Libération - 06.03.2020

(vip2019) #1

Bien dans


ses basques


Charles Ollivon Nouveau capitaine du XV de France,
le Bayonnais transmet au groupe des valeurs fondées sur
un plaisir transcendé par le courage et la persévérance.

Par GILLES RENAULT
Photo SAMUEL KIRSZENBAUM

fait bizarre, car je suis persuadé du contraire. C’est sans doute
plus leur regard sur moi qui a évolué.»
Regard direct, concédant quelques sourires à l’occasion, voix
grave enrobant l’accent du terroir, le ton fait foi. Il n’y a pas
si longtemps, corrélé avec les mauvais résultats en cascade,
l’équipe de France de rugby pâtissait aux yeux du grand public
d’un manque de leader identifié. Or, sans avoir vocation à cre-
ver l’écran, voici déjà que, promu alors qu’il n’affichait que
onze sélections internationales étalées sur cinq ans, ce jeune
capitaine à la stature impressionnante s’impose déjà en
parangon de virilité réfractaire à la minauderie. Vitesse, puis-
sance, hargne, dextérité, Charles Ollivon occupe un poste de
troisième ligne qui le situe en permanence au cœur du com-
bat, tout en exigeant cet esprit d’analyse et de décision indis-
pensable pour démêler l’écheveau. Défenseur intraitable, il
sait aussi à l’occasion taper l’incruste dans les bons coups of-
fensifs, comme lors du premier match du tournoi, début fé-
vrier, où il plantera deux essais à des Anglais soufflés par la
hardiesse et la pugnacité tricolores. Joie immense, cependant
que contenue, devant les caméras, comme si la prouesse
devait se savourer à l’aune des galères passées.
Il est en effet arrivé qu’on qualifie Charles Ollivon de «mira-
culé», en référence aux graves blessures (la même épaule gau-
che qui explose deux fois, à
un an d’intervalle) qui feront
même planer le spectre d’une
fin de carrière anticipée,
à 25 ans. L’intéressé réfute
cette image. «Quand j’étais
dans la merde, la seule chose
qui m’a permis de sortir la
tête de l’eau, ça a été de ne
rien lâcher. Jamais. Y com-
pris lorsque plus grand
monde ne t’appelle, il faut
s’accrocher à tout prix et
croire en soi, à partir d’une base solide sur laquelle on va se re-
construire. Cela fait maintenant un an que je rejoue, et ces
épreuves m’ont rappelé la nécessité de profiter au maximum
de l’instant présent, avec la conscience accrue que les choses
peuvent parfois s’arrêter plus vite qu’on ne l’imagine.»
On l’aura compris, Charles Ollivon ne croit pas tant «au hasard
ou à la chance qu’au travail». Foi de Basque, biberonné à la
tradition rurale de Saint-Pée-sur-Nivelle où, à 20 kilomètres
de Bayonne, le sentiment d’appartenance régionale vibre un
peu plus fort qu’ailleurs, du fronton de pelote au repas de Noël
en famille. «On lit sur notre drapeau des symboles liés à la
population, à la terre et à l’Eglise, ça dit à peu près tout», dé-
taille celui qui concède une «fierté fondée sur des valeurs sim-
ples» défendues avec une conviction atavique, quitte à «paraî-
tre réservé, voire méfiant de prime abord».
Elevé par un père salarié dans une entreprise d’électromé -
nager et une mère pharmacienne qui choisit de rester à la mai-
son pour élever ses deux fils (l’aîné étant devenu banquier),
le jeune Charles est plutôt bon élève. Les notes suivent, en tout
cas, même si certaines appréciations sur le bulletin relèvent
une propension au chahut chez le gamin qui dépasse déjà tous
ses condisciples d’une tête. De telle sorte qu’un BTS mana -
gement des unités commerciales ne fait pas le poids face à
l’envie de courir derrière un ballon. Et d’en faire son métier,
avec l’aval du clan soudé, qui l’aide à ne pas s’égarer. Après
trois années passées à l’Aviron bayonnais (AB), bastion basque
du rugby hexagonal, le jeune homme s’expatrie en 2015 à Tou-
lon où, en marge des impératifs du sport de haut niveau, il
goûte sans femme ni enfant aux menus plaisirs d’un quotidien
sans chichi, de virées sur le port de Carqueiranne, où il réside,
en visites chez les potes et sorties parcimonieuses. Plus sen -
sible au climat méditerranéen qu’au charivari sociopolitique,
observé avec une assiduité variable selon les périodes, Charles
Ollivon se demande si «l’opinion publique n’est pas parfois un
peu manipulée». Gardant ses distances avec «la tristesse et le
malheur» dont les médias font leur pitance, le citoyen concède
néanmoins voter, sans plus de précision qu’une sympathie
avouée pour «la cause animale».
Au chapitre «Personnalités», la fiche Wikipédia de Saint-Pée-
sur-Nivelle stipule que le ministre de l’Economie et des Finan-
ces, Bruno Le Maire, y possède une résidence secondaire. Mais
elle ne mentionne pas le grand Charles en crampons. Une
mise à jour s’impose.•

1993 Naissance.
2013 Premier match
en Top 14.
2014 Première
sélection en équipe
de France.
2020 Nommé
capitaine.
8 mars Ecosse-France.

«S


i tu peux être dur sans jamais être en rage /Si tu
peux être brave et jamais imprudent /Si tu sais être
bon, si tu sais être sage /Sans être moral ni pédant /
[...]. / Tu seras un homme, mon fils.» Quand bien même sa con-
naissance du rugby aurait été inexistante, c’est bien la pensée
du romancier britannique Rudyard Kipling, telle que repro-
duite en lettres blanches sur un mur gris
clair, qui tient lieu d’exorde et de vade-
mecum au Centre national du rugby
(CNR) de Marcoussis. Ainsi, chaque fois
qu’elle fait retraite dans son camp de base au sud-ouest de
Paris, l’élite nationale de la discipline se voit rappeler quelques
fondamentaux stipulant l’impérieuse nécessité de garder
par tout temps les pieds sur terre.
Justement, après d’interminables années de disette, le soleil
perce à nouveau dans la grisaille hivernale. En tête du tournoi
des Six Nations après trois journées (sur cinq), le XV de France
marche sur l’eau et, sur le gazon, c’est Charles Ollivon qui tient
le gouvernail. Ainsi en a décidé le sélectionneur, Fabien Gal-
thié, qui, en indiquant le cap, a mis en exergue le parcours d’un

«joueur brillant touché par des pépins physiques qui a réussi
à revenir très fort». Voici donc celui que d’aucuns auraient pu
imaginer simple enseigne de vaisseau, juché sur le nid de pie
d’une flibuste ragaillardie se prenant à nourrir des rêves de
grandeur européenne, sans préjuger des campagnes futures.
Semblant singulièrement surpris par la question de définir
ce qu’est un bon capitaine, le gaillard
n’avance pas pour autant de grande théo-
rie, se bornant à une observation empi -
rique, réfractaire à toute extrapolation
oiseuse : «J’imagine qu’il faut déjà un minimum de charisme,
afin de se faire respecter des autres. Puis il s’agit de savoir
transmettre un message associant la bienveillance à l’exigence,
sans avoir à crier comme un abruti pour se faire entendre. La
prise de parole doit rester simple, naturelle. La question de
la distance importe également : garder un minimum de recul,
tout en étant capable de représenter le groupe sur le devant
de la scène. Depuis le début du tournoi, nous avons eu deux
plages de récupération où chacun a pu rentrer chez soi. J’ai
croisé des gens qui m’ont dit “Charles, tu as changé”. Cela m’a

LE PORTRAIT


Libération Vendredi 6 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
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