Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1
28 |
styles

JEUDI 5 MARS 2020

0123


des forces


de la nature


Des poulpes en imprimé de soie


chez Schiaparelli, des broderies


arachnéennes chez Alexander


McQueen, des crocodiles sous toutes


les formes chez Lacoste... les derniers


défilés de la Paris Fashion Week


ont célébré l’animalité en beauté


MODE


A


nimaux déchaînés sur le po­
dium ou inspiration florale
poétique : lors des trois der­
niers jours de la fashion week
de Paris, les créateurs se sont montrés très
inspirés par la nature au sens large.
Tiens, mais c’est un lapin au milieu des
invités de Stella McCartney dans l’entrée
de l’Opéra Garnier! A côté de lui, une va­
che distribue généreusement des pousses
d’arbre à planter. Un peu plus loin, un loup
et un crocodile prennent des pauses de
footballeurs, bras croisés, torse bombé...
Des adultes dans des déguisements poilus
et rigolos qui peuplent habituellement les
anniversaires des moins de 10 ans. « Je
voulais montrer les ingrédients des autres
défilés, explique la créatrice militante qui
n’utilise aucun cuir animal depuis la fon­
dation de sa maison en 2001. On est une
des seules marques au monde à ne pas tuer
d’animaux. Je voulais le souligner, mais de
manière fun. Que le message soit digeste! »
Après cette entrée en matière cocasse, ça
devient très sérieux : Stella McCartney
propose une collection d’une efficacité
redoutable, chic, pratique, où rien ne dé­
passe. Elle est inspirée de l’artiste franco­
russe Erté, figure phare de l’Art déco,
qu’elle avait rencontré par hasard dans un
avion quand elle était enfant. « J’ai tou­
jours adoré son sens du drame, du gla­
mour, que je n’arrivais pas jusqu’ici à tra­
duire sur des vêtements, c’était toujours
too much. Je suis enfin parvenue à le rendre
fonctionnel », assure la créatrice.
Dans une palette de noir, gris, ivoire et
beige, elle propose des manteaux aux pro­
portions gracieuses, des robes décontrac­
tées aux imprimés sophistiqués, des
tailleurs décalés, des tenues du soir pé­
tillantes, du faux cuir perforé de toute
beauté. Pour le final, les mannequins
viennent faire leur ultime tour de piste
avec la ménagerie. Mention spéciale à la
vache qui a clos le show, un petit sac à
main en cuir (végétal !) au bout du sabot.
Mascottes animalières aussi chez Thom
Browne, à l’école des Beaux­Arts. Echap­
pant aux trombes d’eau de la tempête
Léon, les invités se retrouvent enfin au
sec, mais pas réchauffés pour autant :
l’imaginaire météorologique du créateur
américain a voulu que de la neige artifi­
cielle recouvre généreusement le sol de la

salle. Alors que résonne le Carnaval des
animaux, de Camille Saint­Saëns, surgis­
sent sur la poudreuse de drôles de créatu­
res à tête d’éléphant, de girafe ou de che­
val, dont les chaussures à plates­formes
ressemblent à des sabots. Ils ouvrent la
voie à des couples (homme et femme à
chaque fois) qui défilent vêtus stricte­
ment de la même manière : une mise en
scène façon arche de Noé pour marquer le
premier défilé mixte du créateur.

Chez Thom Browne, désormais, on se
partage tout : les manteaux d’officier, les
blazers, les jupes plissées... Toujours aussi
inspiré par l’uniforme (militaire, écolier),
le créateur sert un tailoring qui va à tout le
monde. Comme ses sacs en forme d’ani­
maux, d’ailleurs – peut­être un peu moins
faciles à assumer.
Chez Schiaparelli, à première vue, pas
facile de deviner ce qu’on regarde... Mais
si, des poulpes! Scannés puis retravaillés

en imprimé sur de la soie, ils deviennent


  • contre toute attente – une très jolie
    blouse ou un pantalon chic. Daniel Rose­
    berry, le Texan qui a pris les rênes de Schia­
    parelli en avril 2019, ne manque pas
    d’idées pour réinventer l’esprit décalé qui
    constitue l’ADN de la maison.
    Pour cette deuxième collection de prêt­
    à­porter, il propose un vestiaire très por­
    table où l’excentricité est bien présente,
    mais plutôt dans les détails. Comme ces
    boutons en forme d’yeux très réalistes, ce
    collier en cristal et laiton qui s’articule
    autour d’un nez, ce manteau de laine dont
    les protubérances discrètes dans le dos re­
    produisent une épine dorsale... Sinon, la
    collection est facile : robe légère en cupro,
    pantalon large en laine, cardigan tout
    terrain. Une équation infaillible.
    Faune toujours... Chez Lacoste, la créa­
    trice Louise Trotter mise tout sur le logo
    crocodile, ce symbole reptilien à l’origine
    lié à la ténacité sauvage du tennisman
    René Lacoste sur le court. Retour aux fon­
    damentaux. Chaque invité est gratifié
    d’un patch croco à son arrivée au Tennis
    Club de Paris. Patch qu’on aperçoit en­
    suite en version agrandie sur des polos et
    des manteaux à carreaux. L’animal de­
    vient aussi le motif de diverses chemises

  • bien vu, le crocodile géant qui vient dé­
    vorer la soie blanche. Le vert du logo
    mondialement contrefait donne le ton
    d’un duffle­coat, d’une jupe plissée, de
    pantalons à plis et, surtout, du costume


MENTION SPÉCIALE


À LA VACHE QUI A CLOS


LE SHOW STELLA MCCARTNEY, 


UN PETIT SAC À MAIN 


EN CUIR (VÉGÉTAL !) 


AU BOUT DU SABOT


PARIS | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2020-2021


paris est depuis les années 1980
le piédestal de designers japonais
devenus mondialement réputés, de
Rei Kawakubo à Yohji Yamamoto.
Mais la capitale accueille aussi une
nouvelle vague nippone de grand ta­
lent. Longtemps sous­exposés en
Europe, trois d’entre eux atteignent
aujourd’hui une fertile maturité
dans leur travail.
Maiko Kurogouchi, alias Mame
Kurogouchi, mêle pour l’hiver pro­
chain la vannerie, l’art du tressage de
paniers en fibres végétales, à ses sou­
venirs d’un récent voyage en Islande.
« J’ai voulu emmener une technique
traditionnelle vers un vestiaire
portable », explique­t­elle. Résultat?
De sublimes vestes et corsets ajourés

en passementerie forment des ar­
mures pour des femmes sensibles à
l’artisanat. Elles portent aussi mini­
jupes, manches napperons, collants
en crochet. Chez celle qui sort par
ailleurs cette semaine une collabora­
tion avec Tod’s, tout n’est que délica­
tesse et sensualité.
Les héroïnes d’Anrealage sont
joueuses. « Je me suis inspiré cette sai­
son des jeux en bois pour enfants dont
j’ai décliné les formes en vêtements :
rectangles, ronds, carrés, triangles »,
raconte l’espiègle créateur Kunihiko
Morinaga. Sa divertissante collection
est une splendeur : manteaux XXL
géométriques, pièces sans couture
qui s’assemblent avec des boutons­
pression, sacs triangle, talons graphi­

ques façon constructions de Kapla,
vives couleurs primaires rappelant
celles des pâtes à modeler... La mode
ludique de celui qui s’est fait connaî­
tre par ses habits luminescents et a
collaboré en janvier avec Fendi prend
ici une dimension rafraîchissante,
gamine et régressive.
Un goût de l’amusement que l’on
retrouve dans les jeux de construc­
tion de Beautiful People. Au milieu
d’un décor en chantier se succèdent
filles mais aussi garçons (une pre­
mière) en robe­trench deux en un,
vestes réversibles, manteau à revêtir
de sept façons différentes, hoodie
unique mais qui peut se porter en
bleu, orange ou bicolore. On sourit
devant un sac qui forme un patron à

boutonner librement pour lui don­
ner trois dimensions ou à la vue de
bottes dont les boucles peuvent s’en­
châsser dans le bas d’un pantalon.
« Les patronnages ont été compli­
qués, avoue le designer Hidenori Ku­
makiri. Je voulais une silhouette très
maîtrisée mais que l’on peut détour­
ner, car ce qui m’intéresse est d’offrir le
plus de possibilités aux gens. Je suis
depuis toujours nourri par des créa­
teurs déconstructivistes comme Mar­
giela et bien sûr Yamamoto et Comme
des garçons. Et même si je sais que
c’est ambitieux, je cherche doréna­
vant à penser une ère post­décons­
tructiviste, à passer à l’étape supé­
rieure. » Voilà la relève assurée.
valentin pérez

Mame Kurogouchi, Anrealage et Beautiful People, la nouvelle vague nippone


Alexander McQueen. FRANÇOIS GUILLOT/AFP

Chanel. CHANEL
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