Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1

Libération Jeudi 20 Février 2020 u 7


qu’Emmanuel Macron souhaite un
budget se montant à 2 ou 3 %
du RNB de l’Union : «Une Europe
qui a un budget autour de 1 % [soit
son niveau actuel, ndlr] n’a pas de
vraies politiques», a-t-il de nouveau
rappelé au début du mois.

Quelles sont
les propositions
sur la table?
L’exercice actuel est rendu difficile
par le départ du Royaume-Uni qui
fait perdre au budget européen
­entre 10 et 12 milliards d’euros par
an (soit 7 à 8 % de ses recettes).
La Commission Juncker, faute d’un
projet politique concret à vendre
aux Etats membres pour qu’ils
compensent le manque à gagner, a
proposé, en mai 2018, de tailler
dans les dépenses (la politique agri-
cole commune et les aides régiona-
les ne représenteraient plus que
60 % du budget, contre 70 % au-
jourd’hui) afin de limiter le budget

à sa taille actuelle, soit 1,114 %
du RNB en incluant la politique
d’aide au développement (2). On est
loin du 1,2 % minimum souhaité par
la France mais aussi par l’ancien
président de l’exécutif européen, ou
du 1,3 % demandé par le Parlement
européen.
Mais l’Allemagne, l’Autriche, le Da-
nemark, les Pays-Bas et la Suède ont
aussitôt exigé que le chiffre de 1 %
du RNB ne soit pas dépassé, ce qui
nécessiterait de couper à la hache
dans les politiques traditionnelles
(PAC et aides régionales). «L’UE doit
moins se concentrer sur les domaines
traditionnels, comme l’agriculture,
et davantage sur les principaux défis
de notre époque, comme le change-
ment climatique et les migrations»,
a ainsi déclaré Mark Rutte, le Pre-
mier ministre néerlandais, le 14 fé-
vrier. Ces pays voient dans le Brexit
une occasion en or d’en terminer
avec la PAC, qu’ils souhaitent rena-
tionaliser puisqu’ils en ont les

moyens, et de limiter à la portion
congrue les transferts financiers
vers les pays les plus pauvres.
Le Belge Charles Michel, président
du Conseil européen des chefs
d’Etat et de gouvernement, a tenté
de couper la poire en deux en pro-
posant un budget limité à 1,074 %
du RNB, ce qui représente un ni-
veau de dépense inférieur de
80 milliards d’euros au niveau ac-
tuel. Pour plaire à la France et aux
pays les moins riches, il a revu légè-
rement à la hausse les budgets de
la PAC et les fonds structurels (61 %
du total) mais n’a eu d’autres choix
que de procéder à de larges coupes
dans les politiques nouvelles (dé-
fense, espace, numérique, contrôle
des frontières, environnement).

Pourquoi
les discussions
sont-elles si complexes?
Tout simplement parce que les cor-
dons de la Bourse sont tenus par les

gouvernements et les Parlements
nationaux. L’autonomie budgétaire
de l’Union n’existe quasiment pas,
faute d’impôts européens, ce qui la
rapproche d’une organisation in-
ternationale classique, style ONU,
alimentée par des contributions des
Etats membres. Au départ, pour-
tant, le budget était uniquement
alimenté par des ressources propres
ne dépendant pas des Etats : droits
de douane et prélèvements agrico-
les à l’entrée du territoire européen.
Mais le cycle de libéralisation du
commerce mondial les a réduites
à peau de chagrin.
Au lieu de créer de nouvelles res-
sources qui n’auraient pas dépendu
des budgets nationaux, l’UE a in-
venté, au début des années 80, la
ressource TVA qui n’a qu’un rapport
lointain avec la TVA perçue par les
Etats et surtout, à partir de 1988, la
ressource RNB, une ­contribution
basée sur la richesse nationale des
Etats. Aujourd’hui, le budget euro-

péen est donc alimenté par la res-
source RNB à hauteur de 71 % et la
ressource TVA à hauteur de 12 % qui
sont versés par les Etats. Surtout,
chacun peut calculer ce que lui
coûte ou lui rapporte l’Europe en
faisant la différence entre les finan-
cements dont il bénéficie et sa con-
tribution. Ce calcul des «soldes nets»
est une invention du Royaume-Uni
qui n’a guère de sens puisqu’il fait
l’impasse sur ce que rapporte à un
pays sa participation au marché in-
térieur. Par exemple, les aides régio-
nales permettent de financer la
construction d’autoroutes construi-
tes par des entreprises françaises sur
lesquelles rouleront des camions al-
lemands transportant des machines
à laver suédoises...
Mais l’argument porte peu sur les
scènes politiques nationales lors-
que les budgets sont votés. Certains
des pays les plus riches (Autriche,
Danemark, Pays-Bas, Suède) ont
exigé et obtenu des rabais à leur
contribution RNB afin de faire
­passer la pilule. Ironie de l’histoire,
ces chèques sont principalement
payés par... la France, à hauteur de
2 milliards par an. Il est intéressant
de noter que cette dernière, pour-
tant second contributeur net der-
rière l’Allemagne, ne se situe pas
dans cette logique budgétaire
­puisqu’elle souhaite une Union
plus intégrée et donc dotée de fi-
nancements conséquents.
Pour redonner de l’indépendance
au budget et sortir de ces batailles
épuisantes, la Commission europé-
enne et Charles Michel défendent
l’idée de créer deux nouvelles res-
sources propres : une taxe sur les
plastiques non recyclées et l’affecta-
tion d’une partie des droits d’émis-
sion de carbone. Paris souhaite
même que la future taxe sur les
­géants du numérique ou celle sur le
carbone qui devrait frapper les
­produits d’importation à l’entrée de
l’Union lui soit aussi destinée.

Quel est le rapport
de force?
Fort intelligemment, la Commission
présidée par Ursula von der Leyen
fait désormais valoir que son projet
de budget a un but politique claire-
ment identifié, ce qui va compliquer
la tâche des radins : il s’agit de finan-
cer la transition écologique (25 %
des dépenses) mais aussi ­d’assurer
la place de l’Union européenne dans
le monde (défense, numérique, es-
pace...). Elle peut compter sur l’ap-
pui de la France, mais aussi des
17 pays «amis de la cohésion», c’est-
à-dire des bénéficiaires du budget
européen. Mais il faut réunir l’una-
nimité des Etats pour adopter les
cadres financiers pluriannuels... Les
pays les plus motivés peuvent aussi
compter sur l’appui du Parlement
européen qui devra, in fine, donner
son accord.•

(1) Le revenu national brut (RNB) est défini
comme le produit intérieur brut (PIB) plus
les revenus nets reçus de l’étranger pour
la rémunération des salariés, la propriété
et les impôts et subventions nets sur la
production.
(2) Le Brexit a fait mécaniquement aug-
menter le poids relatif du budget euro-
péen, puisque c’est un pays riche qui part.

entre 10 et 12 milliards d’euros par an. Photo Philippe HUGUEN. AFP

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