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PLANÈTE
MARDI 3 MARS 2020
0123
L
a question n’est plus de savoir si
le nouveau coronavirus va se
propager à l’ensemble du terri
toire français, mais quand. Avec
130 cas diagnostiqués de Co
vid19, et des clusters – cas grou
pés – identifiés dans plusieurs régions, le
pays pourrait franchir le seuil de l’épidémie
dans les tout prochains jours. Dans ce con
texte, le gouvernement a changé son fusil
d’épaule le weekend du 29 février et du
1 er mars, en mettant fin aux « quatorzaines »
imposées aux personnes de retour d’une
zone à risque et en adoptant des mesures
plus globales, comme l’annulation des
grands rassemblements.
« C’est l’évolution de la doctrine : on est da
vantage aujourd’hui dans une logique de frei
ner la diffusion du virus », a expliqué Jérôme
Salomon, directeur général de la santé, lors
d’une conférence de presse, dimanche
1 er mars. Puisque des cas ont été identifiés
dans douze régions, « il n’y a plus beaucoup de
sens à différencier les zones où il circule », atil
justifié, même si des mesures spécifiques
s’appliquent dans les trois zones les plus tou
chées, l’Oise, la HauteSavoie et IledeFrance.
A moins de 24 heures du départ, le semi
marathon qui devait rassembler 44 000 par
ticipants à Paris a donc été annulé. Le Salon
de l’agriculture a été écourté d’une journée,
et le Mipim, le salon international de l’im
mobilier qui devait réunir 25 000 profes
sionnels à Cannes (AlpesMaritimes) du 10
au 13 mars, a été reporté à juin. L’édition
2020 du salon Livre Paris, qui devait se tenir
du 20 au 23 à la porte de Versailles, a égale
ment été annulée.
Ces « mesures barrières » figurent dans le
plan pandémie grippale de 2011 et reposent
sur « une analyse de bon sens », selon l’ex
pression du directeur général de la santé.
Mais elles suscitent en creux des interroga
tions sur le risque d’exposition dans d’autres
lieux très fréquentés, qui n’ont pas été visés
par le dispositif du gouvernement.
EVITER LE CHAOS DANS LES HÔPITAUX
Quid par exemple du parc Disneyland, dont
la moitié des visiteurs vient de l’étranger? In
terrogé sur ce sujet, le docteur Jérôme Salo
mon s’est justifié en expliquant qu’« on n’est
pas face à un virus qui flotte dans l’air mais qui
se transmet par les personnes qui éternuent,
qui se mouchent et qui vous serrent la main
(...). Les activités en extérieur où vous êtes à
deux mètres les uns des autres ne posent pas
problème ». La situation des grands musées
n’a pas non plus été clarifiée, bien que le Lou
vre soit resté fermé toute la journée de di
manche, les salariés ayant exercé leur droit de
retrait. « Il n’y a pas de mesures drastiques à
prendre (...). La situation ne l’exige pas », a as
suré Jérôme Salomon, qui n’anticipe pas de
fermetures de grands établissements.
Dans l’Oise, les écoles, collèges et lycées de
neuf communes resteront en revanche fer
més lundi 2 mars, le temps d’identifier
d’éventuels cas. Mais de telles mesures ont
encore du sens alors que la diffusion du vi
rus semble inexorable? « Cela vaut le coup
pour plusieurs raisons », estime le doc
teur Daniel LévyBruhl, responsable de
l’unité des infections respiratoires de
l’agence Santé publique France.
En freinant la diffusion du coronavirus, le
gouvernement espère d’abord éviter le
chaos dans les hôpitaux. « La grippe, cette an
née, est particulièrement gentille, mais il y a
quand même quelques personnes en réani
mation. Si on avait eu à ajouter les malades
du Covid19, cela aurait été un élément de fai
blesse extrêmement fort », souligne le doc
teur LévyBruhl, en rappelant la « fragilité »
des établissements de soins.
Cette période de préparation est d’autant
plus importante que, en l’absence de certi
tude sur la saisonnalité du Covid19, il pour
rait bien s’installer dans la durée sur le terri
toire. « On n’est pas en mesure d’être totale
ment rassurés sur le fait qu’il suffit d’attendre
les beaux jours pour que le virus ne trouve
plus des conditions favorables à sa circula
tion », précise le docteur LévyBruhl. Les pre
mières recherches, fondées sur la comparai
son des régions chinoises aux climats diffé
rents, indiquent en effet que la température
et l’humidité ont peu d’impact sur la trans
missibilité du virus. Le temps gagné doit per
mettre aux experts de réunir davantage d’in
formations sur la meilleure façon de contrô
ler le virus et de traiter les malades. Il est trop
tôt pour qu’un vaccin soit disponible, mais
« plusieurs molécules sont en cours d’expéri
mentation », indique le docteur LévyBruhl.
DES MESURES RAREMENT APPLIQUÉES
Audelà de la préparation du système de
santé, ces mesures ont aussi pour objectif de
préparer la société. « Petit à petit, on va s’habi
tuer à des mesures qui modifient notre quoti
dien. Il faut qu’elles soient progressivement in
tégrées par la population », considère le doc
teur LévyBruhl, en précisant que, dans l’im
médiat, il n’y a pas lieu pour la majorité des
Français de changer leur quotidien, mis à part
en appliquant les mesures de précaution rap
pelées par le ministère (se laver des mains,
éviter les bises et les poignées de main).
Dans l’immédiat, les annulations ne visent
que les événements à l’origine d’un impor
tant brassage de population. Près de 20 % de
coureurs étrangers étaient ainsi attendus
pour le semimarathon parisien. « Assister à
un match de football dans un stade ouvert ne
participe pas au critère de confinement
aujourd’hui tel que nous l’avons défini, a justi
fié le ministre de la santé, Olivier Véran. Ce
sont des matchs à l’échelle nationale qui ne
mettent pas en jeu des équipes issues de zones
à risque, ni nationales ou internationales,
donc il n’y a pas lieu d’annuler ces événements.
Les mesures de confinement font partie de
la « routine » en cas d’épidémie, mais, en réa
lité, elles ont rarement été appliquées.
« En 1918 [au début de l’épidémie de grippe es
pagnole], le gouvernement ne les a pas prises
pour ne pas nuire au moral de la population,
rappelle Patrick Zylberman, professeur d’his
toire de la santé à l’Ecole des hautes études en
santé publique. Il y avait déjà la guerre : ce
n’était pas la peine de réduire encore la vie so
ciale. » Selon lui, la « quarantaine » classique a
une efficacité limitée dans ce contexte. « Il y a
toujours des fuites. Ensuite, [en confinant] des
personnes asymptomatiques, vous enfermez
des gens indemnes avec des personnes conta
gieuses, donc vous étendez le mal », estimetil.
Dans les situations de confinement indivi
duel, d’autres difficultés peuvent apparaître.
A Toronto, lors de l’épidémie de syndrome
respiratoire aigu sévère en 2003, on avait de
mandé à certaines personnes de rester chez
elles pendant dix jours. « A la fin, elles se plai
gnaient de symptômes dépressifs », insiste
Patrick Zylberman, en rappelant que les in
fections respiratoires sont d’abord « une his
toire de gouttelettes et de postillons. Mettre
des palissades, cela ne sert à rien ».
chloé hecketsweiler
« IL N’Y A PAS
DE MESURES
DRASTIQUES
À PRENDRE (...).
LA SITUATION NE
L’EXIGE PAS »
JÉRÔME SALOMON
directeur général de la santé
La stratégie à géométrie
variable du gouvernement
Pour freiner l’épidémie du Covid19, l’exécutif a annulé les grands rassemblements
É P I D É M I E D E C O V I D 1 9
« estce une bonne nouvelle? », se demandent
parents et enseignants. Une bonne partie des
2 000 enfants et adolescents recensés « en quator
zaine » par le ministère de l’éducation il y a soixan
tedouze heures à peine, pouvaient reprendre le
chemin des cours ce lundi 2 mars.
Vendredi 28 février, la communauté éducative s’at
tendait à ce que ce nombre explose. Le ministre de
l’éducation s’était d’ailleurs exprimé en ce sens, sur
Europe 1. Mais la donne a changé, ce weekend, avec
le passage au « stade 2 » de l’épidémie. « Le virus circu
lant déjà sur notre territoire, il n’y a plus de raison de
confiner des personnes revenant de zones exposées à
une circulation active du virus, peuton lire dans une
foire aux questions mise en ligne, dans la soirée du
dimanche 1er mars, sur le site Internet du ministère
de l’éducation. Ces contraintes destinées à éviter l’en
trée du virus en France n’ont plus lieu d’être et, en parti
culier, les élèves et les personnels en retour de Lombar
die et de Vénétie vont pouvoir retourner à l’école. »
C’est aussi le cas pour les retours de Chine – hors
Hubei, seule zone justifiant, pour l’heure, d’une
éviction de quatorze jours des établissements sco
laires –, ainsi que de Macao, de Hongkong, de Singa
pour, de Corée du Sud et d’Iran. Localement, pour
tant, autour de ce que l’on nomme désormais les
premiers clusters français (l’Oise et la HauteSa
voie), la pression s’accroît. La fermeture des écoles
est imposée à compter de lundi – et jusqu’au
14 mars – dans neuf communes de l’Oise : Creil, Cré
pyenValois, Vaumoise, Lamorlaye, LagnyleSec, La
CroixSaintOuen, Montataire, NogentsurOise et
VillersSaintPaul. En HauteSavoie, les fermetures
concernent la commune de La BalmedeSillingy.
Les enseignants se sentent « ballottés »
« Une situation évolutive », souligneton dans l’en
tourage de M. Blanquer. Dans le Morbihan, la mise au
jour d’un nouveau foyer, dimanche, vient de
conduire la préfecture à ordonner la fermeture, sur la
même période, de l’ensemble des établissements
scolaires, des crèches et de l’accueil périscolaire à
Carnac, Auray et Crac’h. Des platesformes de « conti
nuité pédagogique », passant par le Centre national
d’enseignement à distance (CNED), doivent être mi
ses en place pour les élèves concernés, et des formu
les de télétravail proposées si nécessaire pour les
personnels enseignants. Tous les voyages scolaires à
l’étranger, et en France dans les zones identifiées
comme des clusters, sont suspendus.
Dans les cercles d’enseignants, ce dimanche, on
confiait se sentir « ballotté ». « Un jour on craint tout,
un jour on ne craint rien... Il faut une ligne cohérente,
souffle une enseignante du primaire. On fait quoi
des élèves qui reviennent? On évite comment la pani
que au premier qui éternue? » « Beaucoup de ques
tions nous remontent des écoles, observe Francette
Popineau du SNUippFSU, syndicat majoritaire au
primaire. Nombre de collègues ne savent sans doute
pas que les quatorzaines sont en partie levées. Il faut
essayer de s’en tenir aux directives écrites même si elles
évoluent. » « On demande à des enseignants de détec
ter des symptômes proches de la grippe, alors que la
grippe circule, note Stéphane Crochet, du SEUNSA.
Des enfants qui rentrent chez eux en journée parce
qu’ils ont de la fièvre, ça fait partie de la vie “ordinaire”
de la classe en mars. Désormais, plus rien ne va nous
sembler ordinaire. »
mattea battaglia
En milieu scolaire, les « quatorzaines » levées, des écoles fermées