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styles
JEUDI 5 MARS 2020
0123
des forces
de la nature
Des poulpes en imprimé de soie
chez Schiaparelli, des broderies
arachnéennes chez Alexander
McQueen, des crocodiles sous toutes
les formes chez Lacoste... les derniers
défilés de la Paris Fashion Week
ont célébré l’animalité en beauté
MODE
A
nimaux déchaînés sur le po
dium ou inspiration florale
poétique : lors des trois der
niers jours de la fashion week
de Paris, les créateurs se sont montrés très
inspirés par la nature au sens large.
Tiens, mais c’est un lapin au milieu des
invités de Stella McCartney dans l’entrée
de l’Opéra Garnier! A côté de lui, une va
che distribue généreusement des pousses
d’arbre à planter. Un peu plus loin, un loup
et un crocodile prennent des pauses de
footballeurs, bras croisés, torse bombé...
Des adultes dans des déguisements poilus
et rigolos qui peuplent habituellement les
anniversaires des moins de 10 ans. « Je
voulais montrer les ingrédients des autres
défilés, explique la créatrice militante qui
n’utilise aucun cuir animal depuis la fon
dation de sa maison en 2001. On est une
des seules marques au monde à ne pas tuer
d’animaux. Je voulais le souligner, mais de
manière fun. Que le message soit digeste! »
Après cette entrée en matière cocasse, ça
devient très sérieux : Stella McCartney
propose une collection d’une efficacité
redoutable, chic, pratique, où rien ne dé
passe. Elle est inspirée de l’artiste franco
russe Erté, figure phare de l’Art déco,
qu’elle avait rencontré par hasard dans un
avion quand elle était enfant. « J’ai tou
jours adoré son sens du drame, du gla
mour, que je n’arrivais pas jusqu’ici à tra
duire sur des vêtements, c’était toujours
too much. Je suis enfin parvenue à le rendre
fonctionnel », assure la créatrice.
Dans une palette de noir, gris, ivoire et
beige, elle propose des manteaux aux pro
portions gracieuses, des robes décontrac
tées aux imprimés sophistiqués, des
tailleurs décalés, des tenues du soir pé
tillantes, du faux cuir perforé de toute
beauté. Pour le final, les mannequins
viennent faire leur ultime tour de piste
avec la ménagerie. Mention spéciale à la
vache qui a clos le show, un petit sac à
main en cuir (végétal !) au bout du sabot.
Mascottes animalières aussi chez Thom
Browne, à l’école des BeauxArts. Echap
pant aux trombes d’eau de la tempête
Léon, les invités se retrouvent enfin au
sec, mais pas réchauffés pour autant :
l’imaginaire météorologique du créateur
américain a voulu que de la neige artifi
cielle recouvre généreusement le sol de la
salle. Alors que résonne le Carnaval des
animaux, de Camille SaintSaëns, surgis
sent sur la poudreuse de drôles de créatu
res à tête d’éléphant, de girafe ou de che
val, dont les chaussures à platesformes
ressemblent à des sabots. Ils ouvrent la
voie à des couples (homme et femme à
chaque fois) qui défilent vêtus stricte
ment de la même manière : une mise en
scène façon arche de Noé pour marquer le
premier défilé mixte du créateur.
Chez Thom Browne, désormais, on se
partage tout : les manteaux d’officier, les
blazers, les jupes plissées... Toujours aussi
inspiré par l’uniforme (militaire, écolier),
le créateur sert un tailoring qui va à tout le
monde. Comme ses sacs en forme d’ani
maux, d’ailleurs – peutêtre un peu moins
faciles à assumer.
Chez Schiaparelli, à première vue, pas
facile de deviner ce qu’on regarde... Mais
si, des poulpes! Scannés puis retravaillés
en imprimé sur de la soie, ils deviennent
- contre toute attente – une très jolie
blouse ou un pantalon chic. Daniel Rose
berry, le Texan qui a pris les rênes de Schia
parelli en avril 2019, ne manque pas
d’idées pour réinventer l’esprit décalé qui
constitue l’ADN de la maison.
Pour cette deuxième collection de prêt
àporter, il propose un vestiaire très por
table où l’excentricité est bien présente,
mais plutôt dans les détails. Comme ces
boutons en forme d’yeux très réalistes, ce
collier en cristal et laiton qui s’articule
autour d’un nez, ce manteau de laine dont
les protubérances discrètes dans le dos re
produisent une épine dorsale... Sinon, la
collection est facile : robe légère en cupro,
pantalon large en laine, cardigan tout
terrain. Une équation infaillible.
Faune toujours... Chez Lacoste, la créa
trice Louise Trotter mise tout sur le logo
crocodile, ce symbole reptilien à l’origine
lié à la ténacité sauvage du tennisman
René Lacoste sur le court. Retour aux fon
damentaux. Chaque invité est gratifié
d’un patch croco à son arrivée au Tennis
Club de Paris. Patch qu’on aperçoit en
suite en version agrandie sur des polos et
des manteaux à carreaux. L’animal de
vient aussi le motif de diverses chemises - bien vu, le crocodile géant qui vient dé
vorer la soie blanche. Le vert du logo
mondialement contrefait donne le ton
d’un dufflecoat, d’une jupe plissée, de
pantalons à plis et, surtout, du costume
MENTION SPÉCIALE
À LA VACHE QUI A CLOS
LE SHOW STELLA MCCARTNEY,
UN PETIT SAC À MAIN
EN CUIR (VÉGÉTAL !)
AU BOUT DU SABOT
PARIS | PRÊT-À-PORTER AUTOMNE-HIVER 2020-2021
paris est depuis les années 1980
le piédestal de designers japonais
devenus mondialement réputés, de
Rei Kawakubo à Yohji Yamamoto.
Mais la capitale accueille aussi une
nouvelle vague nippone de grand ta
lent. Longtemps sousexposés en
Europe, trois d’entre eux atteignent
aujourd’hui une fertile maturité
dans leur travail.
Maiko Kurogouchi, alias Mame
Kurogouchi, mêle pour l’hiver pro
chain la vannerie, l’art du tressage de
paniers en fibres végétales, à ses sou
venirs d’un récent voyage en Islande.
« J’ai voulu emmener une technique
traditionnelle vers un vestiaire
portable », expliquetelle. Résultat?
De sublimes vestes et corsets ajourés
en passementerie forment des ar
mures pour des femmes sensibles à
l’artisanat. Elles portent aussi mini
jupes, manches napperons, collants
en crochet. Chez celle qui sort par
ailleurs cette semaine une collabora
tion avec Tod’s, tout n’est que délica
tesse et sensualité.
Les héroïnes d’Anrealage sont
joueuses. « Je me suis inspiré cette sai
son des jeux en bois pour enfants dont
j’ai décliné les formes en vêtements :
rectangles, ronds, carrés, triangles »,
raconte l’espiègle créateur Kunihiko
Morinaga. Sa divertissante collection
est une splendeur : manteaux XXL
géométriques, pièces sans couture
qui s’assemblent avec des boutons
pression, sacs triangle, talons graphi
ques façon constructions de Kapla,
vives couleurs primaires rappelant
celles des pâtes à modeler... La mode
ludique de celui qui s’est fait connaî
tre par ses habits luminescents et a
collaboré en janvier avec Fendi prend
ici une dimension rafraîchissante,
gamine et régressive.
Un goût de l’amusement que l’on
retrouve dans les jeux de construc
tion de Beautiful People. Au milieu
d’un décor en chantier se succèdent
filles mais aussi garçons (une pre
mière) en robetrench deux en un,
vestes réversibles, manteau à revêtir
de sept façons différentes, hoodie
unique mais qui peut se porter en
bleu, orange ou bicolore. On sourit
devant un sac qui forme un patron à
boutonner librement pour lui don
ner trois dimensions ou à la vue de
bottes dont les boucles peuvent s’en
châsser dans le bas d’un pantalon.
« Les patronnages ont été compli
qués, avoue le designer Hidenori Ku
makiri. Je voulais une silhouette très
maîtrisée mais que l’on peut détour
ner, car ce qui m’intéresse est d’offrir le
plus de possibilités aux gens. Je suis
depuis toujours nourri par des créa
teurs déconstructivistes comme Mar
giela et bien sûr Yamamoto et Comme
des garçons. Et même si je sais que
c’est ambitieux, je cherche doréna
vant à penser une ère postdécons
tructiviste, à passer à l’étape supé
rieure. » Voilà la relève assurée.
valentin pérez
Mame Kurogouchi, Anrealage et Beautiful People, la nouvelle vague nippone
Alexander McQueen. FRANÇOIS GUILLOT/AFP
Chanel. CHANEL