Libération - 20.02.2020

(C. Jardin) #1

8 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Jeudi^20 Février 2020


Un sas de désinfection avant l’entrée

phane et les coordonnées des
101 cliniques de la ville traitant les
cas de coronavirus sont collées aux
murs. Autant de mesures qui parais-
sent disproportionnées pour une
ville de 21 millions d’habitants relati-
vement épargnée par l’épidémie
avec moins de 400 cas de contami-
nation et 4 morts jusqu’à présent. Le
calme qui règne dans les hôpitaux de
la capitale tranche avec la situation
chaotique dans le Hubei, foyer de
l’épidémie. Les autorités locales y
ont longtemps été accusées d’avoir
minimisé son ampleur et se sont at-
tiré les foudres de la population.
Le pouvoir central, en quête de
boucs émissaires, s’est empressé de
nommer des protégés du président
Xi Jinping à la tête de la province.
Mais un discours de Xi prononcé
le 3 février et publié samedi par
Qiushi, journal émanant du Parti,
pourrait remettre en question la res-
ponsabilité de ces pouvoirs locaux
dans la mauvaise gestion de la crise.
Ainsi, Xi explique qu’il avait appelé
dès le 7 janvier à «prévenir» le coro-
navirus, c’est-à-dire au tout début de
l’épidémie quand la Chine assurait
que la situation était sous contrôle.
Ces propos ont été prononcés de-
vant le Politburo, l’organe le plus
important de l’appareil commu-
niste, indiquant que le plus haut
sommet de l’Etat était bien au cou-
rant de l’ampleur de l’épidémie. «Il
est rare de voir ce type de discours
rendu public en si peu de temps. Cela
donne donc un signal très inhabituel
au public. A la différence des précé-
dents, agressifs et autoritaires, ce
discours est teinté d’un ton d’autodé-
fense. Il doit être sous intense pres-
sion, tant à l’intérieur qu’à l’exté-
rieur du parti», décrypte Wu Qiang,
ex-chef du département de sciences
politiques de l’université Tsinghua.

«échec indéniable»
Cette manœuvre s’expliquerait par
la volonté du PCC de remettre
Xi Jinping au cœur du récit et de dé-
montrer que le secrétaire général est
bien à la tête des opérations. Ce dis-
cours est publié par des autorités
optimistes dans la «guerre du peu-
ple» contre le coronavirus. Sur Twit-
ter, Hu Xijing, rédacteur en chef du
Global Times, quotidien nationaliste
d’Etat, assure, béat, que la Chine
«est sur la voie de la victoire. Les gens
sont de meilleure humeur et les villes
retrouvent de leur vitalité. Moi-
même, je suis très heureux».
Pourtant, la tenue des deux sessions
du Parlement chinois, réunion poli-
tique annuelle la plus importante
du pays, a été repoussée. C’est la
première fois en trente-cinq ans
qu’elle n’aura pas lieu début mars.
«Ce report est une déclaration publi-
que de l’échec indéniable d’un cas
d’urgence sanitaire qui s’est trans-
formé en urgence politique natio-
nale», pointe Wu. Signe de la nervo-
sité au sein de l’appareil d’Etat,
Pékin a arrêté le 15 février le dissi-
dent et universitaire Xu Zhiyong et
a assigné à résidence à Pékin Xu
Zhangrun, juriste réputé. En faisant
taire ces deux voix de l’opposition,
le pouvoir pense imposer sa vérité
sur la gestion de l’épidémie. Mer-
credi, il a également annoncé l’ex-
pulsion de trois correspondants du

Wall Street Journal. Le quotidien
américain avait publié au début du
mois une tribune jugée «raciste».
Intitulée «La Chine est le vrai ma-
lade de l’Asie», elle avait été rédigée
depuis les Etats-Unis par un inter-
venant extérieur à la rédaction et
critiquait la gestion de la crise sani-
taire. Au lendemain d’une décision
de Washington désignant les jour-
nalistes des médias d’Etats chinois
«comme des agents opérant pour
l’Etat communiste», les trois repor-
ters, dont une bloquée à Wuhan,
ont cinq jours pour plier bagage.
D’après le club des correspondants
étrangers à Pékin, c’est la première
expulsion effective de journalistes


  • contrairement à un non-renouvel-
    lement de la carte de presse – par la
    Chine depuis 1998. Après la censure
    sur les réseaux sociaux et des
    ­médias chinois, la répression vise
    les médias occidentaux accusés
    d’être les auteurs de «calomnie mal-
    veillante» contre la Chine.•


Par
Zhifan Liu
Correspondant à Pekin

P


lus d’une semaine après le re-
tour des Chinois au bureau, la
vie à Pékin n’a pas repris pour
autant : beaucoup sont encouragés
à travailler de chez eux ou encore au
repos forcé. Si les véhicules sont
plus nombreux à parcourir les artè-
res de la mégalopole, les riverains
délaissent toujours les lieux publics,
effrayés par les risques de contagion
du coronavirus. Le bilan a dépassé
mercredi les 2 000 morts, mais le
rythme des contaminations dimi-
nue avec 1 749 nouveaux cas, plus
faible augmentation en un mois. A
l’heure où 8 millions de travailleurs
migrants ont, ou doivent, retrouver
le chemin de la capitale, la munici-
palité a instauré des mesures radica-
les pour protéger la vitrine du pays.

Mauvaise gestion
Depuis ce week-end, chaque Péki-
nois revenant de l’étranger ou d’une
autre province chinoise doit se si-
gnaler aux autorités et observer une
période de quarantaine de qua-
torze jours, la durée moyenne d’in-

cubation du coronavirus. Au cœur
de la capitale, le quartier de Dong-
zhimen est connu pour sa ribam-
belle de «hutong», des ruelles histo-
riques de la largeur d’une voiture.
Chaque entrée est tenue par un
garde avec une pancarte rappelant
l’obligation de la quarantaine. Ces
consignes sont affichées sur les
murs des ruelles, encore accessibles
pour les visiteurs nostalgiques d’un
Pékin ancien. Mais cela pourrait ne
pas durer. «Profitez-en avant qu’on
ferme tous les accès», avertit une sur-
veillante, masque sur le visage. Dans
les faits, chaque pâté de maisons
instaure ses propres règles. «J’ai si-
gnalé aux gardes en bas de chez mes
parents mon retour de l’étranger,
mais je reste libre de mes mouve-
ments», partage Mei, revenue d’Eu-
rope lundi, après avoir repoussé son
retour de deux semaines.
Dans l’est de la capitale, dans le
quartier de Maizidian, au pied d’im-
meubles résidentiels, tous les com-
merces n’ont pas relevé leurs stores.
En temps normal, le lotissement est
ouvert aux quatre vents, permettant
aux piétons de gagner un temps pré-
cieux pour rejoindre la station de
métro située à l’est des tours. Mais

depuis une semaine, seules deux
entrées sont ouvertes, gardées par
un personnel équipé d’un brassard
rouge et d’un thermomètre blanc.
Ces volontaires sont chargés de sur-
veiller l’identité des résidents, seu-
les personnes autorisées à pénétrer.
Les coursiers doivent déposer de-
vant la grille les colis et plats com-
mandés par des habitants obligés de
sortir, parfois en pyjama.
Des étagères ont été montées pour
accueillir les paquets et éviter tout
contact entre clients et coursiers.
Dans les supérettes ou les parcs pu-
blics, les haut-parleurs rappellent les
mesures d’hygiène pour se prému-
nir. Des banderoles aux couleurs du
Parti communiste chinois (PCC) sont
déployées à chaque coin de rue.
«Evitez de sortir, évitez de vous réu-
nir pour limiter les risques de trans-
mission du virus» ou encore «la limi-
tation de la propagation du virus est
l’affaire de tous». Ce slogan se re-
trouve aussi sur des tickets distri-
bués par certains immeubles à leurs
résidents et font office de laissez-
passer. A l’intérieur des résidences,
l’air s’est empli d’une odeur de dé-
sinfectant. Les boutons des ascen-
seurs sont protégés par du film cello-

Reportage


CORONAVIRUS


A Pékin, petite


quarantaine et


grande propagande


Malgré le faible nombre de cas


recensés dans la capitale vitrine,


les autorités ont annoncé


des mesures drastiques contre


le virus. Le régime entend vanter


le rôle du président Xi Jinping


dans la gestion de la crise, tout


en faisant taire les critiques


et en expulsant des journalistes.


500 km

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