Libération - 06.03.2020

(vip2019) #1

FRANCE


S


ans tambour ni trom-
pette, le ministre de
l’Intérieur, Christophe
Castaner, a entamé mi-fé-
vrier des consultations sur
l’organisation des cultes en
France. Pour aboutir à une
révision de la loi de 1905?
Prudent, le gouvernement
demeure flou même si un
projet de loi, confirmé par
plusieurs sources à Libéra-
tion , est en préparation.
Castaner a d’abord reçu Place
Beauvau, l’un après l’autre,
les principaux responsables
des religions. En commen-
çant, le 10 février, par Eric
de Moulins-Beaufort, pré -
sident de la Conférence
des évêques de France. Puis,
la semaine dernière, le mi-
nistre a entamé des concerta-
tions avec les obédiences
maçonniques et les associa-
tions laïques. «Le ministre
nous a assuré que les fonda-
mentaux de la loi de 1905
ne seraient pas concernés»,
explique à Libération Jean-
Philippe Hubsch, le grand
maître du Grand Orient
de France. «Le projet du gou-
vernement me paraît aller
dans le bon sens», souligne
pour sa part François Cla -
vairoly, le président de la
Fédération protestante de
France (FPF).

«Séparatisme». Pour les
responsables religieux, la dé-
marche de la Place Beauvau
n’est pas tout à fait une sur-
prise. «Le 6 janvier, le pré -
sident Macron nous avait re-
çus pour les vœux et il nous
avait alors indiqué que des
dispositions de la loi de 1905
seraient réexaminées», pré-
cise Anouar Kbibech, ancien
président du Conseil fran-
çais du culte musulman
(CFCM). «C’est l’islam qui est
principalement concerné par

le projet du gouvernement»,
assure un responsable reli-
gieux. En fait, les consulta-
tions menées par le ministre
de l’Intérieur s’inscrivent
dans la suite du discours
prononcé le 18 février, à Mul-
house, par le chef de l’Etat,
visant, selon les mots de Ma-
cron, à combattre le «sépara-
tisme musulman». L’une des
priorités du gouvernement
est de lutter contre les influ-
ences étrangères dans l’is-
lam de France et d’assurer la
transparence de son finance-
ment.

«Cet objectif de transparence
fait consensus parmi les res-
ponsables d’associations mu-
sulmanes», assure Anouar
Kbibech. Cependant, le dis-
cours de Mulhouse a reçu, se-
lon le responsable religieux,
un «accueil mitigé» : sur le

terrain règne le sentiment
qu’Emmanuel Macron a trop
attiré l’attention sur la reli-
gion musulmane à l’appro-
che des municipales.
Quoi qu’il en soit, les propo-
sitions élaborées par le mi-
nistre de l’Intérieur visent

principalement à inciter l’is-
lam à rentrer dans le disposi-
tif prévu par la loi de sépara-
tion des Eglises et de l’Etat.
Pour le moment, la plupart
des associations qui gèrent
des lieux de culte musul-
mans ont opté pour un statut
de loi 1901, moins contrai-
gnant que celui instauré par
celle de 1905. Selon plusieurs
responsables religieux, le
gouvernement réfléchirait à
des dispositions financières
afin que les gestionnaires de
mosquée optent pour le sta-
tut d’associations cultuelles

Loi 1905 : le gouvernement


peaufine son plan culte


Par
BERNADETTE
SAUVAGET

L’une des priorités de l’exécutif
est de lutter contre les influences

étrangères dans l’islam de France


et d’assurer la transparence


de son financement.


Des migrants utilisent-ils
de la fumée pour lutter
contre les effets des gaz
lacrymogènes? Plusieurs
internautes mettent en doute que des migrants s’exposent
à de la fumée de bois pour lutter contre les sensations
de brûlure causées par les gaz lacrymogènes.
Cette technique a pourtant été confirmée par cinq photo-
graphes présents sur place. PHOTO AP

(sous la loi de 1905, donc).
L’objectif affiché est de par-
venir à une meilleure traçabi-
lité des dons, notamment de
ceux en provenance de
l’étranger.
Par ailleurs, le projet de loi
comporterait une dimension
sécuritaire, notamment en ré-
visant une partie du titre V de
la loi de 1905, celui intitulé
«police des cultes», dont cer-
taines dispositions selon les
spécialistes de la laïcité n’ont
pas été remises à jour depuis
le vote de la loi, il y a 115 ans.
Il s’agit notamment des sanc-
tions prévues en cas de trou-
ble à l’ordre public ou si des
discours politiques sont tenus
dans des lieux de culte.
A l’automne 2018, le gouver-
nement avait déjà planché
sur un projet similaire et, à
l’époque, le ministre de l’In-
térieur avait parlé de «refon-
der la loi de 1905». Quelques
mois plus tard, pendant le
grand débat national lancé
dans le sillage de la crise des
gilets jaunes, le président de
la République avait fermé la
porte à une révision de la loi.

Craintes. Chassé par la
porte, le projet revient donc
visiblement par la fenêtre.
Sollicité par Libération, le ca-
binet du ministre n’a pas
donné suite. Le gouverne-
ment a en tout cas promis
aux responsables religieux et
leaders laïcs de leur trans-
mettre, dans les semaines à
venir, un document repre-
nant ses propositions. Mais
étant donné le calendrier
parlementaire, le projet de loi
ne serait pas examiné avant
début 2021.
Sur le terrain, le pari du gou-
vernement est loin d’être ga-
gné. «Qu’est-ce qui pourrait
contraindre un responsable
de mosquée à passer sous
le statut d’association cul-
tuelle ?» s’interroge un leader
musulman. D’ores et déjà, les
craintes s’expriment au sujet
des contrôles de plus en plus
tatillons des lieux de culte et
de formations musulmans.
En novembre, l’Institut
d’études en sciences humai-
nes (IESH), faculté privée
proche de la branche fran-
çaise des Frères musulmans,
située à Saint-Denis, a été
fermé pour des raisons de sé-
curité. Selon la préfecture de
Seine-Saint-Denis, «un avis
défavorable à l’accueil du pu-
blic a été donné». Les cours
n’ont toujours pas repris.•

Depuis mi-février,
Christophe
Castaner reçoit
discrètement
les responsables
religieux et leaders
laïcs pour préparer
une révision de la
loi sur la séparation
des Eglises
et de l’Etat.

Une mosquée en construction à Charleville-Mézières, le 28 octobre 2019. PHOTO FRANÇOIS NASCIMBENI. AFP

18 u Libération Vendredi 6 Mars 2020

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