Le Monde - 05.03.2020

(Tina Meador) #1

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PLANÈTE


JEUDI 5 MARS 2020

0123


Face à l’avancée 


du coronavirus, 


l’inquiétude 


gagne les Ehpad


Les personnels d’établissements


accueillant des personnes âgées déplorent


le manque de consignes au niveau national


L


e pire est à venir », elle en est
sûre. Sa gorge se noue quand
elle imagine le virus « arriver
dans nos structures gériatri­
ques. Ce sera terrible! », dit­
elle. Séverine Laboue dirige le
groupe hospitalier Loos­Haubourdin, un
ensemble de 285 lits pour personnes
âgées répartis sur deux sites dans la péri­
phérie lilloise. Pour protéger ses rési­
dents, elle a mis en place une batterie de
mesures : installation de bidons de solu­
tion hydroalcoolique à l’entrée et dans
les couloirs ; désinfection renforcée des
surfaces et des poignées de porte. Elle a
commandé 2 000 masques chirurgicaux
qui s’ajouteront aux 300 boîtes déjà stoc­
kées, a supprimé les animations et les
sorties. Mais elle pressent que cela ne
suffira pas. Mercredi 4 mars, Mme Laboue
a annoncé à ses équipes, réunies en
« cellule de crise », sa décision de forte­
ment restreindre les visites des familles.
Dorénavant, les portes de son Ehpad ne
s’ouvriront aux proches qu’un après­
midi par semaine, tous les quinze jours,
et sur rendez­vous. Elle s’attend à ce que
le ministère de la santé annonce le pas­
sage en phase 3 qui correspond au stade
de « l’épidémie ».
Comme elle, d’autres chefs d’établisse­
ment pour personnes âgées anticipent
une aggravation de la situation. « Une
fois passé la fête des grands­mères [di­
manche 1er mars], on a décidé de fermer
aux visites nos quatre établissements
dans le Val­d’Oise et dans l’Oise », expli­
que Antoine Liogier, à la tête d’un groupe

privé familial. « Deux de nos infirmiers
portent un masque et des gants », pour­
suit son épouse Marie­Anne Liogier, di­
rectrice de l’Ehpad Saint­Régis, à Compiè­
gne (Oise). Tous deux habitent Crépy­en­
Valois (Oise), l’épicentre de la contamina­
tion au Covid­19 dans le département.

« DU RETARD À L’ALLUMAGE »
A Crépy­en­Valois, « la situation m’inspire
la plus grande inquiétude, nous confie
Philippe Marini, le maire (LR) de Compiè­
gne. Ce qui se passe au sein de l’hôpital gé­
riatrique de Crépy est abominable.» Qua­
rante personnes y souffrent d’infections
respiratoires aiguës. Parmi eux, cinq rési­
dents et deux agents ont été reconnus,
lundi, porteurs du Covid­19. « L’ensemble
des patients et résidents présentant des
symptômes seront testés mercredi 4 et
jeudi 5 mars », indiquait mardi la direc­
trice de l’établissement crépinois, Marie­
Cécile Darmois.
Crépy­en­Valois et d’autres communes
alentour font partie d’une zone où le mi­
nistère de la santé vient de proscrire les
visites des familles dans les Ehpad. Les
visites sont aussi interdites dans une
partie du Morbihan et de la Haute­Sa­
voie, où les patients contaminés sont les
plus nombreux. A l’échelle de la France
entière, le ministère recommande égale­
ment que les enfants ne soient plus ad­
mis dans les établissements pour per­
sonnes âgées, considérant qu’ils peuvent
être porteurs sains du virus.
Jusqu’à ces derniers jours, les directeurs
d’Ehpad déploraient « le manque de con­

signes spécifiques » de la part du minis­
tère de la santé pour les aider à enrayer le
virus. « Le gouvernement a eu du retard à
l’allumage, déplore Laurent Garcia, cadre
de santé au sein de l’Ehpad Les Quatre
saisons, à Bagnolet (Seine­Saint­Denis).
« Le secteur n’a pas été le premier sujet de
préoccupation du ministère », déplore un
interlocuteur régulier du ministère.
Mardi, Olivier Véran, ministre de la
santé, et Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat
chargée des personnes handicapées, ont
manifesté leur soutien au secteur
médico­social en conviant au ministère
les représentants du secteur du grand
âge, du handicap et de la petite enfance,
l’Assemblée des départements de France
et l’Association des maires de France.

« Une bonne réunion, salue Florence Ar­
naiz­Maumé, déléguée générale du Syn­
dicat national des établissements et rési­
dences privés pour personnes âgées (Sy­
nerpa). Le ministre a promis d’envoyer un
guide sur les conduites à tenir dans les
quarante­huit heures et de nous réunir
chaque semaine pour faire le point. »
Face à la propagation du coronavirus,
les professionnels attendent des messa­
ges clairs des pouvoirs publics pour pro­
poser des réponses graduées selon le
nombre de cas dans un Ehpad et les
capacités d’accueil des hôpitaux : que
faire si un résident en Ehpad est conta­
miné? Doit­il être hospitalisé? Com­
ment le soigner sur place? « On ne peut
plus attendre », insiste Marc Bourquin,

LES REPRÉSENTANTS 


DU SECTEUR DU DOMICILE 


ESTIMENT ÊTRE LES 


« GRANDS OUBLIÉS » 


DU DISPOSITIF NATIONAL. 


DE PLUS EN PLUS D’AIDES 


À DOMICILE MENACENT 


D’EXERCER LEUR DROIT 


DE RETRAIT


Le monde politique contraint de s’adapter au Covid­


Alors que l’exécutif modifie son calendrier, la campagne des municipales est bouleversée, notamment dans les zones les plus touchées


E


n cas de crise sanitaire, ce
qui vaut pour tout un cha­
cun vaut pour le président
de la République. Ainsi, quand il
est entré dans une des salles de
réunion du Centre opérationnel
de réception et de régulation aux
urgences sanitaires et sociales
(Corruss) du ministère de la santé,
ce mardi 3 mars, Emmanuel
Macron ne s’est pas plié au proto­
cole habituel. Ni tour de table, ni
poignée de main, le chef de l’Etat
s’est contenté de lancer à ses hô­
tes : « Je vous serre la main de
cœur. » Preuve que le monde poli­
tique aussi, est contraint de
s’adapter à l’épidémie de corona­
virus qui touche la France.
La veille déjà, l’Elysée avait an­
noncé une révision de l’agenda
présidentiel et l’annulation de
deux déplacements de M. Ma­
cron, l’un prévu au dîner du
Conseil représentatif des institu­
tions juives de France (CRIF) et
l’autre, à l’hôtel de Polignac de
Condom (Gers), l’un des premiers
bénéficiaires du Loto du patri­
moine. « Le président ne va pas al­

ler faire un déplacement patri­
moine avec Stéphane Bern au mo­
ment où les Français se deman­
dent si on va passer en phase 3 de
l’épidémie, justifie­t­on à l’Elysée.
Les Français ne comprendraient
pas qu’on reste sur une gestion
“business as usual”. » Emmanuel
Macron a également reporté le
déplacement qu’il devait effec­
tuer en Polynésie, mi­avril. « Inu­
tile de faire courir un risque à des
populations exposées. Spécificité
insulaire », développe un proche.

« On ne se serre plus les mains »
Lundi 2 mars, le premier ministre,
Edouard Philippe, se trouvait éga­
lement en première ligne, au CHU
de Bordeaux, où il échangeait avec
les personnels soignants alors que
deux patients atteints de corona­
virus y étaient hospitalisés. L’ob­
jectif pour le couple exécutif de
ces déplacements devant des ca­
méras : montrer qu’il prend le pro­
blème à bras­le­corps alors que le
pays est « entré dans une phase qui
va durer des semaines et sans
doute des mois », comme l’a expli­

qué Emmanuel Macron au Cor­
russ mardi soir. Et qu’importe si
les emplois du temps politiques
sont bousculés.
Se serrer la main? Ne pas se la
serrer? La question traverse égale­
ment le Parlement. Au Palais du
Luxembourg, le sénateur de Saô­
ne­et­Loire, Jérôme Durain, en a
d’ailleurs fait les frais. A la tribune,
le parlementaire PS s’est vu refu­
ser la traditionnelle poignée de
main par le président du Sénat,
Gérard Larcher, devant les autres
sénateurs. « Voici une vidéo de pré­
vention (et accessoirement mon
plus grand vent parlementaire) : on
ne se serre plus les mains! », s’est
amusé l’élu sur son compte Twit­
ter en partageant la séquence.
A l’Assemblée nationale, un bu­
reau exceptionnel a été convo­
qué, mardi 3 mars, dans la mati­
née, pour évoquer l’épidémie et
ses conséquences au Palais­Bour­
bon. Pour l’heure, les visites exté­
rieures de groupe restent autori­
sées. Mais en cas de passage au
stade 3 de l’épidémie, « l’annula­
tion, sans préavis, de visites et de

manifestations » est à prévoir,
précise, dans un courrier adressé
aux députés, le président de l’As­
semblée, Richard Ferrand. Les
parlementaires ont également
été informés de la procédure à
suivre si une personne présen­
tant des « signes d’infection respi­
ratoire et revenant d’une zone à
fort risque » était identifiée.
Mais, loin des institutions, c’est
une autre question qui se pose :
comment continuer à faire cam­
pagne pour les municipales?
« Pour l’instant rien ne change si ce
n’est que sur les marchés et les trac­
tages, on ne peut plus serrer de
mains », affirment en chœur de
nombreux candidats. A onze jours
du premier tour, à Paris, comme
dans plusieurs villes, les équipes
de campagne affirment n’avoir
rien changé à leurs emplois du
temps. Coronavirus ou pas, la
maire sortante de la capitale, Anne
Hidalgo, a tenu son deuxième
grand meeting, lundi 2 mars, de­
vant 600 personnes en présence
des anciens présidents brésiliens
Lula et Dilma Rousseff. « A partir

du moment où l’interdiction des
rassemblements dans les lieux
confinés ne concerne que ceux de
5 000 personnes, on ne s’est pas
vraiment posé la question d’une
annulation », explique­t­on dans
son équipe de campagne.

A Creil, des « live chats »
Dans les zones les plus touchées
par le Covid­19, la situation est
toute autre. Dans l’Oise, où près
d’une cinquantaine de cas ont été
recensés, les mesures prises par la
préfecture sont bien plus strictes
que dans le reste du pays puisque
« tout rassemblement collectif est
interdit sur l’ensemble du départe­
ment ». Ce qui, en période électo­
rale pose évidemment problème,
et oblige les candidats à faire
preuve d’ingéniosité.
Pour pouvoir poursuivre sa
campagne à Creil malgré le confi­
nement préconisé, Hicham Boul­
hamane, chef de file de la liste ci­
toyenne Génération Creil, assure
des « live chats ». « L’idée nous est
venue quand on a compris que no­
tre grand meeting du 13 mars se­

rait annulé », explique l’ancien
proche du maire sortant, Jean­
Claude Villemain. Face caméra, la
tête de liste aborde tous les points
de son programme et répond aux
questions des Creillois recueillies
à l’aide d’une boîte e­mail mise en
place au préalable. « Aujourd’hui,
l’essentiel c’est vraiment d’infor­
mer. On ne peut plus faire campa­
gne sur le terrain, alors on utilise
les réseaux sociaux », poursuit­il.
Dans les principaux foyers de
propagation du virus en France,
et notamment l’Oise et le Morbi­
han, la campagne municipale est
tellement bousculée que de nom­
breux candidats demandent à re­
porter le scrutin, dont le premier
tour est prévu le 15 mars pro­
chain. « A ce stade, il n’est pas
question d’un report des élections
municipales, au niveau national
comme au niveau local », ré­
pond­on pour l’instant du côté du
gouvernement.
louisa benchabane,
sacha nelken,
cédric pietralunga
et manon rescan

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