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JEUDI 5 MARS 2020 international| 3
day. Un pari largement perdu en dépit d’un
tsunami de publicités de campagne et
d’équipes pléthoriques, pour un total supé
rieur à la somme sans précédent de
500 millions de dollars.
Le milliardaire n’a pas remporté un seul
Etat, le territoire américain des Samoa mis à
part. Il n’est pas toujours parvenu à franchir
la barre des 15 % des votes obligatoire pour
prétendre à sa part de délégués, affectés à la
proportionnelle. Entré en campagne pour
contrer l’aile gauche du Parti démocrate, re
présentée par Bernie Sanders et Elizabeth
Warren, Michael Bloomberg a paradoxale
ment privé Joe Biden d’un élan encore plus
grand. Il a pourtant assuré devant ses sup
porteurs, en Californie, avoir accompli
« quelque chose que personne d’autre ne pen
sait possible », sans que l’on sache s’il s’agis
sait du plus mauvais rapport entre l’argent
engagé et le nombre de votes obtenus.
« CONFIANCE ABSOLUE »
Instruite par son revers en Caroline du Sud,
où elle avait déjà été distancée de près de
30 points le 29 février, l’équipe de campagne
de Bernie Sanders s’attendait à des résultats
médiocres dans les Etats où Joe Biden pou
vait compter sur l’électorat afroaméricain.
Après des victoires attendues dans l’Utah et
le Colorado, elle a reporté ses espoirs, au fur
et à mesure que la soirée avançait, sur le
Texas et surtout la Californie, les plus riche
ment dotés avec respectivement 228 et 415
délégués. C’est là, espéraitelle, qu’elle par
viendrait à creuser l’écart.
La pertinence de ce calcul a été totalement
démentie par les résultats du Texas. Bernie
Sanders s’attendait à ce que l’électorat
latino, qui lui avait assuré la victoire dans le
Nevada, lui serve de parefeu contre la dyna
mique créée autour de Joe Biden, qui avait
reçu la veille le soutien d’un autre ancien
candidat, Beto O’Rourke, ancien représen
tant d’El Paso. Cette muraille n’a cependant
pas tenu le choc face à l’onde provoquée par
la réorganisation du centre démocrate.
L’avance de Joe Biden en fin de soirée, aussi
inattendue que sa victoire dans le Massa
chusetts, a définitivement témoigné de sa
capacité à rivaliser audelà de ses bases.
Tard dans la soirée de mardi, Bernie San
ders paraissait en bonne position pour l’em
porter en revanche en Californie, un Etat ré
puté pour la lenteur de ses procédures de
dépouillement des votes. Mais l’avance ob
tenue risquait d’être relativisée par les per
tes essuyées partout ailleurs.
Un peu plus tôt, le sénateur avait affiché sa
confiance devant ses troupes, rassemblées
dans son Etat d’élection. « Je vous le dis avec
une confiance absolue : nous allons empor
ter la primaire démocrate et nous allons bat
tre le président le plus dangereux de l’histoire
de ce pays », avaitil lancé devant une foule
enthousiaste, avant de s’attaquer à son rival
démocrate sans le nommer, dénonçant une
nouvelle fois son vote en faveur de la guerre
en Irak, en 2002, son soutien passé pour des
accords de libreéchange, ou ses liens sup
posés avec les groupes d’intérêts que lui pré
tend combattre.
Accroché dans le Maine, battu dans l’Okla
homa et le Minnesota, où il l’avait large
ment emporté en 2016, le sénateur indé
pendant du Vermont a pu cependant mesu
rer ses limites. La soirée s’est accompagnée
en outre d’une confirmation : alors qu’il
vante depuis des mois sa capacité à attirer
vers les urnes un électorat éloigné de la poli
tique par la hardiesse de ses propositions, ce
dernier ne s’est matérialisé nulle part.
gilles paris
POUR UNE MAJORITÉ
D’ÉLECTEURS, EN CAROLINE
DU NORD COMME
EN VIRGINIE, LA PRIORITÉ
EST DE BATTRE
DONALD TRUMP.
C’EST LE MESSAGE PORTÉ
PAR JOE BIDEN,
À LA DIFFÉRENCE DE LA
« RÉVOLUTION POLITIQUE »
DE BERNIE SANDERS
Fête en demiteinte chez Bernie
Sanders, dans le Vermont
La victoire en Californie n’éclipse pas les mauvais résultats que
le sénateur a obtenus dans d’autres Etats, comme le Massachusetts
REPORTAGE
burlington (vermont)
envoyé spécial
B
ernie Sanders rêvait d’un
clin d’œil de l’histoire.
C’était un 3 mars, en 1981,
et il avait élu à la première fois
maire de Burlington avec dix voix
d’avance, seul contre tous. Trente
neuf ans plus tard, le candidat
progressiste à l’investiture espé
rait pouvoir annoncer un nou
veau miracle du 3 mars, dans son
fief du Vermont, devant ses mili
tants impatients, pour le Super
Tuesday. « Nous avions gagné
cette campagne contre tous les
pronostics. Pour la présidentielle,
tout le monde disait que ce n’était
pas possible. Mais j’ai confiance :
nous allons remporter la désigna
tion démocrate et battre le prési
dent le plus dangereux des Etats
Unis », a annoncé Bernie Sanders
peu après 22 heures.
Comme pour les miracles, la foi
est importante, et Bernie Sanders
était contraint à espérer, alors que
les résultats dans l’ouest du pays
n’étaient pas encore connus et
que la Californie votait encore.
« Nous faisons un bon score pour
l’instant dans le Texas, nous avons
gagné le Colorado et nous pou
vons gagner le plus grand Etat du
pays, la Californie », annoncé Ber
nie Sanders à ses militants, qui
patientaient depuis des heures.
C’était une fête déclinante : une
salle chauffée à blanc, ravie d’être
filmée en direct par CNN tandis
que le duplex avec le camp de Joe
Biden à Los Angeles était triste
ment désert, décalage horaire
oblige. Mais l’assistance se gar
dait bien d’analyser en détail les
résultats, pour se voiler la face
encore un peu. On ricane quand
Michael Bloomberg remporte les
Samoa, on commente CNN, qui a
été contraint d’ajouter à ses pla
teaux des analystes progressis
tes, on s’extasie quand Bernie
Sanders est en tête dans un Etat
alors que le décompte ne porte
que sur 10 % des suffrages dé
pouillés, mais on s’empresse, tel
Rob Gil, informaticien de 35 ans,
de dire qu’on ne connaîtra tous
les résultats que le lendemain.
Car les nouvelles n’étaient pas fa
meuses, avec les victoires enchaî
nées par Joe Biden dans le sud des
EtatsUnis tandis que le Vermont
était le seul gain certain de Bernie
Sanders. Dans ce NordEst améri
cain, Sanders est censé être chez
lui. « Le Massachusetts, c’est l’Etat
d’Elizabeth Warren. On va le pren
dre », assurait en début de soirée
Lauren BickfordBusney. Las, en
réalité, c’est Joe Biden qui a raflé
l’Etat de Boston ainsi que le Texas.
Ici, nul besoin d’argumenter,
Bernie Sanders est vu comme un
homme providentiel. « Pour moi,
Bernie est presque comme un pro
phète », a annoncé à la tribune Ali
Dieng, conseiller municipal afro
américain de Burlington, arrivé
avec sa valise il y a trentedeux ans
pour rejoindre sa femme et qui a
repris la circonscription populaire
de Bernie Sanders. Le « prophète »
a la réputation de ne jamais avoir
changé d’avis sur ses idées.
« Il n’a jamais changé », assure
Kristina Dege, qui arbore un tee
shirt d’une campagne de 2006 de
Bernie Sanders : « A l’époque,
beaucoup de démocrates étaient
encore contre le mariage pour
tous », glisse la serveuse de bar de
24 ans. Même discours de Mi
chael Bandelako, cadre dans l’in
dustrie automobile de 49 ans :
« Les démocrates disent qu’ils
sont modernes mais tout dépend
de l’argent. L’argent doit sortir de
la politique. »
Quant à Dan Coppock, tra
vailleur social de 35 ans, il espère
un coup de balai dans le parti et
un mouvement populaire pour
changer l’Amérique : « Si Bernie est
désigné et élu président, il rempla
cera de nombreuses personnes
dans les instances dirigeantes du
Parti démocrate, de la même ma
nière que Donald Trump l’a fait
chez les républicains. »
Le directeur de campagne du
candidat, Faiz Shakir, a avancé un
argument moral pour son cham
pion, vantant l’intégrité incroya
ble de Bernie Sanders : « Il n’a ja
mais fait de compromission, il ne
fera jamais de compromission,
c’est pour cela qu’il mérite d’être
élu président des EtatsUnis. »
Pour l’instant, le parti a réussi à
endiguer la montée de M. San
ders, et la victoire de M. Biden eût
été encore plus nette si la candi
dature de Michael Bloomberg
n’avait pas empêché le centre de
se rassembler. Sanders, lui, a réi
téré son discours de combat,
sans la moindre concession.
« Nous nous attaquons à l’esta
blishment des entreprises », s’est
vanté Bernie Sanders, qui a dé
noncé l’avidité de Wall Street, des
compagnies pétrolières, dont
« les profits à court terme ne va
lent pas le futur de notre pays ».
« Vieille politique »
« Nous nous attaquons aussi à l’es
tablishment politique », a pour
suivi celui qui est souvent vu
comme un populiste de gauche.
Son ennemi, à moyen terme, c’est
Trump, mais à court terme, ce sont
ses adversaires centristes. Le nom
de Joe Biden n’a pas été cité, mais
l’ancien viceprésident d’Obama a
eu droit à un florilège d’attaques :
« On ne peut pas battre Trump avec
la même vieille politique », a dé
claré Bernie Sanders. Le sénateur
du Vermont a rappelé que « l’un
d’entre nous » s’était opposé à la
guerre en Irak, aux accords com
merciaux internationaux, à une
loi bancaire « désastreuse », à la dif
férence de Joe Biden : « C’est moi! »,
a glissé M. Sanders, provoquant les
rires de l’assistance.
« Un candidat [Joe Biden] a reçu
des contributions d’au moins
60 milliardaires, un autre candi
dat [Michael Bloomberg] a dé
pensé des centaines de millions
de dollars. Aux EtatsUnis, on
n’achète pas les élections », a
scandé Bernie Sanders, qui fait fi
nancer sa campagne par les pe
tits dons de ses partisans. « Je suis
ravi du long, très long chemin que
nous avons parcouru », atil
lancé, remerciant les habitants
du Vermont « pour les années et
les années d’amour et de soutien
que vous m’avez donné à moi et
ma famille ». En refusant d’envi
sager toute défaite : « Du fond du
cœur merci, et allons vers la Mai
son Blanche. »
arnaud leparmentier
Etat du Super Tuesday remporté par... Joe Biden
En tête En tête
Bernie Sanders
Texas
Califormie
Utah Colorado
Oklahoma Arkansas
Alabama
Tennessee Caroline
du Nord
Virginie
Massachusets
Vermont
Maine
Minnesota
Texas
Californie
Utah Colorado
Oklahoma Arkansas
Alabama
Tennessee Caroline
du Nord
Virginie
Massachusetts
Vermont Maine
Minnesota
Estimation du nombre de délégués depuis le début des primaires démocrates...
J. Biden B. Sanders M. Bloomberg E. Warren
666 587 108 98
Infographie : Le Monde Source : New York Times
Résultats au 4 mars, à 9 h 30 (heure de Paris)
« IL NE FERA JAMAIS DE
COMPROMISSION, C’EST
POUR CELA QU’IL MÉRITE
D’ÊTRE ÉLU PRÉSIDENT
DES ÉTATSUNIS »
FAIZ SHAKIR
directeur de campagne
de Bernie Sanders