24 // HIGH-TECH & MEDIAS Vendredi 21 et samedi 22 février 2020 Les Echos
de 116 millions d’euros via cette opé-
ration. Nouvelle venue en Bourse,
cette entité a été créée en octobre,
mais ne sort pas de nulle part puis-
qu’elle appartient à Bigben Interac-
tive, qui restera l’actionnaire majo-
ritaire au terme de l’IPO.
Ce groupe tricolore a vu le jour
en 1981 et a mis le cap sur l’édition
de jeux vidéo il y a un peu plus de
cinq ans. Avec Nacon, Bigben Inte-
ractive va regrouper toutes ses
activités dans le gaming, un péri-
mètre comprenant également la
vente d’accessoires dédiés
(manette, casque...). Sur les neuf
premiers mois de son exercice fis-
cal en cours, le chiffre d’affaires de
son activité gaming est en hausse
de 25 % sur un an, à 104,2 millions
d’euros. Une croissance soutenue
par l’activité d’édition.
En récoltant des fonds avec l’IPO
de Nacon, le groupe veut accélérer
plus encore sur ce marché en
pleine effervescence. « L’objectif est
notamment de poursuivre nos
acquisitions de studio de jeux vidéo
comme on l’a fait ces dernières
années », détaille Alain Falc, le
patron de Bigben Interactive, qui
commence aujourd’hui à Londres
un roadshow qui va durer près de
deux semaines.
Un groupe positionné
sur les jeux Double-A
Ces deux dernières années, la
société française a ainsi mis la main
sur Spiders, Kylotonn, Eko
Software et surtout Cyanide, sa plus
grosse acquisition (10 millions
d’euros) à ce jour sur le segment de
l’édition de jeux vidéo.
Le groupe est positionné sur le
créneau des jeux vidéo dits « Dou-
ble-A – c’est-à-dire de milieu de
gamme –, et entend devenir un
poids lourd de ce segment. Après
s’être longtemps axée sur les jeux de
sport de niche (cyclisme, rallye, ten-
nis, volley, rugby, etc.), la société
bleu-blanc-rouge a ainsi commencé
à élargir son portefeuille il y a peu.
En juin dernier, le groupe a sorti
The Sinking City, un jeu dit « d’hor-
reur-aventure » dont les frais de
développement ont atteint les
10 millions d ’e uros. U n record pour
le groupe.
Avec la manne dont Nacon va
bénéficier après son entrée en
Bourse, la société veut aussi mon-
ter en gamme en allouant davan-
tage de ressources aux budgets de
développement de ses jeux vidéo.
« Aujourd’hui, cela tourne autour
de 2 millions d’euros en moyenne.
L’objectif est de monter à 4 millions
d’euros », souligne Alain Falc, dont
le g roupe commercialise une q uin-
zaine de titres chaque année.
« On veut aussi sortir 1 à 2 jeux par
an à plus de 10 millions d’euros »,
précise-t-il.
A l’instar de ce qui passe dans la
SVoD avec Netflix, Disney, Apple et
consorts, le marché du jeu vidéo
voit les plateformes de distribution
se démultiplier. Une aubaine pour
les éditeurs comme Nacon, car cel-
les-ci ont besoin de contenus pour
attirer les joueurs.
Dans la vente de jeux PC en
ligne, la boutique Epic Games
Store (lancée par le groupe der-
rière le jeu phénomène Fortnite)
n’hésite pas à signer des chèques
importants pour s’arroger une
exclusivité temporaire sur cer-
tains titres qui ne sont pas dispo-
nibles chez son rival direct Steam.
Dont une poignée de jeux (WRC 8,
The Sinking City, Bee Simulator)
édités par Bigben Interactive.
Alias Nacon désormais.n
Jeux vidéo : le français Nacon veut lever plus de 100 millions en Bourse
Nicolas Richaud
@NicoRichaud
Le jour « J » du débarquement de
Nacon sur Euronext approche.
Jeudi, le groupe a levé le voile sur la
fourchette de son prix d’introduc-
tion en Bourse, qui est prévue pour
le 10 mars. En tout, Nacon pourrait
émettre jusqu’à 20 millions de nou-
velles actions et lever un maximum
JEUX VIDÉO
Le groupe Bigben
Interactive a levé le
voile sur la fourchette
du prix d’introduction
de Nacon, une nouvelle
société regroupant
toutes ses activités
dans le jeu vidéo.
L’éditeur veut
allouer davantage
de ressources
au développement
de ses jeux.
Il veut passer
de 2 millions en
moyenne à 4 millions.
Florian Dèbes
@FL_Debes
Une nouvelle preuve que
l’Europe n e compte plus se lais-
ser marcher sur les pieds par
les géants américains des tech-
nologies. Au lendemain de la
présentation de la stratégie
numérique de la Commission
européenne, c’est au tour des
autorités de protections des
données personnelles de rap-
peler deux d’entre eux à
l’ordre.La CNIL française et ses
homologues, réunis au sein du
Comité européen de la protec-
tion des données (CEPD), s’alar-
ment du rachat pour 2,1 mil-
liards de dollars des montres
connectées Fitbit par Google.
Dans un communiqué
nommant les deux entrepri-
ses, le CEPD pointe ses « préoc-
cupations quand la possible
combinaison et association de
données personnelles sensibles
concernant des Européens par
une grande entreprise techno-
logique [qui] p ourrait entraîner
un haut niveau de risque sur les
droits fondamentaux à la vie
privée et à la protection des
données personnelles ».
Données très sensibles
Au nom des règles européen-
nes (RGPD), le CEPD invite
Google et Fitbit à conduire une
évaluation transparente sur
les implications de ce rachat.
Des millions de sportifs et de
patients portent les montres
Fitbit et partagent sur l’appli-
cation du fabricant leurs don-
nées de santé pour suivre leur
activité, leur dépense calori-
que, leur rythme cardiaque ou
encore la qualité de leur som-
meil. Autant de données parti-
culièrement protégées par le
RGPD mais que de nombreux
utilisateurs n’imaginaient pas
voir tombera un jour entre les
DONNÉES
Le Comité européen
de la protection des
données s’alarme du
rachat pour 2,1 mil-
liards de dollars des
montres connectées
Fitbit par Google.
De nombreux
utilisateurs n’imagi-
naient pas que leurs
données de santé
tomberaient un jour
entre les mains
d’un groupe
comme Google.
Google et Fitbit
dans le viseur des
CNIL européennes
mains d’un groupe comme
Google aux multiples activités
(publicités ciblées, logiciels
médicaux). Le groupe califor-
nien avait déjà précisé qu’il ne
comptait pas s’appuyer sur les
données de Fitbit pour ses
publicités et note, ce jeudi,
qu’il va continuer à travailler
avec les régulateurs.
Annoncé en novembre der-
nier, le dossier de fusion entre
Google et Fitbit n’est pas encore
arrivé sur le bureau de la Com-
mission européenne. Mais le
CEPD recommande déjà aux
deux entreprises de prendre
des mesures capables d’atté-
nuer les risques avant d’envoyer
leur notification à Bruxelles.
L’ Europe de plus
en plus ferme
A l’automne 2018, la commis-
saire à la concurrence, Mar-
grethe Vestager, avait déjà pris
position sur des questions de
ce type e n étudiant le rachat de
l’application de reconnais-
sance de chanson Shazam par
Apple. Elle avait à l’époque
autorisé l’opération. Mais la
position de l’Europe s’est raf-
fermie entre-temps.
Désormais vice-présidente
de la Commission européenne
en charge du numérique, Mar-
grethe Vestager pointe, elle
aussi, ses inquiétudes quand
des entreprises technologiques
fusionnent et partagent leurs
données. « En matière de tech-
nologie, et des secrets qu’elle
connaît de nous, il n’y a pas de
serment d’Hippocrate », notait-
elle lors d’une conférence d’une
association de professionnels
de la protection des données
personnelles en novembre der-
nier, en comparant les Big Tech
et l es professionnels de santé.n
Elle a dit
« En matière
de technologie,
et des secrets
qu’elle connaît
de nous, il n’y
a pas de serment
d’Hippocrate. »
MARGRETHE VESTAGER
Vice-présidente de
la Commission européenne
en charge du numérique
Photo Kenzo Tribouillard/AFP
« L’auteur, c’est la cinquième
roue du carrosse! »
Propos recueillis
par Véronique Richebois
@vrichebois
Quel regard portez-vous sur le
plan d’action de Franck Riester?
Ce plan comporte des éléments
positifs : l’Etat comme un garant du
droit d’auteur. L’importance du
droit d’auteur en France qui protège
l’œuvre et le droit moral et patrimo-
nial de l’auteur. Le ministre de la
Culture réaffirme que les auteurs
sont au centre de la création : en
effet, pas d’auteurs, pas de livres!
Mais disons aussi que, contraire-
ment à ce qu’indique le ministre, les
auteurs du livre sont exclus de l’arti-
cle qui permet aux auteurs de rési-
lier leur contrat si les droits ne sont
pas exploités! Nous avons pourtant
proposé des amendements...
Le ministre de la Culture a
annoncé la création d’un Conseil
national des artistes-auteurs
chargé de mener les négocia-
tions collectives. Un gadget
ou quelque chose d’essentiel?
C’est une avancée. Mais il va falloir
définir les modalités d ’élection, d ’éli-
gibilité avec des élections prévues
pour le second semestre 2021. Là,
c’est encore flou. Par ailleurs, il exis-
tait, au sein du ministère de la
Culture, une sous-direction du livre
et de la lecture qui avait une visibilité
sur toute la chaîne. La réorganisa-
tion du ministère aura des inciden-
ces dans la manière dont seront
menées les négociations collecti-
ves : créer des « référents artistes-
auteurs » ne changera probable-
ment rien à ces difficultés.
Le contrat de commande
que demandaient les artistes-
auteurs a été préconisé par
Franck Riester. Il devait repré-
senter une avancée majeure
vers le revenu « minimum
garanti » que vous attendiez...
Le ministre n’a pas d u tout é voqué le
minimum garanti dans ses préco-
nisations... Il existe déjà dans le
Code de la propriété intellectuelle
mais, au fil des ans, il s’est trans-
formé en « à-valoir » c’est-à-dire en
avances remboursables sur les
recettes. Le CPE a demandé à
l’Assemblée nationale que le prin-
cipe du minimum garanti et d’un
taux minimum soit posé dans la loi.
Ensuite, o n se met autour d e la table
pour en discuter! L’acte de création
et la cession exclusive des droits sur
une œuvre ne doivent-ils pas être
rémunérés?
Et comment percevez-vous ce
contrat de commande?
Un contrat de commande est évo-
qué pour payer le temps consacré à
la création. Or nous ne souhaitons
pas basculer dans un système de
copyright : il ne protège pas le créa-
teur et son œuvre, mais l’exploitant.
On ne veut pas non plus évoluer
vers du salariat : dans le droit
d’auteur, l’auteur n’est pas subor-
donné à l’éditeur.
On a beaucoup évoqué un dur-
cissement des rapports entre
les éditeurs et les auteurs...
Le climat s’est tendu au moment de
la 2e édition des Etats généraux du
livre, centrée sur le partage de la
valeur. Là, nous avons beaucoup
secoué les éditeurs sur la question
de la rémunération! Depuis des
années, nous restons bloqués sur le
même schéma de répartition de
valeur dans le contrat d’édition. On
s’est habitué à un système où la
rémunération de l’auteur sert de
variable d’ajustement. Là, on doit
rediscuter du partage de la valeur,
de façon collective. Après la TVA,
l’auteur est l e maillon le moins r étri-
bué de la chaîne! La cinquième
roue du carrosse! En quoi 10 %
seraient impossibles?
Pour Vincent Montagne,
cela reviendrait à amoindrir
la production éditoriale et donc
à publier moins d’ouvrages.
L’objectif n’est certainement pas
d’enfoncer ou d’enterrer les édi-
teurs, car on a besoin d’eux. Mais
des questions l égitimes sont à poser.
Le droit d’auteur n’en finit pas de se
casser la figure. Entre 2004 et 2017,
la moyenne des droits répartis a
chuté de 42 %, s elon « Livres
Hebdo » et les chiffres de GfK. C’est
vrai, la production éditoriale s’est
envolée, en particulier en raison de
coûts d’impression ayant énormé-
ment chuté. Aujourd’hui, imprimer
un livre ne coûte pas cher.
On évoque la paupérisation
des auteurs. Mais on assiste
aussi à une paupérisation
des éditeurs et des libraires...
Cela n’excuse pas tout ce que nous
dénonçons, et notamment le man-
que de transparence sur les comp-
tes. Nous demandons deux reddi-
tions de comptes annuelles. Par
ailleurs, on voit bien que dans ce
débat sur le partage de la valeur, la
question sous-jacente est comment
créer de la valeur supplémentaire
pour mieux rémunérer les auteurs.
L’ impression finale est toutefois
celle d’un ministre faisant
preuve d’une faible ingérence
et enjoignant aux artistes-
auteurs : « Maintenant, à vous
de jouer! »
On va jouer par les concertations au
sein des ministères, par les audi-
tions à l’Assemblée nationale. Et peu
à peu les concertations renaissent
entre auteurs et éditeurs. Rémuné-
ration, transparence des comptes.
Nous devons aussi faire passer dans
la loi les accords 2017 qui encadrent
la provision sur retour et l’amortis-
sement intertitre. Et si on n’y arrive
pas, ce sera au ministère de la
Culture d’intervenir et d’arbitrer.n
lLa présidente du Conseil permanent des écrivains livre ses réflexions
sur le rapport de Bruno Racine, qui a alerté sur la paupérisation des auteurs.
lElle salue les préconisations du ministre de la Culture, mais en souligne
les limites en appelant à mieux rémunérer l’acte de création.
BESSORA Présidente
du Conseil permanent
des écrivains
et vice-présidente
du Syndicat national
des auteurs
et compositeurs
« On doit
rediscuter
du partage de
la valeur, de façon
collective. Après
la TVA, l’auteur
est le maillon
le moins rétribué
de la chaîne. »
Pour Bessora, « l’objectif n’est pas d’enfoncer ou d’enterrer
les éditeurs, car on a besoin d’eux ». Photo Writer Pictures/Leemage