Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1
“CE SOIR DU 28 FÉVRIER, ON N’A PAS APPRIS GRAND-
CHOSE QU’ON IGNORAIT SUR LA BELLE INDUSTRIE DU
CINÉMA FRANÇAIS, par contre on a appris comment ça
se porte, la robe de soirée. À la guerrière. Comment on
marche sur des talons hauts : comme si on allait démolir
le bâtiment entier, comment on avance le dos droit et la
nuque raidie de colère et les épaules ouvertes. » C’est par
ces mots que Virginie Despentes parle, dans une tribune
publiée lundi 2 mars par le quotidien Libération, de la
dernière cérémonie des Césars. Et surtout de la sortie
de la salle de l’actrice Adèle Haenel, outrée par le prix
de la meilleure réalisation attribué par l’académie à
Roman Polanski. On se souviendra longtemps du dos
de l’actrice, révélé par une somptueuse robe de dentelle
bleu marine. Et de son poing levé. La robe de soirée, les
talons hauts et les boucles d’oreilles en diamants
d’Adèle Haenel, son allure à l’élégance rageuse,
racontent tout d’une époque où les lignes et les codes
changent à toute vitesse. Le glamour est une notion
réinventée par la prise de parole de certaines femmes
dans le milieu du cinéma : Adèle Haenel, donc, la réali-
satrice Céline Sciamma ou bien encore la comédienne
Marina Foïs... Ces deux actrices, parmi bien d’autres,
substituent la notion de « sois belle et tais-toi » par un
plus enthousiasmant « sois belle et ouvre-la! »

Au programme


Cet adage revient évidemment en mémoire à la lecture
du portrait que fait, dans ce numéro de M Le magazine
du Monde, la journaliste Vanessa Schneider de Germain
Louvet, danseur étoile de l’Opéra de Paris. Il est (très)
beau. Et il l’ouvre. Revendiquant ses sympathies très à
gauche, il a été l’un des artistes les plus actifs dans la
lutte contre la réforme des retraites en décembre 2019.
Comme tous ses pairs, il écoute sans cesse ce corps qui
est son bien le plus précieux et dont il espère qu’il le
conduira, sans blessure, jusqu’à l’âge de sa retraite,
42 ans. Très présent sur les réseaux sociaux, il postait
en guise de message de nouvelle année : « 2020, on n’y
voit rien mais on lâche rien. » Admirateur d’Annie
Ernaux ou d’Édouard Louis, en couple avec un intellec-
tuel très radical, Louvet a également été repéré par le
milieu du luxe. Et il se prête volontiers à des séances
photos tout comme il accepte les invitations à des défi-
lés. Il n’y a que les esprits d’un autre siècle pour y voir
une contradiction. Le monde change. Et, partout, la
beauté se fait guerrière.

Marie-Pierre LANNELONGUE

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