Libération - 06.03.2020

(vip2019) #1

Libération Vendredi 6 Mars 2020 u 17


motif graphique et multicolore, une
jupe portefeuille en cuir à demi plis-
sée et garnie de bandes de laine ou
un très beau costume croisé en ve-
lours côtelé marron foncé. Rick
Owens
reste, lui, fidèle à ses mu-
tantes fortes et téméraires, elles do-
minent les éléments en vestes aux
épaules pointées vers le ciel (à la
Lady Gaga diront certains), en faux
python, doublées de maille ou en
capes doudounes (noire, bleu azur,
argentée) qui ressemblent à des co-
quillages vus de dos. Onirique aussi
mais moins brutaliste, le défilé
Loewe nous plonge dans un livre de
contes où l’on croise des princesses
au port aristocratique, dépourvues
de mièvrerie. Jupes et robes volu-
mineuses, pantalons bouffants
noués aux chevilles, robe à triples


manches pagode serties de paillettes
bleues : cérébral mais émouvant.

PLACE AUX PATRONNES
Exit la joliesse inoffensive, la femme
peut, doit, prendre les manettes, ex-
primer sa singularité. C’est ce que
dit notamment la collection Sacai.
La Japonaise Chitose Abe, dont on
connaît la faculté d’expérimenta-
tion, l’infuse dans un vestiaire de
working girl à la fois opulent et arty
juste ce qu’il faut. Asymétrie, trans-
parences, satins, superpositions,
hybridation de matières : de quoi
faire son effet sans embarrasser. On
comprend que Jean Paul Gaultier
ait choisi Chitose Abe pour lancer
son concept de styliste invité à pro-
duire un défilé couture pour sa mar-
que. Une star et une patronne : la

gante comme cet ensemble panta-
lon au motif girafe entièrement
rebrodé d’or.
Chez Balmain, le bling est moins
«cristallisé» qu’à l’accoutumée (Oli-
vier Rousteing a longtemps adoré
les brillants). Le couturier né
en 1986 rend un hommage appuyé
à la décennie qui l’a vu naître : les
filles crapahutent en cape de cava-
lière camel ou en veste croisée noire
et rouge auréolée de boutons carrés
très Dynasty, avec cuissardes en cuir
à la Mylène (Farmer évidemment).
Chez Y /Project, plus c’est échancré
(les bodys, le string qui dépasse d’un
jean auquel il est cousu, le décolleté
en V des pantalons), mieux c’est. La
femme qui ose porter ça a du clit’,
comme dirait l’autre. Glenn Martens
déconstruit, mélange des matières

et les époques (années 80 et 90), ça
donne par exemple un survêtement
beige et rouge transformé en en-
semble élégant pour le soir.

À LA PÊCHE
AUX MILLENNIALS
L’équation nous a sauté aux yeux :
zéro robe du soir, alors que le shorty
et le crop-top d’adolescente para-
daient. Le défilé Chanel, dans un
décor minimaliste en rupture avec
le storytelling grandiose dont
Lagerfeld avait l’habitude, a marqué
un virage. Possiblement vers une
clientèle plus jeune et en quête d’ef-
ficacité, vu les gimmicks proposés :
le motif de la croix, le pantalon over-
size façon gaucho, les bottes
cavalières, le tweed décontracté.
Chez Dior, Maria Grazia Chiuri
clame de nouveau son message fé-
ministe. Des déclarations (signées
du duo Claire Fontaine) clignotent
au-dessus des mannequins. «Con-
sent», «We are all clitoridian wo-
men», «Patriarchy = Repression». Sa
mode combine looks collège an-
glais, doudounes siglées, jeans taille
haute très délavés – juvénile, en un
mot. Nicolas Ghesquière fait, lui, le
lien avec le passé, pour s’en servir de
tremplin vers le futur. Au Louvre, le
défilé Vuitton a pour arrière-plan
un chœur de 200 chanteurs en ha-
bits d’époque, du XVe siècle à 1950,
habillés par Milena Canonero, cos-
tumière qui a travaillé avec Kubrick
sur Orange mécanique, Barry Lyn-
don et Shining. Le vestiaire téles-
cope romantisme et sportswear
(blousons de motards sur jupes ou
robes à volants), les matières (cuir,
tulle et vinyle), les tonalités (chic et
street). Du «tuning vestimentaire»
audacieux et optimiste, éloge du
dialogue et de l’échange à l’heure où
d’aucuns prônent le sauve-qui-peut
et le durcissement des frontières.•

femme Givenchy a de la carrure au
propre comme au figuré, d’ailleurs
l’épaule est la clé, soulignée par des
arrondis, des excroissances, ou la
forme débardeur. Cette diva avance
avec un air de «faut pas me cher-
cher», au boulot (tailleurs-panta-
lons extralongs et superchics)
comme le soir où des robes fluides
asymétriques, imprimés graphiques
et plumes viennent adoucir l’affaire.
Hedi Slimane s’inspire plus que ja-
mais des années 70 qu’il ravive fa-
çon 2020 : le défilé Celine s’équili-
bre entre looks de petits durs à corps
fluets (en pantalon skinny, veste
étriquée et boots à talonnettes) et
silhouettes de tombeuses. La garde-
robe est d’un côté rock (minijupe en
daim marron, chemise violette et
blouson en cuir noir), de l’autre élé-

Défilé Sacai, lundi. Défilé Givenchy à l’hippodrome de Longchamp, le 1er mars.

Défilé Chanel, mardi au Grand Palais.
Free download pdf