Les Echos - 21.02.2020

(vip2019) #1

Solveig Godeluck
@Solwii


Que de théâtre autour des retraites.
La conférence de financement qui
réunit les partenaires sociaux sous
la férule de Jean-Jacques Marette,
l’ancien patron de l’Agirc-Arrco,


n’est pas encore entrée dans la
phase de négociations. Mais déjà,
les syndicats les plus opposés au
projet de réforme des retraites font
savoir leur mécontentement. Cer-
tains se sont rendus à la séance de
jeudi matin en traînant les pieds –
même si le sujet du jour, celui de la
gouvernance, est à leurs yeux de la
plus haute importance.
Ainsi, le secrétaire général de
Force ouvrière, Yves Veyrier, a pré-
dit l’échec de cette conférence. « Je
constate qu’elle prend l’eau de toutes
parts, que certains essaient d’écoper
bon an mal an, mais q u’à l ’arrivée, o n
va au naufrage », a-t-il déclaré à
l’AFP. FO continuera d’« y aller pour
voir », « pour surveiller », a-t-il
cependant expliqué.
Quant à la CGT, elle a lancé la
veille un ultimatum au gouverne-
ment pour qu’il réponde à ses pro-
positions alternatives de réforme,
faute de quoi elle proposera à ses
instances de se retirer de la confé-
rence, et organisera une « contre-
conférence » avec d’autres organi-
sations syndicales. Son programme
prévoit de revenir à la retraite à
60 ans et au calcul de la pension sur

la base des dix meilleures a nnées, e t
d’améliorer la prise en compte de la
pénibilité. Le tout pour un montant
de 41 milliards d’euros, alors que
l’objet de la conférence est de pro-
poser des mesures pour combler
le déficit du système de retraite
en 2027.

Ceinture et bretelles
Malgré ces proclamations, les syn-
dicats ont tous travaillé pour la
séance de jeudi. Unanimes et
d’accord avec le patronat, ils ont
dénoncé le schéma de gouvernance
imaginé par le gouvernement. Le
conseil d’administration de la
Caisse nationale de retraite univer-
selle (CNRU), au sein d uquel les p ar-
tenaires s ociaux prendront les déci-
sions de pilotage financier, y est
beaucoup trop encadré à leur goût.
Car le comité d’experts indépen-
dants d es r etraites (CEIR) intervien-
dra à la fois en amont, via son rap-
port annuel pour actualiser la
trajectoire financière, puis en aval,
quand il publiera son avis sur la
délibération du conseil de la CNRU.
« C’est ceinture et bretelles pour le
gouvernement. Nous ne voulons pas

d’étatisation », critique Dominique
Corona, le négociateur de l’Unsa,
qui ne voit pas quel besoin a le CEIR
de se prononcer après la CNRU. « Je
comprends que le gouvernement ne
veuille pas s’asseoir sur ses prérogati-
ves concernant 14 % du PIB. Mais de
toute façon, si le conseil d’adminis-
tration de la CNRU n’a pas pris de
décision au 30 juin de chaque année,
le gouvernement reprendra la main.
On n’a pas besoin d’un avis en plus »,
développe le syndicaliste. L’inspira-
tion des partenaires sociaux, c’est la
gouvernance paritaire de l’Agirc-
Arrco. Elle revalorise les pensions
chaque année ; il suffit ensuite d’un
arrêté ministériel pour élargir cette
décision à d’autres régimes.
Par ailleurs, les partenaires
sociaux demandent de remplacer le
CEIR par l’actuel conseil d’orienta-
tion des retraites, où ils siègent. Ou
bien de laisser le conseil de la CNRU
désigner au moins deux membres
pour siéger au CEIR, aux côtés du
directeur général de l’Insee et des
personnalités nommées par l’Ely-
sée, la Cour des comptes, l’A ssem-
blée, le Sénat, le conseil économi-
que social et environnemental.n

Les partenaires sociaux demandent à revoir


la gouvernance du futur système de retraite


Syndicats et patronat
veulent gagner en autono-
mie et critiquent l’influence
du gouvernement, via
le comité d’experts.


Adrien Quatennens (à gauche) et Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise à l’Assemblée. Photo Jacques Witt/Sipa

aujourd’hui », souligne l’entourage
d’Edouard Philippe. Difficile en
effet politiquement de prendre une
telle décision. Mais « après, en aura-
t-on besoin? » s’interroge-t-il toute-
fois, reconnaissant que « cela com-
mence mal ». « Sur un texte comme
celui-là, on a besoin de ce temps. S’il
est pris par l’obstruction, c’est regret-
table, mais c’est comme ça et ceux qui
regardent voient bien qui sont les
empêcheurs de débattre », pour-
suit-on à Matignon. Une manière,
alors que LFI et gouvernement se
renvoient la responsabilité de
l’impasse, de rejeter la faute sur
l’opposition si, in fine, 49.3 il y a.

Hurler au fascisme
« Le stratagème de Mélenchon et des
communistes, c’est de pousser via
l’obstruction le gouvernement
au 49.3 pour ensuite hurler au fas-
cisme », renchérit un poids lourd de
LREM. « Ils veulent préparer l’opi-
nion à l’idée de sortir le 49.3. Nous
avons un président autoritaire, les
méthodes de l’autoritarisme se pro-
pagent », n’a d’ailleurs pas manqué
de déclarer le chef de file de La
France insoumise jeudi après-midi.
Du côté de l’Elysée, on indique
que « sur les retraites, le président de
la République souhaite un débat
apaisé. On voit bien que ce n’est pas le
cas. » De quoi, là encore, préparer
les esprits, même si constitution-
nellement, ce n’est pas le chef de
l’Etat qui propose le 49.3, mais le
Premier ministre. « Les difficultés
du débat parlementaire ont redonné
des couleurs au 49.3 », insiste une
source gouvernementale.
Jeudi après-midi, le président de
l’Assemblée nationale, Richard
Ferrand, a fait un point sur « l’avan-
cement » de la discussion du projet
de l oi, soulignant d’abord que « hors
discussion générale et rappels au
règlement », les groupes LR, France
insoumise (17 députés) et commu-
nistes avaient « chacun parlé 20 %
du temps », pour r éfuter tout
« bâillonnement de l’opposition »
et anticiper les accusations à venir
sur le bâillonnement du Parlement.
Il a aussi assuré qu’à ce rythme,
il faudrait, pour examiner les

36.476 amendements restants,
1.643 heures de séance, soit
150 jours...

« 49.3 disruptif »
A partir du moment où l’exécutif
veut maintenir son calendrier avant
les municipales, le 49.3 semble iné-
vitable. « Edouard Philippe n’a
aucune appétence pour cela, mais
c’est un homme responsable », glisse
un proche d’Emmanuel Macron.
Certains, dans la majorité, ont ima-
giné recourir au 44.3 – le vote blo-
qué sur tout ou partie du texte –,
mais une source gouvernementale
indique que cela ne ferait pas
gagner de temps. « Ce qu’il faudra
comprendre, c’est que ce 49.3 ne sera

pas là pour mater la majorité mais
pour la désembourber. Ce sera
un 49.3 disruptif », insiste un élu
haut placé. Ce que le patron du
groupe Modem à l’Assemblée,
Patrick Mignola, a appelé un « 49.3 à
l’envers, voulu par les oppositions ».
« On s’embourbe tellement et le
spectacle des oppositions est telle-
ment caricatural que les Français
vont comprendre cet outil », veut
croire un marcheur de la première
heure. Alors face à une telle déci-
sion sur un tel texte, qui ne man-
quera pas d’alimenter les accusa-
tions de passage en force, un proche
du chef de l’Etat tente de se rassu-
rer : « Quand je parle du 49.3 à ma
mère, cela ne la fait pas tressaillir. »n

lPour tenir son calendrier, l’exécutif risque de devoir en passer par le recours à l’article 49.3 de la Constitution.


lIl en rejette la faute sur les oppositions, notamment La France insoumise, l’accusant de ne pas vouloir débattre du fond.


Retraites : face à l’enlisement,


la majorité prépare les esprits au 49.


Isabelle Ficek
@IsabelleFicek


Vociférations, insultes, suspen-
sions de séance et rappels au règle-
ment en pagaille... « Cela ressemble
à une g uignolade », se d ésole un émi-
nent responsable de la majorité
face à la tournure des débats sur la
réforme des retraites à l’A ssemblée
nationale, écrasés par le nombre
d’amendements – plus de 41.000,
dont plus de 30.000 identiques – à
examiner. « On s’enlise à ergoter et
cela va altérer la parole politique »,
déplore le même. Jeudi, au qua-
trième jour de discussion en
séance, et alors même que les oppo-
sants à la réforme, pour la dixième
journée interprofessionnelle
d’action, ont peiné à rassembler
avec seulement 7.800 manifestants
à Paris selon l’Intérieur, l’hémicycle
a, lui, des airs de tranchées. Et la
majorité a peu d’espoir d’en sortir
sans voir le gouvernement recourir
à l’article 49 alinéa 3 de la Constitu-
tion – adoption du texte sans vote d u
Parlement – pour aboutir à ses fins
et s’extirper du bourbier. « Ça craint,
mais on va être obligé de se taper
un 49.3 », se résigne un ténor de
la majorité. « Plus que probable »,
confirme un autre.
Alors certes, le Premier ministre
« depuis le début, dit que le 49.3 ne
peut pas être la solution qu’on peut
promouvoir. Nous, nous voulons
débattre, on ne va pas parler du 49.


POLITIQUE


SUR


ÉDITO ÉCO DU JOURNAL DE 7H
DANS LE 6H-9H DE MATTHIEU BELLIARD

NICOLAS BARRÉ

LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

A


ttention au 49.3, « il
ne porte pas chance »,
avertit lundi en
séance le député Philippe
Vigier, pointant les
vicissitudes du quinquennat
précédent. « Sauf pour
Macron », lui glisse Richard
Ferrand, puisqu’il a été élu en


  1. Quand l’opposition et
    les syndicats font du 49.3 un
    épouvantail (« du délire », dit
    Laurent Berger), quand une
    partie de la majorité craint de
    voir étayé le procès en
    « dictature » qui lui est fait, ce
    proche d’Emmanuel Macron
    au contraire minimise. Hors
    des micros certes, il plaisante.
    Il y a cinq ans presque jour
    pour jour pourtant, lorsque
    Manuel Valls alors Premier
    ministre impose le 49.3 pour
    faire adopter la loi Macron,
    c’est un affront pour le jeune
    ministre de l’Economie. Le
    signe d’un échec de sa
    méthode, faite de
    concertation et d’écoute. Il
    n’en dit rien, mais développe
    une allergie à ces trois chiffres
    synonymes de coup de force.
    Deux ans plus tard, il est
    candidat à la présidentielle et
    porte toujours la cicatrice.
    Pour défendre le recours aux
    ordonnances sur la loi
    travail, il assure que « c’est
    très différent d’un 49.3 ».


L’arme repoussoir.
Face aux épreuves, tout peut
arriver, y compris une
réconciliation. Si Richard
Ferrand plaisante, c’est qu’il
sait que le 49.3 a fini d’être un
traumatisme pour Emmanuel
Macron. C’est un risque certes,
mais moindre que celui de
voir s’éterniser un débat qui
empêche de passer à autre
chose et de préparer 2022. Et
qu’a-t-il vraiment à perdre
puisque l’opinion refuse déjà
de le voir en homme de
dialogue?
Depuis quelque temps déjà,
Emmanuel Macron a donc
décidé d’autoriser le 49.
en souhaitant que deux
conditions soient remplies.
Que la démonstration soit faite
qu’il ne s’agit pas d’un déni
de démocratie, mais d’une
réponse à l’obstruction de
l’opposition. Il faut donc garder
le mystère, prendre du temps,
jouer le jeu parlementaire et
laisser la discussion s’enliser
jusqu’à l’absurde. On y est. La
bataille de communication est
engagée. Qui est responsable :
Macron ou Mélenchon?
Enfin, la réconciliation
est d’autant plus facile si ce
n’est pas Emmanuel Macron
qui porte la responsabilité
du 49.3 mais... son Premier
ministre. Valls n’était-il pas
celui qui avait payé le plus
cher celui de 2015? A l’Elysée,
le « on » et le « off » sont
décalés. Macron ne s’exprime
pas sur ce sujet, c’est
Matignon qui décide, dit-on
en « on ». Feu vert pour
le 49.3, transpire le « off ».
[email protected]

Macron et le 49.3 : histoire


d’une réconciliation


Traumatisé par le 49.3 sur sa loi de 2015, Macron est
prêt à l’utiliser pour tourner la page des retraites.
A fortiori, si c’est son Premier ministre qui en porte
la responsabilité. Il s’y emploie.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

« Les difficultés
du débat
parlementaire
ont redonné
des couleurs
au 49.3. »
UNE SOURCE
GOUVERNEMENTALE

FRANCE


Vendredi 21 et samedi 22 février 2020Les Echos

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