Libération - 06.03.2020

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8 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 6 Mars 2020
MONDE


L


es poids lourds défilent sur l’artère
principale de Kastaniès, village grec
de 800 habitants à la frontière avec la
Turquie. Tous transportent des barbelés et se
dirigent vers le poste-frontière, fermé depuis
cinq jours déjà. Ses grilles ne s’entrouvrent
que pour laisser passer les convois militaires
ou les officiels en visite sur ce point chaud à
la frontière orientale de l’Europe.
De l’autre côté du fleuve Evros, qui délimite
les 212 km de frontière terrestre entre les deux
pays, le président turc, Recep Tayyip Erdogan,
a décidé jeudi d’envoyer 1 000 membres des
forces spéciales de la police. Motif clairement
avancé : empêcher les Grecs «de repousser» les
migrants, selon les mots du ministre turc de
l’Intérieur. Comme si les tensions de ces der-
niers jours ne suffisaient pas, on risque désor-
mais l’escalade militaire. Tout a commencé
il y a une semaine quand Erdogan a décidé
d’ouvrir ses frontières aux 3,5 millions de ré-
fugiés installés en Turquie. Nombreux sont

Des migrants attendent du côté turc de la frontière, jeudi, près de Kastaniès.PHOTO HUSEYIN ALDEMIR. REUTERS

ceux qui rêvent de franchir les frontières de
la Grèce, porte d’entrée de l’Europe. Depuis,
une bataille de chiffres sévit. Le ministre turc
de l’Intérieur affirme que 100 000 migrants
seraient passés en Grèce. De son côté, le gou-
vernement grec égraine tous les jours ses chif-
fres : depuis samedi, il aurait stoppé l’entrée
de 34 778 personnes et en aurait arrêté 244.
Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR)
de l’ONU estime à 20 000 le nombre de mi-
grants attendant le long de la frontière, terres-
tre et maritime, entre la Grèce et la Turquie.

«Ils les ont eus, hein !»
En réalité, ces chiffres sont invérifiables : les
journalistes ne peuvent s’approcher des bords
de l’Evros ni du côté grec ni du côté turc,
où attendent les migrants. «Un nombre im-
portant d’immigrants illégaux, directement
encouragés, soutenus et coordonnés par le
gouvernement turc tentent de violer nos fron-
tières», s’insurge Chris Dermentzopoulos, un
élu de la région, député du parti conservateur
au pouvoir, Nouvelle Démocratie.
«La Grèce ne peut pas gérer tous ces migrants.
Nous sommes abandonnés par les Européens»,

déplore la tenancière d’une taverne de Kasta-
niès. Elle estime que «tous les moyens sont
bons désormais» pour empêcher l’arrivée de
nouvelles vagues de réfugiés. Elle-même est
prête à y contribuer, d’ailleurs. Quand deux
jeunes migrants franchissent la porte de sa ta-
verne et lui demandent de charger leurs por-
tables, elle décroche aussitôt son téléphone...
et appelle la police. Dix minutes plus tard,
quatre agents à moto débarquent et arrêtent
les deux hommes. «Ils les ont eus, hein! Je sa-
vais bien que c’était des illégaux», se félicite
la quinquagénaire.
Dans la rue principale du village, une voisine
applaudit son action. «Il faut nous organiser»,
sourit-elle. C’est déjà fait. A Kastaniès, un cer-
tain nombre de villageois assistent désormais
l’armée et la police tous les soirs. Leur tâche?
«Apporter notre connaissance du terrain, faire
des rondes...» raconte l’un d’eux. En clair, des
milices, parfois armées, se constituent pour
«défendre» les frontières et chasser les mi-
grants. Les autorités laissent faire. Et se mobi-
lisent sur un autre front, politique.
Le Premier ministre conservateur, Kyriákos
Mitsotákis, élu en juillet, a remporté un suc-

Par
FABIEN PERRIER
Envoyé spécial à Kastaniès (Grèce)

FRONTIÈRE GRECQUE «Tous les moyens


sont bons» contre les réfugiés


En face de


la Turquie, les


habitants du village


de Kastaniès


n’hésitent pas à


dénoncer à la police


le passage des


migrants. La Croix-


Rouge dénonce


l’utilisation des


réfugiés comme


«arme politique».


REPORTAGE

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