Un hôtel de ville à clocher, des
maisons à pignon et des rues pié-
tonnes aux pavés de béton.
Hanau, à une vingtaine de kilo-
mètres de Francfort au bord de la
Kinzig, est une ville allemande
banale. Les bougies et les gerbes
déposées dans les rues où neuf
personnes ont été abattues jeudi
soir paraissent de plus en plus
banales aussi.
Après le meurtre du préfet
Lübcke en juin dernier, et une
fusillade dans une synagogue à
Halle, qui a fait deux morts et
deux blessés en octobre, l’A lle-
magne est une nouvelle fois con-
frontée à des violences d’extrême
droite. Le parquet antiterroriste
est immédiatement parti sur la
piste d’un attentat aux motiva-
tions « xénophobes ». Le suspect
retrouvé mort quelques heures
après la fusillade, Tobias R.,
aurait laissé une vidéo et des
aveux aux propos racistes. Les
victimes visées étaient d’origine
étrangère.
« Le poison de la haine »,
selon Angela Merkel
La chancelière Angela Merkel a
immédiatement réagi en dénon-
çant le « poison » de la haine et du
racisme, lors d’une courte interven-
tion. Signe de la solidarité avec les
victimes et leurs familles, les dra-
peaux ont été mis en berne sur les
bâtiments publics.
Le ministre de l’Intérieur, le CSU
Hors Seehofer, a promis d’entamer
le soir même des discussions avec
les « Länder » pour renforcer la
sécurité. Celui qui a longtemps été
accusé de laxisme face à la radicali-
sation d’extrême droite affirme
désormais que « tenir tête aux
adversaires de l’Etat de droit » est
une « priorité ».
Trop peu, trop tard, selon l’asso-
ciation de la communauté turque
en Allemagne, la TGD. L’associa-
tion n’a eu de cesse de dénoncer ces
dernières années le laxisme des
autorités f ace aux meurtres racistes
menés par la NSU, un groupuscule
néonazi. Au cours des huit pre-
miers mois de 2019, 12.500 délits « à
motivation politique » ont été attri-
bués à l’extrême droite, souligne de
son côté Human Rights Watch
dans un communiqué.
L’AfD montré du doigt
Tous les doigts se pointent vers
l’AfD, le parti d’extrême droite entré
en force au Bundestag en septem-
bre 2017 et toujours plus puissant à
chaque élection régionale. Pour la
présidente sortante de la CDU,
Annegret Kramp-Karrenbauer, les
discours du parti « ont jeté les bases
pour ce genre de raisonnement ».
Sans surprise, le chef du groupe
parlementaire de l’AfD, Alexander
Gauland, a rejeté « l’instrumentali-
sation » d’un acte « horrible dont on
ne connaît pas pour l’instant les
motivations ». —N. St.
Le ministre de l’Intérieur,
Horst Seehofer, promet
de renforcer les mesures
de sécurité et de faire front
face aux extrémistes
après l’assassinat de neuf
personnes d’origine
étrangère par un forcené
radicalisé.
chercher d es soutiens chez les conser-
vateurs du parti risque de l’amener
en deçà de 30 % des voix. »
L’attentat raciste de Hanau rend
ce jeu au centre plus nécessaire
que jamais. Annegret Kramp-Kar-
renbauer a réaffirmé jeudi qu’il ne
pouvait pas y avoir d’alliance entre
la CDU et l’AfD, « un parti
d’extrême droite qui, je le dis très
ouvertement, tolère des nazis dans
ses rangs ». La nécessité de mainte-
nir un « pare-feu » face à l’extrême
droite est plus claire que jamais un
jour comme aujourd’hui, a-t-elle
ajouté. Elle avait précisément
annoncé sa démission après l’élec-
tion surprise d’un libéral à la tête
de la région de Thuringe avec le
soutien de l’AfD et de la CDU
locale. Dans ce contexte et face au
déclin du SPD, la CDU ne peut
compter que sur l es Verts p our for-
mer une coalition, note Uwe Jun,
professeur d e sciences p olitiques à
l’université de Trêve. Les d eux can-
didats les plus « compatibles »
avec les Verts seraient Armin Las-
chet, président de Rhénanie-du-
Nord-Westphalie, et Norbert Röt-
tgen, le premier à avoir déclaré
officiellement sa candidature cette
semaine.
Pizza connexion
avec les Verts
Tous les deux ont participé, à la fin
des années 1990, à ce que la presse
allemande appelle ironiquement
la « pizza connexion » : des ren-
contres informelles entre de jeu-
nes élus régionaux CDU et Verts.
Tous les deux sont également des
Européens convaincus, rappelle
Ulrich Eith. Président de région
populaire, Armin Laschet a pour
lui la taille de ses « troupes ». Dans
ce jeu de poker, un autre homme
monte en puissance : le très con-
servateur Friedrich Merz. Candi-
dat malheureux face à Annegret
Kramp-Karrenbauer lors des der-
nières élections à la tête du parti, il
a désormais le soutien de sept
sympathisants de la CDU sur dix,
selon les sondages. Face à ces g ros-
ses pointures, deux candidats
jouent leur carte d’outsider. Nor-
bert Röttgen s’est lancé officielle-
ment en campagne après une lon-
gue traversée du désert. Exclu du
gouvernement par Angela Merkel
en 2012 après un échec électoral, il
avait quasiment disparu des
radars politiques allemands. Pen-
dant ce temps, il peaufinait sa sta-
ture internationale à la tête de la
commission des affaires étrangè-
res du Bundestag.
L’autre outsider pourrait être le
très actif ministre de la Santé, Jens
Spahn. Opposant de la première
heure à la politique en faveur des
réfugiés de la chancelière, il joue
comme Friedrich Merz la carte du
conservatisme. Jens Spahn a
néanmoins ses atouts : il est jeune
et ouvertement homosexuel. Une
carte à jouer si la CDU veut incar-
ner le changement. « Rien ne
l’oblige à choisir des sexagénaires
comme Larschet ou Merz. L’Alle-
magne pourrait s’inspirer de la
France ou de l’Autriche... », remar-
que Ulrich Eith.n
Le pays
en deuil
après l’attentat
raciste
de Hanau
lSous le choc de l’attentat raciste
de Hanau, le parti d'Angela Merkel
cherche son positionnement
face à l'extrême droite.
lQuatre candidats se disputent la tête
du parti, aux profils très différents.
Allemagne : la CDU cherche sa place
face à l’extrême droite
Nathalie Steiwer
@natbxltec
—Correspondante à Berlin
Protéger la chancelière à tout prix.
Alors qu’Angela Merkel se pose de
nouveau comme un rempart face à
l’extrême droite, après l’attentat
xénophobe de Hanau, la guerre de
succession pour prendre sa place
en 2021 continue à bas bruit. L’un
après l’autre, la présidente sortante
de la CDU, Annegret Kramp-Kar-
renbauer, rencontre les candidats à
la tête du parti, potentiels aspirants
à la chancellerie.
Sommée d’accélérer le mouve-
ment une semaine après avoir
annoncé son départ surprise, elle
pourrait préciser lundi la procé-
dure qu’e lle compte suivre. Clarifier
les lignes devrait alléger l’incerti-
tude qui pèse sur la fin de règne
d’Angela Merkel.
Quatre candidats sont en lice
pour le moment. Tous ont réaffirmé
jeudi leur indignation après la dou-
ble fusillade de H anau qui a fait n euf
morts. Tous viennent de la puis-
sante région de Rhénanie-du-Nord-
Westphalie, qui fait basculer les
élections du poids de sa population.
Mais tous ne placent pas le curseur
conservateur au même niveau.
L’attentat de Hanau montre « à
quel point le climat politique s'est
radicalisé en Allemagne », constate
Ulrich Eith, professeur de science
politique à l’université de Fribourg.
L’un des enjeux centraux pour la
CDU est de « trouver un candidat qui
lui permette de rester un parti popu-
laire au centre ». A ce stade, « aller
EUROPE
« Les manœuvres à la tête de l’Union
chrétienne-démocrate manquent de transparence »
L’attentat de Hanau
va-t-il changer la donne
pour la CDU?
Que l’extrême droite allemande ne
recule pas devant la violence, et
même le meurtre est une attitude
déjà connue. La CDU, de son côté,
s’est toujours indignée face à de tels
phénomènes. En revanche, la posi-
tion des membres du parti qui veu-
lent que la CDU se démarque claire-
ment de l’extrême droite va
certainement être renforcée.
Quelles sont les chances
des quatre candidats
potentiels à la tête de la CDU?
Deux seconds couteaux de la CDU
essaient de revenir sur le devant de
la s cène après avoir été remisés d ans
les oubliettes par Angela Merkel.
Norbert Röttgen a surpris en pré-
sentant le premier sa candidature,
alors q u’il était q uasi i nvisible depuis
sa destitution du ministère de l’Envi-
ronnement en 2012. Friedrich Merz,
écarté par Angela Merkel égale-
ment, a l’avantage d’avoir une forte
popularité au sein du parti et dans
une certaine mesure dans l’opinion
publique. Les fonctions des deux
autres jouent en leur faveur. Armin
Laschet, ministre-président de la
région Rhénanie du Nord-Westpha-
lie, a déjà une certaine présence.
Enfin, Jens Spahn a montré qu’il est
un h omme qui sait p rendre des déci-
sions comme ministre de la Santé. Il
a également gagné en stature en se
présentant a ux dernières élections à
L’incertitude sur les chances de
survie de la coalition s’accroît. Le
SPD a de nouveau répété qu’il ne
continue à participer à un gouver-
nement de coalition que s’il est
dirigé par Angela Merkel. En même
temps, les relations de la chance-
lière avec la future direction de
son propre parti jouent un rôle
essentiel p our son maintien à la tête
du gouvernement. Or, on sait déjà
que ses relations sont mauvaises
aussi bien avec Friedrich Merz
qu’avec Norbert Röttgen. L’incerti-
tude est d’autant plus grande que
Annegret Kramp-Karrenbauer n’a
pas encore dit comment elle
compte organiser la succession.
Réunir un congrès en décembre
sera beaucoup trop tardif. Les
manœuvres à la tête de la CDU
manquent de transparence.
L’ instabilité de la coalition
menace-t-elle la future
présidence allemande
de l’Union européenne
à partir de juillet?
Je retournerai la question : c’est
parce qu’il y a la présidence en
perspective que la grande coali-
tion tient encore. Face aux forces
centrifuges, l’opinion générale
est que nous avons besoin d’un
gouvernement stable pendant
cette période. C’est l’une des rai-
sons importantes pour lesquelles
les membres de la coalition conti-
nuent à travailler ensemble.
Propos recueillis par N. St.
la tête du parti. Il est encore jeune
et peut attendre, ce qu’on ne peut
pas dire ni de Armin Lasche ni
de Friedrich Merz. C’est le moment
ou jamais pour eux. Aucun des
deux n’est prêt à céder la place à
Norbert Röttgen.
Quelles sont les conséquences
de cette guerre de succession
pour le gouvernement
d’Angela Merkel?
UWE JUN
Professeur de
sciences politiques
à l’université
de Trève.
L’attentat de
Hanau montre
« à quel point
le climat politique
s'est radicalisé
en Allemagne ».
ULRICH EITH
Professeur de sciences
politiques à l’université
de Fribourg
Annegret Kramp-Karrenbauer a réaffirmé jeudi qu’il ne pouvait pas y avoir d’alliance entre la CDU et l’AfD.
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Picture-
Alliance/AFP
MONDE
Les EchosVendredi 21 et samedi 22 février 2020