Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

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INTERNATIONAL


JEUDI 5 MARS 2020

0123


Joe Biden 


remporte


le Super Tuesday


L’ex­vice­président a créé la surprise, mardi,


en remportant de nombreux Etats dont


le Texas. La course à la primaire démocrate


se joue désormais entre Bernie Sanders et lui


washington ­ correspondant

L


a course à l’investiture démo­
crate est relancée. Les bons dé­
buts du sénateur indépendant
du Vermont, Bernie Sanders,
notamment dans le Nevada,
l’avaient transformé irrésistible­
ment en favori. Le Super Tuesday et ses qua­
torze Etats, mardi 3 mars, pouvait donc lui
permettre de creuser l’écart sur ses adversai­
res. Il espérait compter, pour cela, sur la force
de son message politique, une solide organi­
sation et son armée de petits donateurs.
Soixante­douze heures ont cependant
tout changé. Le triomphe en Caroline du
Sud, le 29 février, de l’ancien vice­président
Joe Biden, dont la campagne était aupara­
vant à l’agonie, a déclenché un rassemble­
ment du camp qui défend des positions plus
modérées que celles de Bernie Sanders. Tour
à tour, le benjamin de la course, Pete Butti­
gieg, et la sénatrice du Minnesota, Amy
Klobuchar, ont mis un terme à leur candida­
ture et apporté leur soutien à Joe Biden.
Le résultat a sans doute dépassé les atten­
tes de l’ancien vice­président. Le début de
soirée lui a été extrêmement profitable.
Alors que Bernie Sanders a remporté sans
surprise le Vermont, sa terre d’élection, Joe
Biden a gagné haut la main en Virginie et en
Caroline du Nord, des Etats richement dotés
en délégués. Puis la fidélité de l’électorat
afro­américain a permis à l’ancien vice­pré­
sident de Barack Obama d’ajouter rapide­
ment à sa liste de succès l’Alabama, le Ten­
nessee, l’Oklahoma, et l’Arkansas.
Les sondages de sortie des urnes, notam­
ment celui de la chaîne CNN, ont mis en évi­
dence des éléments favorables pour Joe
Biden. Une bonne partie des électeurs (37 %
en Virginie, 31 % en Caroline du Nord) se

sont décidés dans les toutes dernières heu­
res. L’ancien vice­président a donc pu com­
penser sa quasi­absence des ondes par
l’image de rassembleur affichée notam­
ment au Texas, lundi, à l’occasion d’une ren­
contre avec Pete Buttigieg, puis d’un mee­
ting commun avec Amy Klobuchar.
Les motivations des électeurs ont égale­
ment joué en sa faveur. Une majorité abso­
lue de ces derniers, en Caroline du Nord
comme en Virginie, a assuré que battre Do­
nald Trump en novembre était leur priorité,
soit exactement le message véhiculé par
l’ancien vice­président, à la différence de la
« révolution politique » que Bernie Sanders
place au cœur de sa campagne.
La résurgence de Joe Biden ne s’est
d’ailleurs pas limitée à l’électorat afro­amé­
ricain. Battu à plates coutures dans le New
Hampshire, le 10 février, l’ancien vice­prési­
dent a effectué une percée inattendue dans
l’Etat voisin du Massachusetts, devançant
Bernie Sanders en dépit de la proximité du
Vermont, et surtout Elizabeth Warren, élue
de cet Etat, plongeant la campagne de cette
dernière dans les affres. Un cruel revers
après ses prestations pourtant remarquées
lors des débats démocrates, notamment les
deux derniers au cours desquels elle s’était
attaquée de manière clinique au milliar­
daire Michael Bloomberg, entré tardive­
ment dans la course.

RÉFLEXE DE VOTE UTILE
« Il y a à peine quelques jours, les médias et
les commentateurs avaient déclaré la mort
de cette candidature. Et bien, je suis là pour le
dire : nous sommes bien vivants », a assuré
Joe Biden en milieu de soirée, en Californie,
devant des partisans euphoriques, dédiant
ses victoires « à tous ceux qui ont été mis à
terre, ignorés, laissés pour compte ». Seul le

sentiment d’urgence des électeurs démo­
crates face à une élection présidentielle à la­
quelle Donald Trump consacre déjà presque
toute son énergie, peut expliquer les in­
croyables résultats obtenus dans des Etats
où Joe Biden n’a pas même fait campagne.
Son succès dans le Minnesota peut certes
s’expliquer par le revirement à son profit
d’Amy Klobuchar, qui a manifestement mis
à son service sa machine à faire voter. La
victoire dans le Massachusetts, où son
équipe de campagne n’a dépensé au total
qu’une dizaine de milliers de dollars, autre­
ment dit une misère, est en revanche le pro­

duit de cette anxiété éprouvée par les élec­
teurs. Elle a débouché, mardi soir, sur un
réflexe de vote utile, quelles que soient les
faiblesses pourtant criantes d’un septuagé­
naire prompt aux gaffes et aux bévues, sou­
vent moins tonique lors des débats que son
aîné d’un an Bernie Sanders, victime d’un
accident cardiaque en octobre 2019.
Le contraste n’a été que plus saisissant
avec les résultats de l’ancien maire de New
York, Michael Bloomberg, qui avait fait l’im­
passe sur les premiers Etats de la course à
l’investiture pour dépenser sans compter
dans les quatorze en jeu pour le Super Tues­

Un partisan
arbore
une figurine
de Joe Biden,
le 3 mars,
à Oakland
(Californie).
JUSTIN
SULLIVAN/GETTY/AFP

Le maigre retour sur investissement de Michael Bloomberg


L’ancien maire de New York, qui a dépensé des centaines de millions pour le Super Tuesday, rate son pari face à la montée de Joe Biden


san francisco ­ correspondante

C’


était la première fois
que Michael Bloom­
berg figurait dans la
compétition. L’ex­maire de New
York a investi plusieurs centaines
de millions de dollars dans sa
campagne, lancée tardivement.
Après moult hésitations, le mil­
liardaire s’était déclaré candidat
en novembre 2019, arguant que
Joe Biden était en mauvaise pos­
ture pour barrer la route à Bernie
Sanders, et qu’il ne voyait per­
sonne, sinon lui­même, pour bat­
tre Donald Trump : l’objectif pour
lequel il s’est dit prêt à investir
1 milliard de dollars (soit un
soixantième de sa fortune).
Le retardataire avait préféré
ignorer les quatre premiers Etats
des primaires, qui nécessitent de
labourer le terrain et de se frotter
aux électeurs, pour se concentrer
sur le Super Tuesday, qu’il a atta­
qué à coups de publicités. Il n’a pas
lésiné sur les moyens pour présen­
ter son bilan de maire et de phi­

lanthrope pro­climat et anti­ar­
mes : 235 millions pour les 14 Etats
en jeu (contre 18 millions pour
Bernie Sanders), dont 77 millions
en Californie et 56 millions au
Texas. Une équipe de 2 400 per­
sonnes dans plus de 200 locaux de
campagne dans tout le pays.

Sarcasmes
Pari raté. Pour sa première compa­
rution devant les électeurs démo­
crates, le milliardaire new­yorkais
n’a pas réussi la percée qu’il espé­
rait, pas plus qu’il n’avait con­
vaincu pendant les deux débats,
dans le Nevada et la Caroline du
Sud, auxquels il a participé en fé­
vrier. Le milliardaire n’a remporté
qu’un seul scrutin, le caucus des
îles Samoa, dans le Pacifique : avec
49,9 % des... 350 voix. Ce qui a pro­
voqué quelques sarcasmes. « Un
demi­milliard pour six délégués
aux îles Samoa », a persiflé l’édito­
rialiste conservatrice (anti­Trump)
Jennifer Rubin.
Michael Bloomberg est éliminé
de la course aux délégués dans au

moins six Etats : dans le Maine, le
Massachussetts et même le Min­
nesota, où il avait investi 11 mil­
lions, son quatrième poste de dé­
penses du Super Tuesday.
Dans plusieurs Etats du Sud,
l’échec est cuisant, d’autant qu’il
avait fait beaucoup d’efforts pour
tenter d’effacer auprès des Noirs
(44 % des électeurs dans l’Ala­
bama, 27 % en Virginie et en Caro­
line du Nord, et 26 % dans le Ten­
nessee) son zèle à recourir aux
contrôles au faciès pour réduire la
criminalité à New York au début
des années 2000.
Son équipe de campagne avait
recruté en priorité des jeunes issus
de minorités. Il avait présenté un
plan de développement économi­
que (7 milliards de dollars, 6,3 mil­
liards d’euros) pour corriger le « ra­
cisme systémique » qui a empêché
historiquement la constitution de
capital dans les quartiers noirs.
Plan appelé « Greenwood Initia­
tive », du nom d’un quartier de
Tulsa (Oklahoma) surnommé le
« Black Wall Street » au début du

XXe siècle, avant d’être le théâtre
d’un massacre raciste en 1921. Ré­
sultat : avec 13,9 %, le candidat n’a
même pas réussi à se qualifier
dans cet Etat de l’Oklahoma.
Mais le milliardaire a réussi à se
placer en troisième position au
Texas, ce qui lui permettra de bé­
néficier de délégués. Dans le Colo­
rado, Etat qui compte le plus
grand nombre d’indépendants
du pays, il réalise un bon score, ar­
rivant troisième, comme dans
l’Utah, illustrant son message
qu’il est à même d’attirer des élec­
teurs du centre, voire républi­
cains. En Californie, il ne se faisait
plus d’illusion : il n’a visité l’Etat
qu’une fois, en février. Mais il y
aura aussi des délégués.
Outre son absence de charisme,
le milliardaire a pâti de la résurrec­
tion de Joe Biden, qui a obtenu le
soutien massif des Noirs et recon­
quis les électeurs aisés consternés
par son début de campagne chao­
tique : deux électorats qu’il con­
voitait également. Son score est la
preuve, déjà en partie faite par

l’autre milliardaire de la course,
l’ancien investisseur Tom Steyer,
que l’argent ne suffit pas à con­
vaincre les électeurs. « En Améri­
que, on ne peut pas acheter une
élection », a tonné Bernie Sanders
dans son discours de Burlington.

« Il va faire les calculs »
Quels sont les plans de Michael
Bloomberg? Le candidat a passé
la journée en Floride, dans le Little
Havana de Miami, une manière
de prendre date, alors que Bernie
Sanders risque d’y pâtir de son re­
fus de diaboliser Fidel Castro, et
de montrer qu’il entend rester
dans la course. Les primaires s’y
tiendront le 17 mars. Après les ré­
sultats du Super Tuesday, ses pro­
ches ont cependant indiqué qu’il
allait étudier les chiffres et en ti­
rer les conclusions. « Il est ration­
nel. Il va faire les calculs », a assuré
Andrew Yang, ancien candidat à
l’investiture et désormais com­
mentateur sur CNN. Elu maire de
New York sous l’étiquette républi­
caine, réélu comme indépendant,

Michael Bloomberg n’a manifes­
tement pas été adopté par les dé­
mocrates, à qui il espérait offrir
un recours contre l’affrontement
entre l’aile gauche et le centre qui
mine le Parti démocrate post­
Obama. Au cas où les démocrates,
lassés d’idéologie, voudraient se
rabattre sur un technocrate qui
« fait le boulot », selon son slogan
de campagne.
En se présentant, il avait assuré
qu’il continuerait à aider financiè­
rement le camp anti­Trump,
même s’il n’était pas le candidat
désigné. L’establishment démo­
crate espère qu’il va reporter ses
investissements sur le super­PAC
(groupe de financement) de Joe Bi­
den. Surtout, le parti convoite la
machine de guerre numérique
montée par le philanthrope dans
son quartier général de New York.
« Un vaisseau spatial », selon la
description d’Andrew Yang, avec
des « dashboards » électoraux di­
gnes des terminaux financiers qui
ont fait sa fortune à Wall Street.
corine lesnes

P R I M A I R E S D É M O C R A T E S

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