Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1

12 |coronavirus DIMANCHE 15 ­ LUNDI 16 MARS 2020


0123


C’


est la mort dans
l’âme que le monde
de la culture a ac­
cueilli l’annonce par
Edouard Philippe, vendredi
13 mars, au journal de 13 heures de
TF1, que les rassemblements de
plus de 100 personnes seraient
désormais interdits sur le terri­
toire national afin de freiner la
propagation du coronavirus.
« Cent personnes, ça veut dire évi­
demment des conséquences im­
portantes pour les théâtres, pour
les cinémas », a admis le premier
ministre. Ce n’était pas peu dire :
une cascade de fermetures de
lieux et d’annulations de specta­
cles a ponctué l’après­midi.
Le ministère de la culture a aus­
sitôt appelé l’ensemble des struc­
tures sous sa tutelle, dont les mu­
sées et les bibliothèques, « à recen­
trer leur activité autour de leurs
fonctions essentielles, pouvant al­

ler jusqu’à une fermeture de la
structure au public ». La consigne
invite les responsables à évaluer si
le seuil de 100 personnes risque
d’être atteint et si les activités peu­
vent être limitées pour réduire
l’affluence. Dans le cas contraire, il
ne reste plus qu’à fermer – provi­
soirement – les portes.
Ce qu’ont fait vendredi, à 18 heu­
res, deux des lieux les plus visités
de France, le Louvre et le château
de Versailles, dont le seul parc de­
meure ouvert. Et encore le Musée
d’Orsay, l’Institut du monde arabe,
le Musée Picasso, le Musée du
Quai­Branly... Le Centre Pompi­
dou, qui atteint le chiffre fatidique
de 100 personnes uniquement
avec la présence des agents, le sera
à compter de dimanche 14 mars.
Sont en revanche maintenus
ouverts, en respectant les restric­
tions imposées par le gouverne­
ment, les lieux dédiés à la photo

(le Jeu de Paume, qui organise une
file d’attente en extérieur, la Mai­
son européenne de la photogra­
phie et la Fondation Cartier­Bres­
son), le Musée Marmottan­Monet
et le Centquatre, de façon limitée.
En région, les principaux musées
sont également fermés, à l’excep­
tion du Louvre­Lens et du Musée
des Beaux­Arts de Lyon.

Un enfer pour le spectacle vivant
Déjà en grande difficulté en raison
du mouvement de grève, le sec­
teur du spectacle vivant prolonge
sa saison en enfer. A la liste déjà
longue des annulations ou re­
ports depuis le début de la pandé­
mie est venue s’ajouter une
deuxième salve touchant l’Opéra
de Lyon, l’Opéra du Rhin, l’Opéra
royal de Versailles, le Festival de
Pâques d’Aix­en­Provence ou le
Printemps des arts de Monte­
Carlo, une heure seulement avant

l’ouverture du festival – comme si
les lumières s’éteignaient une à
une. « On enchaîne les réunions de
crise avec le sentiment d’une débâ­
cle, raconte le patron de l’Opéra­
Comique, Olivier Mantei. On ve­
nait à peine de monter le décor du
Macbeth Underworld de Pascal
Dusapin. Il a fallu démonter. »
Caroline Sonrier, directrice de
l’Opéra de Lille, confie que les an­
nulations ont été envisagées
avant même les mesures annon­
cées par le premier ministre : « Les
artistes avaient peur de voyager.
Certains craignaient de ne pas pou­
voir venir, d’autres, de ne pas pour­
voir repartir. » Et précise que dans
le domaine de l’opéra, où les sai­
sons se programment plusieurs
années à l’avance, la question du
report des spectacles n’est même
pas envisageable.
Même désolation du côté des
musiques dites actuelles, qui fu­

rent les premières touchées par la
décision gouvernementale, prise
le 29 février, d’interdire les ras­
semblements de plus de
« 5 000 personnes en milieu con­
finé » : le festival Banlieues bleues,
prévu jusqu’au 3 avril en Seine­
Saint­Denis, s’est interrompu en
cours de route, et le Printemps de
Bourges a été annulé. Désormais,
la quasi­totalité des salles, des con­
certs et spectacles musicaux sont
concernés. Soit plusieurs milliers
de lieux, dont les cabarets, clubs
de jazz et petites salles gérées par
des associations.
Les théâtres publics ont tous pris
la même décision : la Comédie­
Française, l’Odéon, les Bouffes du
Nord, le Théâtre national de Stras­
bourg, le TNP de Villeurbanne ou
la Criée à Marseille ont décidé de
fermer jusqu’à nouvel ordre. Ces
théâtres subventionnés se retrou­
vent dans une situation totale­
ment inédite, comme l’explique
Eric Ruf, l’administrateur général
de la Comédie­Française : « Cette
mesure s’inscrit dans un contexte
où, depuis des mois, pour diverses
raisons, on se demande presque
chaque soir si on va jouer. C’est
comme un fatum. Sachant que les
crèches, les écoles et les universités
allaient fermer, je ne voyais pas
comment les théâtres pouvaient
rester ouverts. »
« Décidément, j’aurai appris
beaucoup de nouveaux métiers en
étant directeur de théâtre », ob­
serve Arnaud Meunier, le jeune di­
recteur de la Comédie de Saint­
Etienne. Comme tous ses collè­
gues des centres dramatiques na­
tionaux en région – à une seule
exception près –, il ne s’est pas
posé la question de continuer à
faire tourner le théâtre en rédui­
sant les jauges à 100 personnes,
personnel compris. « J’ai deux sal­
les, l’une de 700 places, l’autre de
300, qui étaient quasiment pleines
sur les spectacles à venir. Sur quels
critères aurais­je choisi les specta­
teurs qui pouvaient venir et ceux
qui ne pouvaient pas? » Il a déjà fait
ses calculs : pour le mois à venir à
compter du 13 mars, la fermeture
du théâtre représente une perte
de 11 000 spectateurs, de
90 000 euros de recettes de billet­
terie et de 120 000 euros de recet­
tes de tournée, sur un budget an­
nuel de 6 millions d’euros. Seul
Christophe Rauck, directeur du
Théâtre du Nord, à Lille, a fait le

Au musée du Louvre, vendredi 13 mars. THOMAS SAMSON/AFP

« Depuis des mois,
on se demande
presque chaque
soir si on va jouer.
C’est comme
un fatum »
ÉRIC RUF
administrateur général
de la Comédie-Française

En France, les mesures sanitaires


mettent la culture à l’arrêt


Seuls les lieux limités à 100 personnes maintiennent leur activité


choix de rester ouvert en rédui­
sant la jauge à 100 personnes, per­
sonnel compris.
Au Théâtre national de Stras­
bourg, Stanislas Nordey, le direc­
teur, affirme qu’il n’avait pas non
plus d’autre choix que la ferme­
ture. « Réduire la jauge à 100 per­
sonnes pour une salle de 500 places
qui était encore très remplie ces
derniers soirs, c’était impossible. »
Il a l’élégance de souligner qu’en
tant que théâtre national, il est
bien mieux protégé que d’autres,
mais il pointe déjà toute une série
d’effets à long terme qui ne man­
queront pas de peser sur le théâtre
public dans les mois à venir. « On
dispose au TNS d’un fonds de ré­
serve de quarante­cinq jours envi­
ron, explique­t­il. Mais après une
période de fermeture comme cel­
le­ci, dont la durée est indétermi­
née, les spectateurs mettront du
temps à revenir au théâtre. »

Le cinéma s’adapte
« La quasi­totalité des cinémas
français restent ouverts », a indi­
qué le président de la Fédération
nationale des cinémas français
(FNCF), Richard Patry – rare éclair­
cie dans ce morne paysage. L’in­
terdiction sera « strictement » ap­
pliquée : « Cent personnes, c’est le
nombre maximum de spectateurs
par salle, et non par multiplexe.
C’est tout à fait gérable : en France,
nous comptons 6 000 écrans pour
1,2 million de fauteuils », rappelle
Marc­Olivier Sebbag, délégué gé­
néral de la FNCF, en tentant de ras­
surer quelque peu les exploitants


  • et les cinéphiles qui pourraient
    céder à la panique.
    Car la fréquentation en salle
    n’était déjà pas glorieuse depuis le
    début de l’année (– 20,3 % en jan­
    vier et février 2020 par rapport à
    2019). Une baisse de 5 % à 10 % est
    déjà attendue en raison de l’im­
    pact du Covid­19 pour la première
    quinzaine de mars. Et la chute ris­
    que d’être bien plus sévère. Dans
    cette période d’incertitude, les re­
    ports de sorties de films s’addi­
    tionnent. Les majors américaines
    préfèrent attendre des jours
    meilleurs pour leurs blockbusters.
    Les mésaventures du comédien
    Haroun résument bien cette jour­
    née particulière. Vendredi, il était
    en route pour Sanary­sur­Mer
    (Var), où il devait jouer le soir
    même son spectacle au Théâtre
    Galli. En début d’après­midi, il a dû
    faire demi­tour et repartir à Paris :
    « Il me restait six dates de tournée,
    elles sont toutes annulées. Comme
    j’ai déjà des engagements pour la
    rentrée, c’est impossible de repor­
    ter. » Haroun fait partie des nom­
    breux artistes qui se retrouvent,
    malgré eux, en « chômage techni­
    que », sans savoir si le « mécanisme
    exceptionnel de chômage partiel »
    promis par la ministre du travail,
    concernera les intermittents du
    spectacle, qui ne sont pas salariés
    mais payés au cachet.
    service culture


Le football européen pessimiste pour la fin de saison


L’UEFA pourrait annoncer, la semaine prochaine, la suspension de la Ligue des champions et le report d’un an de l’Euro 2020


L’


étau se resserre sur le
football européen. Face à
la propagation, sur le
continent, de la pandémie de Co­
vid­19, les mesures étaient jus­
qu’à présent à la discrétion de
chacun. Si certains champion­
nats, comme la Ligue 1, avaient
d’abord opté pour des matchs à
huis clos, l’exemple des cham­
pionnats italien et espagnol a es­
saimé progressivement en Eu­
rope. En France, en Angleterre, au
Portugal... les compétitions ont
également été stoppées. Désor­
mais, la menace d’un arrêt total
gagne du terrain. « Ça ne sent clai­
rement pas bon », souffle­t­on à
Nyon (Suisse), au siège de l’UEFA.
Jeudi 12 mars, l’instance a an­
noncé la tenue d’une réunion la
semaine prochaine : « L’UEFA a in­
vité des représentations des 55 as­
sociations membres, avec les direc­
tions de l’Association européenne

des clubs et des championnats
européens et un représentant de la
FIFPro [le syndicat mondial des
joueurs professionnels], pour as­
sister à des réunions par vidéocon­
férence, le mardi 17 mars, pour dis­
cuter de la réponse du football
européen à la pandémie. Les dé­
bats concerneront toutes les com­
pétitions nationales et européen­
nes, dont l’Euro 2020. »
Selon les informations de
L’Equipe, l’instance suprême du
football européen devrait, à cette
occasion, annoncer la suspension
de la Ligue des champions et de la
Ligue Europa, ainsi que le report à
2021 de l’Euro, qui devait se dérou­
ler du 12 juin au 12 juillet. D’après
l’agence AP, un vote serait orga­
nisé lors de cette réunion.
Joint par Le Monde jeudi
12 mars, un haut responsable de
l’UEFA tempérait : « Lors de cette
réunion, on veut écouter les posi­

tions de chacun, aborder divers
scénarios et étudier l’impact de
cette crise. Car c’est une situation
de crise. On ne spécule pas sur un
report de l’Euro. Aucune décision
ne sera prise à long terme avant
mardi et on ne décidera pas seuls. »

« Problèmes de calendrier »
D’autres sources ne cachent pas
leur pessimisme et évoquent ef­
fectivement un report de la com­
pétition ou, au minimum, une or­
ganisation dans un groupe réduit
de pays (l’Euro doit se dérouler
dans 12 villes de 12 pays). C’est la
question du calendrier très fourni
du football continental qui se
pose. En l’état actuel, et si les com­
pétitions nationales et européen­
nes de clubs sont provisoirement
arrêtées, on voit mal comment la
saison pourrait aller à son terme
avant le début du championnat
d’Europe des nations, à la mi­juin.

« Il faut trouver un accord qui
convienne à tous. Il y a un pro­
blème de dates, de calendrier pour
la Ligue des champions, les ligues
nationales, les compétitions de
jeunes, confirme ce haut respon­
sable de l’UEFA. Concernant l’Euro,
on n’est pas à se demander quels
sont les pays organisateurs les plus
à risque. On veut mettre tout le
monde autour de la table car on re­
çoit des appels de partout. »
Un sentiment partagé par le
président de l’Olympique lyon­
nais, Jean­Michel Aulas, dont le
club est toujours en course en Li­
gue des champions : « C’est la solu­
tion qui tient la rampe, la plus sage
et celle qui sera apparemment pré­
sentée mardi. »
Président de la Fédération rou­
maine de football, Razvan Bur­
leanu est directement concerné
puisque Bucarest doit accueillir
quatre matchs de l’Euro 2020,

dont un 8e de finale. Sa fédération
a décidé, jeudi, de suspendre tou­
tes les compétitions nationales
sur son sol jusqu’au 31 mars. S’il
indique n’avoir pas encore eu de
discussions avec l’UEFA quant à
l’organisation du championnat
d’Europe, il fait face à d’autres pré­
occupations plus urgentes.
« Nous avons une interrogation
qui concerne les barrages [4 tickets
sont encore à prendre]. Nous de­
vons jouer le 26 mars en Islande,
avant, en cas de succès, de nous
rendre à Sofia ou à Budapest le
31 mars. Nous avons prévenu
l’UEFA que le plus important était
la santé de nos joueurs. On ne
voyagera pas en cas de risques sa­
nitaires trop importants, explique­
t­il au Monde. A l’heure actuelle,
nous n’aurions pas l’équipe la plus
compétitive puisque certains de
nos joueurs ne pourraient pas
nous rejoindre : notre gardien Ci­

prian Tatarusanu, qui joue à Lyon,
quatre joueurs, dont notre capi­
taine, qui évoluent en Italie, et un
autre qui se trouve à New York. »
D’autres nations barragistes
se retrouvent confrontées au
même cas de figure, comme la
Bosnie, qui a demandé le report
de son match du 26 mars face à
l’Irlande du Nord.
Les quatre derniers 8es de finale
retour de la Ligue des champions
(Juventus Turin­Lyon, Manchester
City­Real Madrid, Bayern Munich­
Chelsea et Barcelone­Naples), pro­
grammés mardi 17 et mercredi
18 mars, ont déjà été reportés.
L’annonce, mercredi, du contrôle
positif au coronavirus d’un joueur
turinois (Daniele Rugani) et la
quarantaine décrétée par le Real
Madrid et la Juve ont eu raison des
atermoiements de l’UEFA.
rémi dupré
et anthony hernandez
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