10 // IDEES & DEBATS Vendredi 21 et samedi 22 février 2020 Les Echos
opinions
Quatre bouleversements auxquels
les entreprises doivent se préparer
tout cela se déroule dans une migration
continuelle d’un ensemble toujours
plus vaste d’interactions des espaces
physiques aux espaces virtuels.
Chacune de ces forces séculaires
aura un impact considérable sur l’effi-
cacité et le succès des entreprises
comme des gouvernements. Cadres
dirigeants et responsables politiques
doivent donc remettre en question de
manière opportune (ce qui signifie
aussi savoir prévoir) non seulement
leurs modèles économiques et leurs
méthodes d’action, mais aussi leurs
considérations tant tactiques que
stratégiques.
Envisager tous les scénarios
La compréhension de tout cela passe
par la diversité cognitive, par l’ouver-
ture sur une position critique construc-
tive, par des analyses répétées des scé-
narios possibles et par des approches
multidisciplinaires.
Les défis qui se posent à la prise de
décision et au leadership, tant dans le
monde de l’entreprise que dans l’action
publique, ne se limitent pas à l’identifi-
cation et à la recension de chacune des
quatre forces séculaires et des adapta-
tions requises. Les décideurs doivent
aussi prendre en compte les corréla-
tions et relations de cause à effet entre
les unes et les autres, qui peuvent en
multiplier les effets et rendre leurs
conséquences exponentielles.
Combinée au dévoiement de l’intelli-
gence artificielle et de l’utilisation des
données de masse – avec les c onséquen-
ces qui s’ensuivent quant au respect de
la vie privée –, la démondialisation pose
aussi une question inquiétante. Elle
pourrait conduire certains gouverne-
ments à des comportements peu scru-
puleux et encourager des acteurs non
étatiques malintentionnés à perturber
le fonctionnement des sociétés et des
économies.
Le monde connaît une période d’évo-
lution accélérée. Plus vite les entrepri-
ses et les gouvernements s’adapteront,
mieux ils pourront faire pencher en
leur faveur la balance des bénéfices,
des coûts et des risques.
Mohamed El-Erian est conseiller
économique en chef d’Allianz.
Ce texte est publié en collaboration
avec Project Syndicate 202 0.
des gouvernements (notamment en
Chine), soit des grandes entreprises du
secteur technologique (comme aux
Etats-Unis), soit encore, en majorité,
les usagers (comme en Europe). Mais
aucun de ces trois paradigmes ne sem-
ble fournir à la plupart des gens les
assurances et la confiance suffisantes.
La troisième force séculaire con-
cerne les turbulences que connaît
aujourd’hui le processus de mondia-
lisation économique et financière
enclenché voici de longues décennies.
L’événement déclencheur en est le
renversement de la politique commer-
ciale d écidé par l’administration d u pré-
sident des Etats-Unis, Donald Trump.
Mais la démondialisation a connu, avec
l’irruption de l’épidémie mortelle de
Covid-19, une accélération foudroyante,
qui perturbe la circulation des biens et
des services en Chine et dans le monde.
Mobilisations politiques
Enfin, la dernière vague est démogra-
phique, et elle va au-delà des inquiétu-
des concernant le vieillissement des
sociétés européennes et asiatiques avec
ses conséquences économiques et poli-
tiques. Les entreprises doivent doréna-
vant apprendre à mieux comprendre la
question de la distribution « en toute
quantité, en tout lieu, à tout moment ».
En outre, la fidélité des salariés à leur
entreprise diminue, tandis que les
attentes d’emplois où l’on se réalise
mieux et où l’on s’engage plus augmen-
tent. Les mobilisations personnelles
pour des causes politiques ou pour
d’autres causes, souvent sans structu-
res visibles de direction, sont devenues
plus aisées, même si elles sont souvent
moins durables et soulèvent des ques-
tions difficiles quant à leur devenir. Et
Le monde connaît
une période d’évolution
accélérée.
Plus vite les entreprises
et les gouvernements
s’adapteront, mieux
ils pourront faire
pencher en leur faveur
la balance.
La pression climatique, le respect de la vie privée, la remise en question
de la mondialisation et les nouvelles contraintes démographiques
sont autant de défis lancés aux dirigeants.
DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE
- « Do you speak english? » Non!
Alors dehors! Le projet de Boris John-
son de limiter l’immigration en fixant
de nombreuses conditions aux candi-
dats, comme celle de parler l’anglais,
suscite une grande émotion au Royau-
me-Uni. Ces réformes sont « peut-être le
plus grand changement depuis le t raité de
Maastricht qui, il y a trente ans, donnait
aux Européens l a liberté de v ivre et de tra-
vailler au Royaume-Uni », écrit «The
Guardian».
Derrière le projet qui vise à donner la
priorité aux travailleurs immigrés hau-
tement qualifiés en créant un système à
points, se cache l’idée de Boris Johnson
que « l’immigration était le principal
moteur du vote favorable au Brexit ».
Pour l e Premier ministre, « il n’y a pas de
compromis possible entre contrôle des
frontières et commerce avec l’Europe ». Il
ne faut cependant pas totalement
désespérer tant le projet semble oppor-
tuniste. « Si l’économie souffre – le départ
soudain de travailleurs européens pour-
rait créer des pénuries de main-d’œuvre –
alors les ministres feront marche arrière
et assoupliront les règles pour permettre
un plus grand nombre d’immigrés »,
estime le quotidien. L’un des arguments
des partisans de ces règles est que
l’immigration peu qualifiée profite aux
consommateurs les plus riches qui uti-
lisent des services faisant appel à une
main-d’œuvre abondante et cela aux
dépens des salariés britanniques à bas
salaire. Tant que les travaillistes
n’auront pas détruit ce faux argument,
« Boris Johnson continuera de pousser
son avantage politique. Ce qui fonctionne
en politique, ne fonctionne pas en écono-
mie », écrit le journal.
Sans rire, la secrétaire d’Etat à l’Inté-
rieur, Priti P atel, a reconnu jeudi q ue ses
parents, d’origine indienne et ayant
vécu en Ouganda, n’auraient peut-être
pas pu s’installer en Angleterre si ces
nouvelles règles avaient été appliquées.
—J. H.-R.
L’anglais, un obstacle
au Royaume-Uni pour
les immigrés européens
LE MEILLEUR DU
CERCLE DES ÉCHOS
Pourquoi le vin français
est en danger
L’innovation est le talon d’Achille
du secteur vitivinicole français. Si rien
n’est fait, c’est toute notre filière qui sera
dépassée par la concurrence étrangère,
redoute Loïc Tanguy, fondateur
des Grappes.
PRODUCTION « L’année 2019 fut une année
délicate pour les vignerons français avec une
production en baisse de 14 %. Par rapport
à l’année 2018, ce sont près de 7 millions
d’hectolitres en moins sur les tables
des consommateurs. A l’heure où toutes
les filières mettent en avant l’innovation,
il semble que la filière vitivinicole et
les pouvoirs publics se contentent de parler
histoire, héritage et patrimoine. Il est temps
de faire bouger les choses, de structurer
et de mieux accompagner l’innovation,
afin de consolider cette industrie
pour affronter les défis de demain. »
FRENCH TECH 120 « Malgré le poids
de la filière vin dans l’économie française,
nous déplorons l’absence d’une structure
d’accompagnement d’ampleur nationale
dédiée à l’innovation de la filière. [...]
La Banque publique d’innovation
(bpifrance) a pourtant mis en place des pôles
dans des industries spécifiques :
l’automobile, le ferroviaire, le bois,
le tourisme, le luxe... Le vin est absent
de cette liste. Aucune entreprise de la filière
vin n’a réussi à atteindre la taille critique
ou à lever suffisamment de fonds pour
figurer dans la liste du French Tech 120
ou celle du Next 40. »
MENACES « Il est d’autant plus urgent
de porter l’innovation au sein de la
viticulture française que celle-ci fait face
à des menaces grandissantes. [...]
Il y a la menace de Donald Trump de taxer
l’import de vins français et l’incertitude
du Brexit. [...] Ajouté à cela, la concurrence
grandissante des nouvelles nations
émergentes du vin qui grignotent les parts
de marché françaises à l’export,
est également à prendre en considération. »
a
Lire l’intégralité sur Le Cercle
lesechos.fr/idees-debats/cercle
L
es entreprises comme les Etats
doivent désormais intérioriser la
possibilité – et je dirais même la
probabilité écrasante – d’une accéléra-
tion de quatre mouvements séculaires
qui pèsent sur l’action de leurs diri-
geants et sur leurs façons de faire.
L’image que les décideurs devraient se
faire de ces diverses tendances est celle
de vagues, qui, pour peu qu’elles se
manifestent simultanément, pour-
raient a voir l’effet d ’un tsunami s ur ceux
qui n’auront pas su s’adapter et repen-
ser à temps leurs conceptions et leurs
pratiques.
Pression climatique
La première et la plus importante
d’entre elles e st c elle du changement cli-
matique, un problème qui, voici peu,
semblait encore lointain. La mobi-
lisation de différents segments de la
société, de plus en plus inquiets, en rai-
son notamment des bouleversements
climatiques survenus au cours de ces
dernières années, a renforcé la pression
sur les entreprises pour qu’elles agis-
sent dès maintenant. L’annonce faite
par BP de son intention de parvenir à
l’annulation de ses « émissions nettes »
de carbone d’ici à 2050 – une promesse
qui mérite d’être relevée venant d’une
compagnie dont l’activité a précisé-
ment pour cadre les secteurs les plus
controversés – est l’exemple le plus
récent d’une entreprise répondant à la
demande sociale.
Deuxième « vague », celle des inquié-
tudes concernant le respect de la vie
privée, nourries par les innovations
techniques nées de l’intelligence artifi-
cielle et de l’exploitation des données
de masse.
La société perçoit de plus en plus que
les récents progrès technologiques per-
mettent non seulement de traiter plus
efficacement d’immenses quantités de
données personnelles, mais aussi d’uti-
liser cette i nformation p our c ontrôler et
modifier les comportements. En gros,
les données sont entre les mains soit
LA
CHRONIQUE
de Mohamed
El-Erian
LE LIVRE
DU JOUR
Les maires
à la manœuvre
LE PROPOS La France en compte
environ 36.000. Élections
municipales obligent,
ils deviennent objet de toutes
les interrogations, attentions
et compétitions. On les dit fatigués,
persécutés par leurs administrés,
assommés par les contentieux,
dépossédés de leurs moyens
financiers. Ils disposent cependant
d’une aura inégalée dans la sphère
politique, de compétences
essentielles (le permis
de construire en premier lieu),
et d’une extraordinaire caisse
de résonance opérationnelle
avec les intercommunalités.
Celles-ci prennent d’ailleurs
de plus en plus la main sur un
nombre important d’activités.
Cet excellent dossier sur
« les démiurges du local » souligne
évidemment la diversité
des situations, mais également
les capacités d’innovation
(la gratuité des transports
par exemple) des édiles,
de leurs équipes et de leurs
administrations. Qu’il s’agisse
denumérique ou d’environnement,
ils pourraient même s’impliquer
davantage. Un recueil d’analyses
fouillées à mettre sous tous les
yeux avant les échéances de mars.
LA CITATION « Le fameux “a gir
local” ne peut pas tout. Mais il peut
beaucoup » (Nicolas Portier,
délégué général de l’Assemblée
des communautés de France).
—Julien Damon
Que peuvent les maires?
L’Economie politique, n° 85, 2020.
Andy Buchanan/NYT-Redux-RÉA
BP a annoncé son intention de parvenir à l’annulation de ses « émissions nettes » de carbone d’ici à 2050.
Photo : plateforme de forage pétrolier de BP au large de l’Ecosse.