
de Villiers de L’Isle-Adam. La Gaîté lyrique organise
ce jeudi à 19 heures une performance sur le détecteur
de mensonges puis une rencontre avec Fleur
Hopkins, chercheuse invitée de la BNF, spécialiste
du merveilleux scientifique. Photo xxx
3 bis rue Papin 75003. Rens. : http://www.gaité-lyrique.net

Rencontre La librairie Ombres blanches à Toulouse
propose une rencontre ce jeudi à 18 heures avec
Antoine Volodine à l’occasion de la parution de Kree
(l’Olivier), signé Manuela Draeger, un des hétéronymes
de l’écrivain, qui imagine une héroïne éponyme, mi-
sorcière mi-voyante, dans un monde apocalyptique
sans électricité où rôdent des oiseaux à taille humaine.
Photo Samuel KIRSZENBAUM
3, rue Mirepoix, 31000 Toulouse.

pris son travail d’enquête. Fruit ­de
ses recherches, il publie sa
­deuxième biographie de l’activiste,
Tariq Ramadan, histoire d’une
­imposture.
Qui a favorisé l’ascension de Rama-
dan? «Des idiots utiles», s’indigne
Hamel, reprenant l’expression de
Lénine. Qui sont-ils? Des intellec-
tuels, les très laïcs dirigeants de la
Ligue de l’enseignement, l’Eglise
catholique, des hommes de gau-
che, comme le Suisse Jean Ziegler...
«Le vrai talent de Tariq Ramadan
réside dans sa capacité à établir des
ponts avec un ensemble d’intellec-
tuels non musulmans», ­relève l’au-
teur. C’est vrai, mille fois vrai. Pour
ce qui est de l’Eglise ­catholique,
elle lui apporte, selon Hamel, long-
temps «un soutien indéfectible». Il
s’étonne que beaucoup lui aient ac-
cordé longtemps leur confiance.
Bref, ils auraient été aveugles.
Est-ce si ­simple? est-on tenté de ré-
torquer à Ian Hamel. Ramadan est
le fruit d’une époque. Qu’il a habi-
lement mise à profit. Dans les an-
nées 90, ­nombre d’intellectuels et
d’institutions cherchaient des lea-
ders musulmans avec qui dialo-
guer. Et, à partir de 2003-2004, les
polémiques vont diviser le camp de
ses anciens supporteurs, notam-
ment à gauche.

«Monstre». Dans un récit dense
qui ­couvre vingt ans de l’histoire de
l’islam en France, l’auteur retrace
les débats suscités par Ramadan,
ses positions parfois ambiguës.

Comme à l’égard de Mohammed
Merah. S’il condamne les actes
de l’ex-délinquant, il lui trouve,
­selon Hamel, des circonstances
­atténuantes. «Son destin fut trop tôt
enchaîné à la perception de ses ori­-
gines», a déclaré le 22 mars 2012 le
leader musulman.
Il y a dix ans, Hamel était l’un des
rares à avoir eu connaissance de
la double vie tumultueuse de Tariq
Ramadan. A la suite de la publi­-
cation de sa première biographie,
il reçoit des appels anonymes de
­jeunes femmes musulmanes se
présentant comme d’ex-maîtres-
ses. «Elles dénonçaient toutes un
­monstre froid, obsédé sexuel, âpre
au gain, sans foi ni loi, pour qui l’is-
lam n’était qu’un business juteux»,
écrit Hamel. Ces révélations le
mettent dans l’embarras car au-
cune ne ­voulait porter plainte. A ce
moment-là, aucune n’évoque des
violences sexuelles. Pourquoi?
Nous restons avec nos interroga-
tions. Puis, le journaliste est con-
tacté par Majda Bernoussi. Celle-ci
n’a pas froid aux yeux et veut dé-
noncer à visage découvert l’impos-
ture du prédicateur. Elle veut pu-
blier un ­livre. Rien ne se passe.
L’affaire, à ce moment-là, n’inté-
resse pas...
Bernadette Sauvaget

Ian Hamel
Tariq Ramadan,
Histoire d’une imposture
Flammarion,
480 pp., 22 €.

Tariq Ramadan, des postures à l’«imposture»


Après une première
biographie de
l’activiste religieux
parue en 2007,
le correspondant
en Suisse du «Point»
publie une nouvelle
enquête à l’aune des
accusations de viols.

Tariq Ramadan en 2017. Photo Levene David. Eyevine. ABACA
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