Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

4 |international JEUDI 5 MARS 2020


0123


P R I M A I R E S D É M O C R A T E S


« Tio Bernie » remporte


la primaire californienne


Avec 415 délégués, l’Etat était le plus convoité du Super Tuesday


san francisco ­ correspondante

S


ans surprise Bernie San­
ders a été déclaré vain­
queur de la primaire en Ca­
lifornie, l’Etat le plus con­
voité du Super Tuesday, avec
415 délégués – et celui où les résul­
tats arrivent le plus tard dans la
soirée. Des files d’attente étaient
toujours visibles devant certains
bureaux de vote de Los Angeles,
deux heures après la fermeture.
Les électeurs n’ont, semble­t­il, pas
été découragés par le coronavirus,
qui a commencé à désorganiser la
vie quotidienne dans l’Etat.
Il est vrai que les autorités
avaient pris des mesures de pré­
caution : pas de groupes serrés
dans les bureaux de vote, mise à
disposition de lingettes désinfec­
tantes pour nettoyer les machines
à voter. Dans le comté de Solano,
dans le nord de l’Etat, où des dizai­
nes d’habitants sont en quaran­
taine, les électeurs pouvaient se
garer devant le bureau de vote et
appeler un assesseur qui venait
collecter leur bulletin. Les Etats­
Unis comptent 118 cas confirmés

de contamination et 9 décès ont
été enregistrés.
La surprise est venue de l’écart
entre Bernie Sanders et Joe Biden,
en deuxième position : bien
moins grand que celui prévu par
les sondages. Selon des résultats
portant sur 45 % des votes, Bernie
Sanders était à 30 %, et Joe Biden à
20 %. Le troisième était Mike
Bloomberg (17 %), devant Eliza­
beth Warren (12 %). Une déception
de plus pour la sénatrice du Massa­
chusetts, qui avait un temps mené
la course et que les sondages an­
nonçaient en deuxième position.
La candidate avait tenu son der­
nier meeting d’avant­Super Tues­
day à Los Angeles, avec des syndi­
calistes employés de maison.

Travail de longue haleine
Pour Bernie Sanders, l’enjeu était
de réussir à empêcher les autres
candidats d’atteindre 15 %, ce qui
lui permettrait d’empocher l’inté­
gralité des 114 délégués distribués
au niveau de l’Etat (le reste – 271 –
est alloué à la proportionnelle
dans les 53 circonscriptions). Il n’y
est pas parvenu : non seulement

l’ancien vice­président a recueilli
environ 20 % des voix, mais Mi­
chael Bloomberg s’est lui aussi
hissé à un score supérieur à 15 %.
L’ancien maire de New York a
même remporté un comté, celui,
très bobo, de Marin County, au
nord du pont du Golden Gate.
En 2016, « Bernie » avait perdu de
7 points en Californie face à Hillary
Clinton. Quatre ans plus tard, il a
montré que son travail de longue
haleine auprès des Latinos avait
porté ses fruits : 55 % d’entre eux
ont voté pour « Tio Bernie » (« On­
cle Bernie »), selon le nom donné
par les militants au sénateur de
78 ans. S’il n’a pas réussi à conqué­

rir la majorité du vote afro­améri­
cain, le sénateur du Vermont a
prouvé, du Nevada au Colorado et
à la Californie que son message ré­
sonne auprès des jeunes Latinos :
il a conquis 84 % de l’électorat his­
panique de moins de 30 ans. En re­
vanche, M. Biden a obtenu la majo­
rité chez les hispaniques de plus de
65 ans (28 % de l’électorat).
Le candidat « socialiste » avait
mobilisé une armée de bénévoles
mais il n’est pas sûr qu’il ait réussi
à augmenter la participation des
jeunes Latinos, condition sine qua
non, selon lui, de la victoire qu’il
espère remporter contre Donald
Trump. S’ils comptent pour 39 %
des inscrits sur les listes électora­
les de Californie, les Latinos ne re­
présentent que 19 % des votants.
Les résultats définitifs et notam­
ment la répartition des délégués
ne sont pas attendus avant plu­
sieurs jours. Les Californiens peu­
vent retourner leur bulletin par la
poste jusqu’au jour du scrutin in­
clus. La date butoir est celle de la
certification officielle des résul­
tats le 2 avril.
corine lesnes

Bernie Sanders,
mardi 3 mars,
à Essex
Junction, dans
le Vermont.
ALEX WONG/AFP

L’Iran mis en cause


pour non­respect de ses


engagements nucléaires


Téhéran aurait multiplié par trois ses stocks
d’uranium faiblement enrichi

N


e pas rompre, tout en se
dérobant dangereuse­
ment à ses engagements :
ainsi se résume l’approche de plus
en dure de l’Iran, en matière nu­
cléaire, vis­à­vis de l’Agence inter­
nationale de l’énergie atomique
(AIEA). A quelques jours de la pré­
sentation de son rapport devant le
conseil des gouverneurs de
l’agence à Vienne, le directeur de
l’AIEA, Rafael Mariano Grossi, se
trouvait à Paris, mardi 3 mars.
Reçu à l’Elysée par Emmanuel Ma­
cron, ce diplomate argentin de
59 ans, expert exigeant en matière
de prolifération, a confirmé au
président français les signaux alar­
mants relevés par son organisa­
tion. « Nous devons ramener les
Iraniens sur la voie de la coopéra­
tion avec l’agence », explique au
Monde le directeur.
La sortie unilatérale des Etats­
Unis de l’accord sur le nucléaire
iranien (JCPoA), en 2018, a com­
promis son équilibre et sa philoso­
phie. Elle a relancé le programme
de Téhéran, qui aujourd’hui dis­
pose de 1 021 kilogrammes d’ura­
nium faiblement enrichi, soit trois
fois plus que la quantité prévue
dans le JCPoA. Confirmant les esti­
mations des spécialistes français
ces derniers mois, l’AIEA affirme
que le niveau d’enrichissement de
l’uranium est passé à 4,5 %, contre
3,67 % fixés dans l’accord. De façon
mathématique, l’accroissement
en qualité et en masse de ces capa­
cités réduit le délai théorique dans
lequel l’Iran pourrait parvenir à
l’acquisition de la bombe. Ce délai


  • ou « breakout time » – était d’un
    an au moins, en vertu de l’accord
    sur le nucléaire iranien.
    Conclu à Vienne en juillet 2015
    dans un format 5+1 (France, Gran­
    de­Bretagne, Etats­Unis, Chine,
    Russie et Allemagne), l’accord pré­
    voyait de limiter pendant au
    moins dix ans le programme nu­
    cléaire iranien, en échange d’une
    levée progressive des sanctions. La
    sortie des Etats­Unis a brisé son ca­
    ractère transactionnel. Depuis, les
    autres signataires s’efforcent de
    convaincre l’Iran de se conformer
    à ses engagements, pour ne pas se
    retrouver en rupture totale, à l’ins­
    tar de Pyongyang. Mais ce n’est pas
    le chemin pris par le régime.


Escalade graduée
Un deuxième rapport de l’AIEA


  • une démarche en soi inédite –
    met en exergue le refus de l’Iran,
    en janvier, d’autoriser des inspec­
    tions sur deux sites, considérés
    comme suspects par l’agence. « Il
    s’agit pour nous de vérifier l’exhaus­
    tivité et l’exactitude des déclara­
    tions iraniennes sur leur pro­
    gramme nucléaire », résume Ra­
    fael Mariano Grossi. Téhéran a
    motivé son refus en invoquant
    l’origine des informations re­
    cueillies par l’AIEA : elles auraient
    été fournies par Israël, donc consi­
    dérées comme suspectes. « Le pro­
    tocole additionnel [existant avec
    l’Iran, qui élargit les capacités
    d’inspection de l’agence dans le
    pays] n’est pas à la carte, explique
    une source à l’AIEA. Soit vous l’ob­
    servez, soit vous l’abandonnez. »
    Israël a consacré beaucoup de
    temps et de moyens pour docu­
    menter la course iranienne à
    l’arme nucléaire, dans ses moin­
    dres secrets. En septembre 2018, à
    la tribune de l’Assemblée générale
    des Nations unies, Benyamin Né­
    tanyahou avait révélé l’existence
    d’un entrepôt secret, dans les fau­
    bourgs sud de Téhéran, où avaient
    été entreposées des quantités im­
    portantes de matériaux et d’équi­
    pements, dans le cadre du pro­
    gramme iranien clandestin. Sur la
    base de relevés effectués sur place,
    les experts de l’AIEA ont confirmé
    en novembre 2019 la présence de


« traces d’uranium anthropogéni­
que ». « Les clarifications iranien­
nes ne sont pas suffisantes, nous
continuons à réclamer des infor­
mations complémentaires », souli­
gne Rafael Mariano Grossi. Selon
une source au sein de l’AIEA, Téhé­
ran a notamment expliqué qu’il
pourrait s’agir de résidus dus au
transport d’équipements utilisés
sur un autre site du programme
nucléaire, déjà répertorié.
Depuis l’été 2019, les autorités
ont initié une escalade graduée :
franchissement de la limite des
300 kg d’uranium faiblement en­
richi, enrichissement au­delà du
seuil de 3,67 %, violation des limi­
tes imposées sur la recherche et le
développement. En novembre,
l’Iran a annoncé la reprise des acti­
vités d’enrichissement sur le site
souterrain de Fordo. Enfin, début
janvier, Téhéran a décidé de ne
plus accepter aucune limite opéra­
tionnelle dans son programme,
comme celle sur le nombre et la
modernité des centrifugeuses.
« Nous avons demandé des clari­
fications, sans qu’ils donnent suite,
explique Rafael Mariano Grossi.
Les Iraniens appliquent les phases
précédentes en matière d’enrichis­
sement et de recherche et dévelop­
pement. » Cela signifie, en somme,
que les annonces de janvier res­
tent pour l’heure verbales. Mais les
progrès déjà réalisés ces derniers
mois en matière d’acquisition de
connaissances nouvelles ne sont
évidemment pas réversibles.
Le 14 janvier, dans une déclara­
tion conjointe, les ministres des
affaires étrangères de la France, de
l’Allemagne et du Royaume­Uni, le
groupe E3, ont annoncé l’activa­
tion du mécanisme de règlement
des différends, prévu par le JCPoA.
Il peut aboutir à un rétablissement
de toutes les sanctions devant le
Conseil de sécurité de l’ONU, sans
que cela soit automatique. Dans
un communiqué publié après la
réception de Rafael Mariano
Grossi, M. Macron a fait savoir
qu’il souhaitait « le strict respect
par l’Iran de ses engagements et
obligations en termes de vérifica­
tion, et a appelé Téhéran à coopérer
immédiatement et pleinement
avec l’agence ».
Le président français a proposé
depuis plus de deux ans un ac­
cord élargi avec l’Iran, qui pren­
drait en compte à la fois son pro­
gramme balistique et les ques­
tions de stabilité régionale. De
septembre jusqu’à la mi­novem­
bre 2019, et la nouvelle vague de
manifestations contre le régime,
Emmanuel Macron avait tenté de
convaincre Donald Trump et son
homologue iranien, Hassan Ro­
hani, de s’entendre sur cette
feuille de route, avant une ren­
contre entre les deux hommes.
La tentative avait échoué, en rai­
son de la faible marge de
manœuvre dont disposait, en in­
terne, le dirigeant iranien, ce qui
n’a guère surpris les experts du
dossier. A présent, les élections
américaines constituent une nou­
velle difficulté. Donald Trump a
voué aux gémonies le JCPoA con­
clu par son prédécesseur, Barack
Obama. Mais veut­il et peut­il le
remplacer par un autre ?
piotr smolar

« Nous avons
demandé des
clarifications [aux
Iraniens], sans qu’ils
donnent suite »
RAFAEL MARIANO GROSSI
directeur de l’Agence
internationale de l’énergie
atomique

LA SURPRISE EST VENUE DE 


L’ÉCART ENTRE SANDERS 


ET  BIDEN : BIEN MOINS 


GRAND 


QUE CELUI PRÉVU 


PAR LES SONDAGES


La candidate Elizabeth Warren dans l’impasse


La sénatrice démocrate du Massachusetts n’arrive qu’en troisième position dans son Etat


washington ­ correspondant

E


lizabeth Warren est restée
silencieuse, mardi 3 mars.
Toute la soirée, les mauvais
résultats se sont accumulés pour
la sénatrice du Massachusetts. La
défaite la plus cuisante a été enre­
gistrée dans son propre Etat, où
elle a été devancée à la fois par l’an­
cien vice­président Joe Biden et
par le sénateur du Vermont Bernie
Sanders. Le 10 février, elle avait
échoué à la quatrième place dans
le New Hampshire, Etat voisin du
sien, et elle n’a pas été en mesure
de disputer la victoire mardi dans
un autre Etat de la Nouvelle­Angle­
terre, le Maine, où elle a même
failli passer sous la barre des 15 %
indispensables pour prétendre
obtenir une part de délégués pro­
portionnelle aux suffrages.
La chute est cruelle pour celle
qui s’était hissée à l’automne
2019 parmi les favoris, après un

laborieux début de campagne
marqué par une controverse sur
ses origines en partie amérin­
diennes. Moquée par le prési­
dent Donald Trump, qui l’affu­
blait régulièrement du sobriquet
de « Pocahontas », la sénatrice du
Massachusetts avait refait sur­
face par le sérieux de ses proposi­
tions, et d’interminables séances
de selfies avec le public de ses
meetings.

Tergiversations
Clairement rangée à la gauche du
Parti démocrate, elle avait pris
brièvement l’ascendant sur le sé­
nateur du Vermont, qui a tou­
jours refusé d’intégrer la forma­
tion dont il brigue l’investiture. A
la différence de ce dernier, « dé­
mocrate socialiste » revendiqué,
Elizabeth Warren ne craignait pas
de se présenter comme « capita­
liste », tout en plaidant pour une
bien plus grande régulation.

Des tergiversations sur le finan­
cement du projet de protection
santé universelle défendu avec
M. Sanders ont progressivement
pénalisé une candidature placée
sous le signe de la compétence. Le
début de la course démocrate,
dans l’Iowa puis le New
Hampshire, a été marqué par des
résultats médiocres alors que Ber­
nie Sanders accumulait les suc­
cès. En dépit de prestations tou­
jours remarquées lors des débats,
Elizabeth Warren n’a cessé de per­
dre du terrain sur ses adversaires.
Le soutien apporté par le New
York Times, cependant partagé
avec sa collègue du Minnesota
Amy Klobuchar, qui a renoncé
lundi, n’a été d’aucun secours.
Acculée, elle est passée à l’offen­
sive de manière désordonnée, at­
taquant Michael Bloomberg lors
des débats de février, alors que
Bernie Sanders la privait de tout
espace. Elle a changé de cible

quand le sénateur du Vermont
avait déjà pris son essor.
Mardi, alors que les premiers ré­
sultats commençaient à tomber,
la sénatrice a fait assaut d’opti­
misme devant ses fidèles, à De­
troit, dans l’Ohio, dans la perspec­
tive de la primaire qui s’y tiendra
le 10 mars. Elle leur a conseillé de
voter, ce qui les rendra « fiers » se­
lon elle, au lieu d’écouter les ex­
perts politiques. Elle a affirmé
également qu’elle remporterait
l’investiture démocrate avant de
triompher de Donald Trump.
« Vous n’obtenez pas ce pour quoi
vous ne vous battez pas. Je suis
dans ce combat », a­t­elle affirmé.
Avec seulement une vingtaine de
délégués au terme du Super Tues­
day, distancée par le duo composé
par l’ancien vice­président Joe Bi­
den et par Bernie Sanders, ses
chances sont pourtant désormais
presque inexistantes.
gilles paris
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