Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1

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D I M A N C H E 1 5 - L U N D I 1 6 M A R S 2 0 2 0

Voulez-vous checker avec moi?


Bise interdite, poignée de main bannie.


En ces temps d’épidémie,


on doit inventer de nouveaux rituels


pour se saluer. Avec le coude


ou le pied, le check semble avoir gagné


FOCUS


Par Charlotte Herzog

M

ars 2020, scène ordi­
naire de la vie de bu­
reau : « Coucou, on se
fait la bise? – Non. – On
se check alors? – D’ac­
cord, moi je fais le “foot
shake” à la Wuhan [salut du pied], et toi?


  • Moi, le “elbow bump” [bonjour du
    coude], comme le vice­président améri­
    cain, Mike Pence. – Ah, on a qu’à en in­
    venter un à nous alors : on pourrait faire
    un “high five” sans se toucher, puis tour­
    ner sur nous­mêmes une fois, et finir en
    claquant des doigts, pour le fun. »
    Alors que de nouvelles mesures
    sanitaires ont été annoncées, jeudi
    12 mars, pour freiner l’épidémie due au
    Coronavirus, la guerre aux actes rituels de
    politesse un peu trop tactiles a, elle, déjà
    commencé. La bise est bannie. La poignée
    de main, à éviter. L’espace vital reprend
    lui, un peu ses droits : « Maintenez une
    distance d’au moins un mètre entre vous et
    toute personne qui tousse ou éternue. »


L’Organisation mondiale de la santé
(OMS) le préconise, même si les trans­
ports en commun aux heures de pointe
racontent une autre histoire. Alors que la
France a confirmé son statut de
deuxième pays européen le plus touché
par le coronavirus, derrière l’Italie, ces
précautions nécessaires viennent heur­
ter l’habitus d’une sociabilité hexagonale
peu portée sur la prophylaxie.
« En France, on se touche, c’est
dans notre culture. » Selon Dominique
Picard, psycho­sociologue et auteure de
Politesse, savoir­vivre et relations sociales
(PUF, 2019), « nos salutations sont des sa­
lutations de contact. On nous dit qu’il ne
faut plus se toucher, et pourtant, voyez
comme on insiste. » Malgré les prescrip­
tions des autorités de santé, et « parce
que c’est difficile de faire autrement, nous
recréons des rituels de contact », parfois
sur le mode de la plaisanterie.
« Tapez­vous le coude, ou le pied,
et souriez », a déclaré, dimanche 1er mars,
Agnès Buzyn, l’ancienne ministre de la
santé et candidate LRM aux élections

municipales à Paris, qui tente d’insuffler
aux « Parisiennes, Parisiens », une menta­
lité de pionniers des nouveaux rituels de
salutations. Suscité par l’épidémie, le
#footshake – check de pieds, tapotement
du pied –, est rapidement devenu viral
sous le nom de « Wuhan shake », du nom
de la ville de la province de Hubei où les
premiers cas de Covid­19 sont apparus
fin 2019. En provenance non seulement
de Chine mais également d’Iran, ce salut
pédestre, arrivé en vidéo sur les réseaux
sociaux, a déjà fait le tour du monde
virtuel, et inspiré diverses reprises inter­
nationales, aux protagonistes créatifs.
Avec ou sans masque, mains dans
la poche ou le long du corps, amis pro­
ches ou collègues, on se tape pied contre
pied. Certains sautillent et dansent pres­
que entre chaque mouvement, d’autres
font intérieur, puis extérieur. Le 13 mars,
au lendemain de l’annonce de la fer­
meture des établissements scolaires par
Emmanuel Macron, « il y avait une sorte
d’euphorie dans la maternelle », explique
ce papa d’un petit garçon de 5 ans. « Une

Quatre checks


dans le vent


> Le « psschhii » qu’on aurait
aimé inventer
Dans la série télévisée iconique
des années 1990, Le Prince
de Bel Air, Will Smith (Will) et
son super-pote Jazzy Jeff
(Jazz) ont leur propre check
à eux, qu’ils font n’importe où,
n’importe quand, mais pas
n’importe comment : ils se cla-
quent avec un élan certain leur
main droite, avant de se pen-
cher légèrement en arrière en
claquant des doigts et en fai-
sant « pssschhii » avec leur bou-
che. Qu’il y ait un bébé entre
eux, une fille, ou qu’ils soient en
pyjama, rien ne les perturbe.

> Le présidentiel « entendu
dans le monde entier »
Quand Barack Obama a
obtenu l’investiture démocrate
le 3 juin 2008, pour l’élection
présidentielle des Etats-Unis,
il a fait un « fist bump » à son
épouse, Michelle Obama,
avant de rejoindre son pupitre
sur lequel était inscrit :
« Le changement : on peut
y croire » Le Washington Post
l’a qualifié de « coup de poing
entendu dans le monde
entier ». Ce check capté sous
tous les angles par les caméras
a suscité instantanément
des milliers de réactions, de
commentaires et d’analyses.

> Le « Hello dalaï »
Quand le dalaï-lama est arrivé
à Memphis (Tennessee), le
22 septembre 2009, pour rece-
voir le Prix de la liberté du Mu-
sée national des droits civils, le
maire de la ville, Myron Lowery,
était présent pour l’accueillir
et le saluer. Il a déclaré au chef
spirituel tibétain : « Ici aussi,
nous avons une tradition », en
montrant au dalaï-lama com-
ment se checker en se cognant
les poings. « Vous dites que
vous avez le sens de l’humour.
J’ai toujours voulu dire “Hello
dalaï” », lui a déclaré M. Lowery
en le checkant quatre fois.

> Le post-coronavirus
Le « Wuhan shake » a été in-
venté, au début du mois de
mars, par des jeunes Chinois
qui se sont filmés en train
de se faire un check du pied,
chaussure contre chaussure,
masque sur le visage,
casquette sur la tête, avec un
naturel déconcertant. La vidéo
a fait le tour du monde et
de la Toile, et a ouvert la voie
à de nouvelles façons de se sa-
luer, pour éviter de se toucher.

BENOÎT PAILLEY
POUR « LE MONDE ».
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