La nature fait bien les choses. Du 20 au
22 mars doit se tenir à Paris le salon
Survival Expo, ce point de ralliement
destiné aux preppers, ceux qui se pré-
parent pour l’effondrement, ou pour
« la rupture de normalité », comme ils
disent. L’événement qui ne prévoit pas
d’atteindre le seuil de 5 000 personnes
(ils étaient 9 800 l’an dernier sur trois
jours), au-dessus duquel toute réunion
publique est interdite, sera a priori
maintenu, est-il déjà indiqué sur le
site. Ce sera l’occasion de s’équiper
pour le grand confinement, d’y croiser
tous ceux qui nous l’avaient bien dit,
ceux qui n’ont pas vu le début mais
n’ont pas envie de rater la fin du
monde. « Le survivalisme désigne les
méthodes utilisées par une partie de la
population qui souhaite se préparer aux
risques susceptibles d’interrompre le
fonctionnement de la société », explique
la page Internet du salon, qui en est à
sa troisième édition.
En France, le survivalisme n’a pris que
depuis quelques années. Un retard sur
les autres pays que les organisateurs
mettent sur le compte de l’aversion au
risque – anticiper le pire pourrait porter
malheur. Selon eux, les preppers fran-
çais sont plus tournés vers l’autosuffi-
sance écolo, moins identitaires antigou-
vernement que leurs équivalents
américains. Ils ne se définissent pas
forcément comme des survivalistes,
préfèrent se définir comme des
« citoyens prévoyants ». Quand on les
écoute, nous, la dernière génération à
avoir connu la bise et les mouchoirs
lavables, on se convainc vite que les
bizarres étaient plutôt ceux qui avaient
été surpris par la pénurie de beurre
d’octobre 2017.
À QUOI ON LES RECONNAÎT
Ils disent « quand on sera confinés » et
pas « si on est confinés ». Contrairement
aux preppers débutants, ils n’ont pas
attendu les alertes au coronavirus pour
faire leur « stock tournant ». Ils par-
tagent les vidéos des linéaires vides des
supermarchés en se moquant de ceux
qui paniquent (quand eux font des
stocks, c’est de l’anticipation) comme
de ceux qui espèrent encore pouvoir
miser sur Google Maps le jour où il fau-
dra fuir la ville. Contrairement aux
« moutons », ils considèrent que ce n’est
pas parce que tout va s’effondrer qu’on
ne devrait manger que des pâtes et de
la sauce tomate. Sur des forums, cer-
tains se sont déjà préparés au troc (« Je
troque mon pâté, ça me permettra de ne
pas toujours bouffer la même chose »,
écrit un homme qui a déjà de quoi
échanger des rillettes de volaille et de la
terrine de porc). Ils regardent les gens
des villes comme les plus vulnérables
– pas de perspective d’autosuffisance
en permaculture, plus d’exposition aux
virus, pas de réserve d’eau – et ont
appris à constituer leur stock discrète-
ment : lors du grand effondrement, des
pillages sont à prévoir. Les voisins n’ont
pas à être au courant de ce que l’on
garde chez soi.
COMMENT ILS PARLENT
Lu dans des groupes Facebook : « Je
souhaite apprendre à me perfectionner
en cas de rupture de normalité. » « Un
ancien bunker, ça vous semble bien
pour y aménager ma BAD (base auto-
nome durable, c’est-à-dire le lieu de
repli)? » « Il n’y a pas que les couteaux,
les conserves et les flingues dans le
survivalisme. »
Entendu dans une vidéo du site spécia-
lisé terre-nouvelle.fr : « On peut pas
stocker 5 mètres cubes d’eau dans un
F2. » « Prévoyez un peu plus que ce dont
vous avez besoin, pour vos voisins, faire
du troc ou rendre service, l’épidémie
aura une fin et certains se souviendront
de vous. » « Un cassoulet froid, c’est pas
bon mais ça se mange. » « Prévoyez
beaucoup de sacs-poubelle car il risque
de ne plus y avoir de ramassage des
ordures et vous allez en avoir chez
vous. » « Trouvez maintenant un dentiste
qui vous soigne si vous avez mal aux
dents. » « Y a des gens qui se réveillent
maintenant, d’autres risquent de se
réveiller trop tard et de devenir
méchants. Prévoyez de sécuriser votre
domicile. Une clé à molette ou une batte
de base-ball, c’est mieux que rien. »
LEURS PONCIFS
Ça fait des années qu’on en parle. Les
gens sont inconscients. J’essaie d’aler-
ter mes voisins, mais je passe pour un
dingue. Évitez le surgelé, il pourrait y
avoir des coupures d’électricité.
N’oubliez pas les animaux de
compagnie.
LEURS QUESTIONS EXISTENTIELLES
S’en sortir seul ou avec son clan?
S’enfuir mais vers où? Comment fera-
t-on pour garder le moral? (Lu sur un
forum : « On sera dans une vie où il n’y
aura plus rien à quoi s’accrocher, la vie
elle-même semblera dégoûtante. On
verra des petits qui meurent, des choses
comme ça perso, je sais pas encore com-
ment je vais encaisser. »)
LEUR GRAAL
Avoir posté une photo ou une vidéo du
contenu de son bug out bag (« sac d’éva-
cuation ») sur les réseaux sociaux.
Disposer d’un système autonome en
électricité. Fabriquer soi-même son gel
hydroalcoolique. Avoir prévu des pru-
neaux séchés pour les troubles à prévoir
avec cette nouvelle alimentation. S’être
rencontré sur la page Facebook Adopte
un.e collapso.
LA FAUTE DE GOÛT
Se disputer quant à aller ou non au
salon du survivalisme (pour les uns,
« un survivaliste ne peut pas se mettre
en danger dans un salon alors qu’il y a
danger », pour les autres, « c’est le
moment ou jamais »).
ENTRE-SOI
Guillemette FAURE
SEULS AU MONDE.
AVEC LES “PREPPERS”, CES INDIVIDUS QUI SE PRÉPARENT SÉRIEUSEMENT À UN POSSIBLE
EFFONDREMENT DE NOTRE CIVILISATION ET IRONT PEUT-ÊTRE FAIRE UN TOUR AU SALON
SURVIVAL EXPO, QUI DOIT SE TENIR, DU 20 AU 22 MARS, À PARIS.