Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1

6 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi^20 Février 2020


Le départ du Royaume-Uni de l’UE a fait perdre au budget européen

U


ne nouvelle fois, les vingt-
sept Etats européens vont
offrir, à partir de ce jeudi,
un triste spectacle au monde : celui
d’une bataille de chiffonniers au-
tour du budget communautaire.
A la manœuvre, le club des radins
(Allemagne, Autriche, Danemark,
Pays-Bas et Suède), pourtant grand
gagnant de la construction com-
munautaire, qui refuse non seule-
ment de dépenser un euro supplé-
mentaire mais souhaite même
réduire sa contribution.
Pourtant, les sommes en jeu ne
sont pas mirobolantes : elles
­représentent à peine 1 % du revenu
national brut (RNB) européen (1),
à comparer aux 47 % du RNB en
moyenne des dépenses publiques
nationales (43,9 % du PIB pour l’Al-
lemagne, 56 % pour la France...)

Ceux qui espéraient que le départ
du Royaume-Uni, qui a toujours dé-
testé tout ce qui ressemblait à de la
solidarité financière entre riches et
pauvres, permettrait à l’UE de se
montrer enfin ambitieuse en seront
pour leurs frais. Ce sommet, le pre-
mier consacré au cadre financier
pluriannuel (CFP) 2021-2027, risque
de se solder par un échec tant les
positions sont éloignées entre les
riches égoïstes et ceux qui veulent
que l’Union ait les moyens de se dé-
velopper pour peser sur le monde.
Il faudra sans doute un ou deux
sommets supplémentaires pour
parvenir à un compromis, qui sera
de toute façon a minima.

Un budget européen,
pour quoi faire?
C’est la contrepartie naturelle à l’ou-
verture des frontières intérieures de
l’Union et à la création du marché
unique (sans même ­parler de l’euro)
puisque ce sont les pays les plus

compétitifs qui en profitent en pre-
mier lieu. Les traités européens ont
donc prévu un minimum de trans-
ferts financiers au profit des plus
pauvres pour leur permettre de rat-
traper leur retard de développe-
ment et ainsi éviter qu’ils devien-
nent de simples colonies absorbant
des biens et des services produits
ailleurs. Au fur et à mesure du déve-
loppement de l’UE, ce budget s’est
développé afin de renforcer la con-
vergence économique mais aussi fi-
nancer les nouvelles compétences
européennes. Autrement dit, le
budget européen est un indicateur
du degré de solidarité auquel les
Etats sont prêts à consentir mais
aussi de leur vision de ce que doit
être l’Europe : un grand marché
avec un minimum de solidarité ou
une fédération en devenir avec les
transferts budgétaires que cela im-
plique. C’est à partir de la relance
de 1985 que le budget a connu une
forte ­expansion : pour faire passer

la ­pilule auprès des Etats, la Com-
mission a veillé à ce que chaque
programmation pluriannuelle
(d’une durée de cinq ou sept ans
afin de sortir des batailles budgé­-
taires annuelles) s’appuie sur un
projet politique : l’achèvement du
marché unique (1988-1992 ou pa-
quet ­Delors I qui a créé les fonds
structurels ou aides régionales),
l’Union économique et monétaire
(1993-1999, paquet Delors II), l’élar-
gissement (2000-2006) qui sera
­ensuite combiné à l’agenda de Lis-
bonne visant à renforcer la compé-
titivité (2007-2013).

Quel montant
pour le budget
communautaire?
Pour le CFP 2014-2020, le montant
des crédits d’engagement s’est
élevé à 1 033 milliards d’euros (va-
leur 2011), soit 1,08 % du RNB euro-
péen, et les crédits de paiement ­ (ef-
f e c t ive m e n t d é c a i s s é s ) à

988 milliards d’euros, soit 1,03 %
du RNB. Ce CFP a marqué une rup-
ture, puisque pour la première fois,
il était en forte diminution par rap-
port au CFP précédent, sans doute
parce qu’il ne s’appuyait sur aucun
projet d’intégration supplémentaire
contrairement aux budgets précé-
dents. Pour apprécier le recul, il faut
rappeler que le CFP 1993-
(Union européenne à 15) a atteint
1,28 % du RNB. Mais même à 1,28 %,
on est loin du compte de ce que de-
vrait être un budget conséquent.
En 1977, le rapport MacDougall (un
groupe d’experts mandatés par la
Commission) a recommandé un
budget de 2 à 2,5 % du RNB euro-
péen, ­partant du constat que l’inté-
gration économique bénéficiait de
manière disproportionnée aux ré-
gions les plus riches. Toujours selon
ce ­rapport, une union monétaire,
un objectif alors lointain, impli­-
querait même un budget de l’ordre
­de 5 à 7 %... Ce n’est pas pour rien

Par
Jean Quatremer
Correspondant à Bruxelles

Monde


Décryptage


BUDGET DE


L’UNION EUROPÉENNE


L’heure

des règlements

de comptes

Le cadre financier 2021-2027 fait l’objet ce jeudi


à Bruxelles d’un Conseil européen extraordinaire


qui s’avère délicat. Deux camps s’opposent :


les riches égoïstes qui veulent couper dans le budget


communautaire et ceux qui poussent pour


l’augmenter afin de développer un projet européen.

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