10 u Libération Mardi 10 Mars 2020
A
Rennes, fief socialiste depuis plus
de quarante ans, les écologistes se
sentent pousser des ailes. A quel-
ques jours du premier tour, les candidats
de la liste «Choisir l’écologie» se targuent
d’une «effervescence» inédite autour de
leur candidature. Car après six ans dans
les rangs de la majorité, où ils comptaient
11 élus parmi 46 conseillers roses et
rouges, ils ont décidé – au grand dam de
leurs alliés – de faire cavaliers seuls, avec
la ferme intention de dépasser leur score
de 2014 (15 %). Ce qui permettrait au bi-
nôme composé de Matthieu Theurier,
35 ans, consultant en économie sociale
et solidaire, et Priscilla Zamord, 37 ans,
issue de la société civile, de peser sur les
négociations d’entre-deux-tours, voire de
décrocher une pole position qui pourrait
chambouler le paysage politique local.
Forte des résultats des dernières euro -
péennes, où les Verts étaient arrivés en
deuxième position à Rennes avec 24 %
des suffrages (contre 13 % à l’échelle na-
tionale) juste derrière La République en
marche (25,8 %), leur liste représente la
principale inconnue du prochain scrutin
dans la capitale bretonne. Inconnue qui
fragilise la maire sortante socialiste,
Nathalie Appéré, inscrite dans la lignée
du règne inauguré en 1977 par l’ancien
ministre Edmond Hervé. «L’enjeu est
clairement d’inverser le rapport de force
électoral de la majorité sortante, relève
Matthieu Theurier. Alors que Nathalie
Appéré s’inscrit dans une continuité,
nous voulons marquer une rupture dans
l’ambition, le rythme et les moyens accor-
dés à la transformation écologique de la
métropole.»
Pour matérialiser cette rupture, les Verts,
leurs alliés de l’Union démocratique
bretonne (UDB) et des représentants
du monde associatif ont concocté un
programme ne comptant pas moins
de 663 «solutions et projets pour le terri-
toire». Comme dans la plupart des
grandes métropoles, on y retrouve des
marqueurs, comme la «végétalisation
massive des quartiers», la mise en place
d’un «RER» métropolitain s’appuyant
sur le réseau ferroviaire actuel, ou en-
core la volonté de «ralentir le rythme
des constructions» afin de conserver une
«ville à taille humaine».
LREM vise les «incivilités»
Si la question du développement urbain,
qui répond à une pression démogra -
phique constante, est au cœur de la
campagne rennaise, Nathalie Appéré,
comme Anne Hidalgo à Paris, n’a de
cesse de démentir ce «bétonnage à
marche forcée» que lui reprochent ses
désormais adversaires, chiffres à l’appui :
«1 500 à 2 000 logements par an, cela re-
présente une croissance de 0,5 % à 1 % de
la population», relativise l’édile. «En-
suite, il faudra qu’on m’explique comment
on lutte contre la spéculation immobilière
tout en arrêtant de construire. Et com-
ment on évite le grignotage des terres
agricoles tout en urbanisant les com -
munes périphériques.» Nathalie Appéré
se prévaut d’un bilan conforme à ses
promesses de 2014 et d’une écologie
étroitement liée à la «justice sociale». Et
la maire sortante, qui fait aussi des mobi-
lités une question centrale, se montre se-
reine, mettant en avant une liste renou-
velée aux deux tiers, des propositions
échafaudées avec «1 000 Rennais» et en-
fin une proximité avec ses administrés
construite tout au long de son mandat.
En parallèle de l’urbanisme, la sécurité
s’est imposée dans la campagne. Pour Ca-
role Gandon, 36 ans, tête de liste LREM,
ce thème serait, avec les incivilités, «la
première préoccupation des Rennais».
«Tout le monde m’en parle, et de toutes gé-
nérations», assure la référente du parti
présidentiel en distribuant ses tracts sur
le marché de Villejean, un des quartiers
sensibles de Rennes. Pas sûr toutefois
que cette question, dans une ville réputée
la moins criminogène de France, mobi-
lise les électeurs autant que la jeune
femme le souhaiterait. Les stratèges ma-
cronistes pouvaient espérer capitaliser
sur les scores de la dernière présidentielle
à Rennes, où Emmanuel Macron a ob-
tenu 32 % des voix au premier tour avant
que des marcheurs ou affiliés raflent les
quatre sièges de dé putés aux législatives.
Mais le contexte national risque plutôt de
desservir la liste LREM dans une ville an-
crée à gauche, où des milliers de person-
nes ont défilé contre la réforme des re-
traites cet automne. Carole Gandon,
ancienne adhérente du PS soutenue par
Jean-Yves Le Drian, veut croire que les
électeurs sauront «faire la part des cho-
ses». «Les Rennais ont soif de renouveau
et d’oxygène, estime la candidate. Ils sont
prêts pour de nouveaux visages et de nou-
velles façons d’agir. Rennes est la ville
du pas assez. Pas assez sûre, pas assez
belle, pas assez ambitieuse, et je serai la
maire de l’exigence, en particulier vis-à-
vis de certains quartiers qui se sentent
abandonnés.»
«En même temps» local
En embuscade sur la partie droite de
l’échiquier, Charles Compagnon, 46 ans,
entrepreneur et novice en politique,
espère tirer son épingle du jeu. Soutenu
par LR, le Modem et le Parti breton, il bé-
néficie aussi de soutiens locaux de poids,
comme Bruno Chavanat, qui avait ras-
Par
PIERRE-
HENRI
ALLAIN
Correspondant
à Rennes
Photos
QUENTIN
VERNAULT
Les écologistes, alliés aux socialistes dans la majorité
sortante, font bande à part pour le scrutin des 15 et 22 mars.
De l’autre côté de l’échiquier, la candidate LREM doit se
passer du soutien du Modem, rallié à la même liste que LR.
La maire PS sortante de Rennes, Nathalie Appéré, mercredi au marché Sainte-Thérèse.
La gauche divisée
en son bastion
rennais
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