Les Echos - 21.02.2020

(vip2019) #1

LE
COMMENTAIRE


d’Augustin Landier
et David Thesmar


Coronavirus : le choc d’offre de la quarantaine


L


e coronavirus affole la pla-
nète. Face à la pandémie, et en
l’absence de vaccin, le déci-
deur économique ou politique dis-
pose d’un seul outil déterminant :
mettre ou non les individus en qua-
rantaine. Les exemples se sont mul-
tipliés depuis le blocage de Wuhan,
l’isolement du paquebot « Diamond
Princess », ou les recommandations
faites aux employés revenant de
Chine.
Commençons par l’impact éco-
nomique des quarantaines. Par effet
direct, elles causent ce que les écono-
mistes appellent un choc d’offre. En
Chine, nombre de travailleurs sont
confinés chez eux, ce qui réduit
mécaniquement la production
mondiale. Ce choc ne peut pas être
amorti par les outils classiques de
politique économique (monétaire
ou budgétaire), car stimuler la
demande ne traite pas la baisse de la
production.

Au-delà des effets directs, on peut
craindre la disruption des chaînes
de production globales, comme par
exemple dans le cas d’Apple, qui a
annoncé de possibles ruptures de
stock. La Chine abrite un grand
nombre de sous-traitants critiques
dans la production de biens manu-
facturés. En désorganisant les chaî-
nes de production, le virus peut avoir
un effet boule de neige, paralysant
des pans entiers de l’économie. Les
analyses existantes sur les ouragans
aux Etats-Unis ou sur l’accident de
Fukushima s uggèrent cependant un
effet modeste et temporaire. Au
bout d’un ou deux trimestres, les
chaînes de valeur se reconstituent
de manière organique, contournant
les entreprises qui restent dans
l’incapacité de produire.
Les quarantaines créent aussi de
l’incertitude : elles signalent que
l’Etat s’inquiète. En témoigne
l’explosion du prix de l’assurance

plus complexe que lorsqu’il s’agit de
définir des normes de sécurité rou-
tière ou d’exposition à des produits
toxiques. En décidant à quel
moment le coût économique de la
quarantaine devient trop élevé, le
décideur public doit prendre en
compte l’incertitude sur la durée
d’incubation et la détection des
malades. Cela le force à expliciter
son aversion au risque, c’est-à-dire le
poids qu’il met sur les pires scéna-
rios envisageables. Il doit prendre en
compte le fait que le virus terrasse
des personnes fragiles, dont l’espé-
rance de vie est déjà plus faible. Il
doit aussi mettre en balance la priva-
tion de liberté imposée aux indivi-
dus mis en quarantaine. On imagine
le cauchemar des touristes confinés
dans le « Diamond Princess ». De
plus, l’Etat doit choisir le bon niveau
de transparence : cacher la vérité
pour éviter la panique à court terme
crée la défiance de long terme,

comme on l’a vu en Chine ces derniè-
res semaines.
Le pari d es économistes est
d’expliciter ces arbitrages peu
ragoûtants pour éviter le piège de
l’irrationnel. Le prix implicite de la
vie dans la décision publique fait
depuis longtemps l’objet d’études. La
mesure des préférences éthiques et
leurs variations d’une culture à
l’autre sont un sujet de recherche en
plein essor. On le retrouve au cœur
des plus grands débats contempo-
rains, comme le changement clima-
tique, l’intelligence artificielle ou les
crises migratoires. Dans ces domai-
nes, les sciences sociales peuvent
aider les gouvernements à faire des
choix en cohérence avec les préfé-
rences des populations.

Augustin Landier
est professeur à HEC.
David Thesmar
est professeur au MIT.

contre la volatilité boursière juste
après l’isolement de Wuhan le
23 janvier dernier. En p ériode
d’incertitude, les projets d’investis-
sement sont retardés, et l’économie
ralentit. Là aussi, il s’agit d’un choc de
court terme, qui sera rattrapé dans
les trimestres suivants.

L’objectif des quarantaines n’est
évidemment pas la croissance éco-
nomique, mais de sauver des vies.
Mais là aussi, des arbitrages écono-
miques sont bien présents : dans la
pratique des décisions publiques, la
vie humaine n’a pas un prix infini.
Dans le cas du virus, cet arbitrage est

Le prix implicite
de la vie dans la
décision publique
fait depuis longtemps
l’objet d’études.

Michel De Grandi
@MdeGrandi


Nicolás Maduro n’en est plus à une
contradiction près. Le président
élu du Venezuela vient d’organiser
des manœuvres militaires géantes
dans le seul but de se livrer à une
démonstration de force face
aux Etats-Unis. En s’appuyant s ur le
seul socle de soutien qu’il lui reste,
l’armée, il a rappelé 4 millions de
réservistes et simulé une invasion
massive par les Etats-Unis. L’opéra-
tion n’a guère convaincu, car ce
chef d’Etat, en même temps qu’il
fustige l’impérialisme américain,
ne cesse de renoncer à ses idéaux
socialistes. Il laisse à présent le dol-
lar étendre son pouvoir dans une
économie en pleine déliquescence.
C’est, bien sûr, un classique dans
les pays à forte inflation : le billet
vert devient vite une monnaie non


d’Etat du 30 avril 2019, où l’homme
de trente-six ans n’a pas réussi à cas-
ser le lien qui unit l’armée à Nicolás
Maduro, son étoile a sensiblement
pâli. A présent, les chancelleries
occidentales bruissent de commen-
taires, selon lesquels sa reconnais-
sance diplomatique l’an dernier a

été quelque peu précipitée, l’analyse
des forces en présence ayant été
bâclée. En janvier 2019, « la chute de
Maduro n’était qu’une question de
temps ; t reize mois plus t ard, il e st tou-
jours là », résume Gaspard Estrada,
le patron de l’Opalc de Sciences Po.
Les camps sont aujourd’hui bien

séparés. Juan Guaido est tout juste
rentré d’une tournée internationale,
destinée avant tout à relancer ses
soutiens. Nicolas Maduro cherche
l’appui de la Russie et de la Chine.
Mais nul ne peut dire, à présent,
quand ce numéro de duettistes va
prendre fin.n

L’ANALYSE


DE LA RÉDACTION


Les manœuvres


militaires que Nicolás


Maduro vient d’orga-


niser sonnent comme


un énième baroud


d’honneur. Le prési-


dent élu, à la légiti-


mité contestée, n’a


plus que le soutien de


l’armée. Pour panser


son économie déci-


mée, le leader socia-


liste en est réduit à


laisser le dollar


gagner du terrain


et à privatiser


le secteur pétrolier.


Un comble.


officielle de substitution. De ce
point de vue, le Venezuela n’a
aucune raison de faire exception à
cette règle, lui dont l’inflation a
atteint près de 10.000 % l’an der-
nier, selon les données officielles
publiées par la banque centrale.
Elle est certes nettement inférieure
aux 130.000 % de 2018, mais à un tel
niveau, il est illusoire d’espérer
vivre décemment. Le dernier coup
de pouce de 67 % au salaire mini-
mum, en janvier, n’a fait que le pro-
pulser à l’équivalent de 3,10 euros,
ce qui ne permet même pas d’ache-
ter un kilogramme de viande de
bœuf. Les Vénézueliens, malgré les
onze a ugmentations successives d e
leur salaire minimum l’an dernier,
demeurent aspirés de plus en
plus par l’extrême pauvreté. Elle
touchait 10 % de la population en
2014, la proportion est montée à
présent à 85 %. Ce chiffre mérite
toutefois d’être nuancé, car les plus
aisés ont pu quitter le pays, les plus
démunis sont restés. Sans réelles
ressources. Et pour cause : le pays a
perdu les deux tiers de sa richesse
nationale depuis 2013.
Dans ce berceau de la Révolution
bolivarienne, l’essor du dollar
prend aujourd’hui une dimension
hautement politique. Officielle-
ment, la monnaie américaine y est
toujours interdite. Mais depuis plu-
sieurs mois, son utilisation ne cesse
de s’étendre, y compris pour les
achats du quotidien. A présent, p rès
de la moitié des transactions à
l’échelle du pays sont réalisées en
monnaie étrangère et l’économie
formelle est en fait, peu à peu, rem-
placée par une économie infor-
melle dominée par le dollar. Le pays
se « dollarise » de manière totale-
ment dérégulée et cela accroît les
inégalités entre une minorité qui a
accès aux billets verts, et la majorité
qui en est p rivée. Jusque-là, s euls l es
militaires de haut rang apparte-
naient au club fermé des nantis du
régime, résultat du contrôle qu’ils
exercent sur les circuits d’importa-
tion des produits de première
nécessité. Sans doute aussi les
4,6 millions de citoyens qui ont fui
le pays alimentent-ils ces circuits en
devises pour faire vivre leur famille
restée au pays. L’an dernier, la dias-
pora a ainsi envoyé 4 milliards de
dollars.

Hervé Pinel pour « Les

Echos

»

D
Les points à retenir


  • L’inflation a atteint près
    de 10.000 % en 2019, selon la
    banque centrale.

  • Officiellement, le dollar est
    interdit, mais depuis plusieurs
    mois, son utilisation s’étend de
    plus en plus dans les achats du
    quotidien.

  • Les inégalités s’accroissent
    entre ceux qui ont accès au
    billet vert et les autres.

  • Etranglé par les sanctions
    internationales et avec une
    production pétrolière en chute
    libre, Nicolás Maduro a dû se
    résoudre à céder le contrôle du
    secteur pétrolier à des groupes
    étrangers, espérant ainsi
    la modernisation de son
    industrie.

  • Juan Guaido, son rival, qui
    s’est autoproclamé président,
    tente de relancer ses soutiens
    échaudés par son échec du
    coup d’Etat du 30 avril 2019.


Même si, depuis un an et malgré
les coups de boutoir de son rival
président autoproclamé Juan
Guaido, Nicolás Maduro est resté
arrimé à la tête de l’Etat, sa marge
de manœuvre s’est considérable-
ment réduite. Alors que s on pays e st
étranglé par les sanctions interna-
tionales et sa production pétrolière
en chute libre, le leader socialiste a
dû se résoudre à renier un peu plus
encore ses idéaux en acceptant de
céder le contrôle de son secteur
pétrolier à des groupes étrangers.
En vendant ces actifs, le pays, qui
dispose des réserves prouvées les
plus importantes du monde si l’on
intègre les hydrocarbures non con-
ventionnels, espère faire moderni-
ser son industrie par les groupes
étrangers. U n comble pour le porte-
drapeau de la Révolution boliva-
rienne.
Pendant ce temps, de nombreux
pays derrière les Etats-Unis conti-
nuent de pousser Juan Guaido. De
façon moins nette qu’il y a un an, à
vrai dire. Car depuis l’échec du coup

Au Venezuela, Nicolás Maduro


dans le piège du dollar


Les Echos Vendredi 21 et samedi 22 février 2020 // 09


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