Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

6 |international JEUDI 5 MARS 2020


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Migrants : Athènes appelle l’UE à la solidarité


Le premier ministre grec, Mitsotakis, a reçu les dirigeants européens à proximité de la frontière avec la Turquie


kastanies (grèce) ­
envoyée spéciale

E


ntre la Grèce et la Tur­
quie, des champs à perte
de vue et un fleuve si­
nueux, l’Evros, dissi­
mulé par une forêt de pins et une
riche végétation. Désormais, ces
212 kilomètres de frontières en­
tre les deux pays sont quadrillés
par l’armée et la police, au milli­
mètre près. Ceux qui tentent
l’aventure de la traversée sont
vite ramenés à la réalité d’une
Europe aux portes closes.
Agenouillés, les mains dans le
dos, encore trempés, cinq Egyp­
tiens, tous âgés d’une vingtaine
d’années, ont été arrêtés sur le bas­
côté au beau milieu de la route
principale, entre Soufli et Kasta­
nies, le poste­frontière où des mil­
liers de migrants se sont amassés
la semaine dernière lorsque le ré­
gime turc a annoncé que la voie
vers l’Europe était ouverte. « Nous
avons attendu pendant plusieurs

jours dans la zone tampon entre la
Grèce et la Turquie avant d’essayer
de passer plus au sud. Nous n’avi­
ons pas d’eau, pas de nourriture, et
étions assommés par les tirs de gaz
lacrymogènes », explique Ismaël,
22 ans, en tremblotant.
« Peu d’informations sortent sur
ce qu’il se passe dans cette zone
tampon. Nous n’y avons pas accès
ni aucun humanitaire », note, in­
quiète, Stella Nanou, porte­parole
du Haut­Commissariat aux réfu­
giés (HCR) en Grèce. Peu avant
qu’un fourgon blanc de la police
ne les embarque, les jeunes Egyp­
tiens avaient été ramenés de force
depuis la rivière, par des individus
portant une cagoule noire. « J’ai
peur... Nous avons été battus, dé­
pouillés, nous n’avons plus nos télé­
phones, nous n’avons plus rien. Si
nous l’avions su, nous n’aurions ja­
mais entrepris de venir en Grèce »,
sanglote Hamed.
Quelques minutes plus tard, la
même scène se reproduit. Cette
fois, ce sont quatre Congolais qui

sont invités à présenter leurs pa­
piers avant d’être bousculés pour
entrer dans une voiture de police.
Le gouvernement grec a décidé,
après un conseil de sécurité d’ur­
gence, la semaine dernière, de
suspendre, pendant un mois,
tout examen des nouvelles de­
mandes d’asile. Toute personne
ayant franchi illégalement la
frontière pourra également être
renvoyée en Turquie.
Mais, pour le HCR, cette déci­
sion n’est pas sans poser de pro­
blèmes au niveau du droit inter­
national : « Ni la convention de
1951 relative au statut des réfugiés
ni le droit de l’UE sur les réfugiés
ne fournissent de base légale pour
la suspension de la réception des
demandes d’asile. »
Selon le gouvernement grec,
entre samedi et lundi, plus de
24 000 tentatives d’entrées illé­
gales en Grèce ont été évitées, et
183 personnes arrêtées, dont 17
ont d’ores et déjà été condam­

nées à trois ou quatre ans de pri­
son et à 10 000 euros d’amende.
Après la menace d’une nouvelle
crise migratoire agitée par An­
kara, et la remise en question de
l’accord signé avec Bruxelles, en
mars 2016, qui oblige les Turcs à
contrôler les passages illégaux
vers la Grèce, Athènes a répliqué
en doublant ses patrouilles sur
toutes ses frontières terrestres et
maritimes, et en demandant à
l’agence européenne de contrôle
des frontières, Frontex, de dé­
ployer des renforts.
Mardi, en invitant la présidente
de la Commission européenne,
Ursula von der Leyen, les prési­
dents du Conseil et du Parlement
européens, Charles Michel et Da­
vid Sassoli, le premier ministre
grec, Kyriakos Mitsotakis, espère
faire une démonstration de
force. Le message adressé au pré­
sident turc, Recep Tayyip Erdo­
gan, et à tout candidat au périple
vers la Grèce est clair : « Les fron­
tières de l’Europe sont bien fer­
mées et ne peuvent pas être l’objet
de chantage. »

Système de relocalisation
M. Mitsotakis a cherché et a en
partie réussi, mardi, à obtenir le
soutien des dirigeants de l’UE et à
redorer son image auprès de son
électorat traditionnel, lui qui fait
face depuis des mois à la fronde
des insulaires opposés à l’installa­
tion de nouveaux centres de réfu­
giés sur les îles et se sentent aban­
donnés par l’Europe. « Il n’appar­
tient pas à la Grèce de gérer cette
situation à notre frontière. C’est la

responsabilité de l’Europe dans
son ensemble », a ainsi affirmé
Mme von der Leyen.
Frontex est prête à déployer
« une force rapide » à la frontière,
avec notamment un navire, deux
patrouilleurs, deux hélicoptères et
un avion. Cent gardes­frontières
européens supplémentaires, qui
s’ajoutent aux 530 déjà présents,
seront également disposés aux
confins de la Grèce. « L’Europe n’a
pas toujours été à la hauteur de la
crise migratoire. C’est peut­être l’oc­
casion de changer cette donne », a
lancé le premier ministre grec, qui
espère la mise en place d’un nou­
veau système de relocalisation des
réfugiés. Une idée soutenue égale­
ment par le président du Parle­
ment européen, M. Sassoli (Parti
démocrate, centre gauche): « Nous
devons avoir une politique d’immi­
gration commune. »
A Kastanies, village de mille ha­
bitants, où se sont retrouvés,
mardi, les dirigeants européens,

« L’Europe n’a pas
toujours été
à la hauteur de la
crise migratoire.
C’est peut-être
l’occasion
de changer
cette donne »
KYRIAKOS MITSOTAKIS
premier ministre grec

des habitants se félicitent d’avoir
un « premier ministre qui défend
les frontières de la Grèce et de l’Eu­
rope ». Giorgos, retraité, a fait près
de 100 kilomètres pour constater
la situation dans ce village de­
venu soudainement célèbre ces
derniers jours : « Nous sommes in­
quiets, nous voyons des images de
milliers de migrants amassés à la
frontière, et nous ne savons pas de
quoi ils sont capables... Depuis le
premier jour, les Européens
auraient dû être à notre côté! »
A la supérette de Kastanies, la
vendeuse se plaint que le « village
soit comme en état de siège ».
« Nous voudrions que la vie re­
prenne son cours comme avant »,
ajoute­t­elle. Comme sur les îles
du Nord de la mer Egée, la lassi­
tude et la colère ont gagné les ha­
bitants de la région de l’Evros,
confrontée depuis plusieurs an­
nées à la crise migratoire. Avant
2012 et la construction d’un mur
d’environ 12 kilomètres de long,
elle était le point de passage le
plus emprunté par les migrants.
A quelques kilomètres au sud de
Kastanies, à Phères, la mairie a dé­
cidé de « soutenir l’armée et la po­
lice grecques ». Mardi soir, les ci­
toyens s’inscrivaient sur des listes
pour effectuer des patrouilles à
tour de rôle et indiquer aux forces
de l’ordre si des migrants étaient
dans les parages. « Mon petit­fils
en a ramassé plusieurs ces derniers
jours, avoue Vassilis Pantelidis, un
agriculteur à la retraite. Il a appelé
la police, et l’affaire était réglée, ils
ont été arrêtés. »
marina rafenberg

En Europe centrale, les nationalistes


agitent le spectre de la crise de 2015


Alors que la frontière grecque reste quasi­hermétique, le premier
ministre hongrois, Viktor Orban, multiplie les messages alarmistes

vienne ­ correspondant régional

C


rise migratoire 2020 »,
« 2020 sera­t­il le nouveau
2015? » Voici quelques­uns
des slogans avec lesquels les droi­
tes nationalistes d’Europe centrale
essaient de réveiller le spectre
d’une nouvelle crise migratoire,
après le coup de force du président
turc, Recep Tayyip Erdogan, qui
pousse des milliers de réfugiés
vers l’Union européenne (UE) de­
puis vendredi 28 février.
Dans une région qui garde en
mémoire la crise de 2015, au cours
de laquelle environ un million de
personnes étaient passées par la
« route des Balkans » pour rejoin­
dre l’Allemagne et la Scandinavie,
la perspective de voir l’épisode se
répéter a été rapidement utilisée
par des forces politiques qui en
avaient profité dans les urnes.
« Nous devons anticiper des atta­
ques de masse régulières le long de
la clôture » construite à la fron­
tière sud de la Hongrie, a dénoncé
le premier ministre nationaliste
hongrois, Viktor Orban, dès le
28 février au matin, en accusant,
sans raison, les Grecs de ne plus
protéger leur frontière, qui reste
pour l’instant quasi hermétique.
Pas un reproche en revanche pour
M. Erdogan, dont M. Orban s’est
considérablement rapproché ces
dernières années. Construite
en 2015, cette clôture de plusieurs
mètres de haut est devenue le
symbole du refus hongrois d’ac­
cueillir des demandeurs d’asile
sur son territoire. Elle avait per­
mis à M. Orban de devenir le hé­
ros des partis politiques antimi­
grants du Vieux Continent.
Budapest a aussi décidé de sus­
pendre toutes les demandes
d’asile, officiellement au nom du
coronavirus. Et, depuis vendredi,
les officiels hongrois multiplient

les messages alarmants. « Des di­
zaines de milliers de personnes at­
tendent d’être transférées depuis
les îles grecques », a défendu un
conseiller de M. Orban, tandis
que son chef de la communica­
tion enchaîne les communiqués
en anglais, dénonçant une
hausse du nombre de passages il­
légaux le long de la clôture. Du
fait des contrôles drastiques sur
la route alternative passant par la
Bosnie et la Croatie, des migrants
essaieraient en effet de nouveau
de passer par la Hongrie, mais
leur nombre reste toujours bien
inférieur à celui de 2015.

« Une attaque de la Turquie »
En Autriche, qui avait été l’un des
principaux pays d’accueil en 2015,
le risque d’un retour des vagues
migratoires est dénoncé en con­
tinu sur les réseaux sociaux par le
Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ,
extrême droite). Ministre de l’in­
térieur jusqu’en mai 2019 et ac­
tuel président du groupe parle­
mentaire, Herbert Kickl y de­
mande notamment de réfléchir
au déploiement de policiers ar­
més de « canons à eau et de muni­
tions en caoutchouc » le long de la
frontière autrichienne.
Son ancien allié et toujours pre­
mier ministre, le conservateur Se­
bastian Kurz, a promis de « faire

en sorte que la crise de 2015 ne
puisse se répéter », en dénonçant
« une attaque de la Turquie contre
l’UE et la Grèce ».
Adepte d’une ligne dure sur les
questions migratoires, M. Kurz
avait profité de cette crise pour as­
seoir sa popularité et devenir
chancelier en mai 2017, avec le
soutien de l’extrême droite. Gou­
vernant désormais avec les écolo­
gistes, il a néanmoins rejeté leur
demande d’accueillir une partie
des femmes et des enfants. « Nous
avons déjà à nous occuper de l’in­
tégration de ceux qui sont là, c’est
une charge à gérer pour notre éco­
nomie, mais aussi pour notre con­
sensus social », a justifié son mi­
nistre de l’intérieur. Ce dernier a
en revanche promis d’envoyer
des renforts policiers en Hongrie.
Plus en amont sur la « route des
Balkans », en Serbie, actuellement
en pleine campagne pour les élec­
tions législatives du 26 avril, le dé­
puté d’extrême droite Bosko
Obradovic a, lui, carrément de­
mandé « à l’armée et à la police de
prendre le pouvoir pour protéger
les frontières » en reprochant au
président, Aleksandar Vucic, sa
position plutôt tolérante envers
les migrants passant sur le terri­
toire serbe. Le ministre de la dé­
fense a accusé le député de « men­
songe », alors que seuls 6 000 mi­
grants se trouveraient en Serbie
actuellement. Belgrade a toutefois
promis d’« empêcher l’entrée illé­
gale de migrants dans notre pays ».
Cette volonté désormais généra­
lisée des gouvernements euro­
péens de tout faire pour empê­
cher les migrants de passer com­
plique sérieusement une éven­
tuelle répétition de l’épisode de


  1. Mais cela n’empêche pas
    Viktor Orban et ses admirateurs
    de rêver d’en profiter à nouveau.
    jean­baptiste chastand


En Autriche,
le FPÖ évoque le
déploiement de
policiers armés
de « canons à eau
et de munitions
en caoutchouc »
à la frontière

La Turquie abat un nouvel avion syrien


Un avion de l’armée syrienne a été abattu, mardi 3 mars, dans
le nord-ouest de la Syrie, où les combats se sont intensifiés ces
derniers jours, au point que la Turquie, alliée des rebelles sy-
riens, et la Russie, soutien des forces de Bachar Al-Assad, se
rapprochent d’un conflit direct. Cet avion est le troisième
abattu par la Turquie depuis dimanche dans le cadre de son in-
tervention pour repousser les forces syriennes, qui cherchent à
reprendre le dernier bastion des insurgés avec l’appui militaire
de la Russie. Avec plus d’un million de réfugiés massés depuis
décembre 2019 à la frontière turque, en raison de l’offensive
dans la province d’Idlib, l’ONU redoute une crise humanitaire
sans précédent après neuf années de conflit.

50 km

TURQUIE

BULGARIE

GRÈCE

Mer Egée

Ev

ro

s

Soufli

Pheres

Kastanies

SYRIE^
LIBAN^

TURQUIE

Ankara

Athènes

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Uneconférence d’ouvertureanimée parLe Monde,
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28 MARS 2020
11 h - 17 h
11
e
édition

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