12 u Libération Mardi 10 Mars 2020
MUNICIPALES
Dans la voiture de David Diril, candidat RN aux municipales à Arnouville (Val-d’Oise), dimanche.
Au moins cinq
colistiers
contestent
leur présence sur
la liste du candidat
d’extrême droite
dans la ville
du Val-d’Oise,
David Diril.
F
ace la gare d’Arnouville
(Val-d’Oise), c’est jour
de marché. On y trouve
des jeans à fleurs brodées et
des matelas empaquetés ; un
peu plus loin, sous les halles,
des fruits et légumes. Il est
10 heures dimanche et l’en-
droit grouille de monde. La
place est au carrefour de la
démocratie locale : à chaque
coin de rue, devant le bistrot
et le «coiffure dames», une
vais vous montrer où j’habite,
sinon vous n’allez jamais me
croire.» Deux jours plus tôt,
au téléphone il nous avait dit
résider «là depuis quelques
années». Combien? «Dans les
vingt ans, mais j’y ai pas vécu
tout le temps.» Dans une rue,
il précise «c’est par là» en dé-
signant du doigt une maison.
Lors de son inscription sur les
listes électorales le 26 décem-
bre, c’est cette adresse qu’il a
donnée. Sauf que ce n’est pas
la sienne mais celle de son
cousin Francis. Lequel a fait
une déclaration sur l’hon-
neur certifiant qu’il héber-
geait David Diril chez lui de-
puis le mois de juin.
Arnouville, 15 000 habitants,
aucun immeuble de plus de
quatre étages et peu de chô-
mage. A priori, le RN n’est pas
le bienvenu ici. Il y a six ans,
il n’avait même pas de liste.
Au premier tour de la prési-
dentielle de 2017, Marine
Le Pen n’y est arrivée que
quatrième. Diril n’est encarté
à l’extrême droite que depuis
un an. Avant, il était «au
conseil économique» d’une
paroisse chaldéenne. Bruno
Marcel, le délégué départe-
mental de la formation mari-
niste, parle de lui comme
«quelqu’un qui a fait une de-
mande d’investiture sponta-
née en octobre. Je l’ai reçu, il
est chrétien d’Orient, il n’y
avait rien d’illogique dans sa
démarche».
On passe en voiture devant
l’hôtel de ville, quelqu’un a
arraché une partie de l’affiche
«Arnouville mérite mieux»,
pile à l’endroit où étaient ins-
crits les colistiers. Devant une
école, plusieurs noms ont été
barrés au stylo.
Par
TRISTAN
BERTELOOT
Photo STÉPHANE
LAGOUTTE. MYOP
peut-être venir». Le type en
rouge s’appelle David Diril. Le
candidat du RN, c’est lui. Et
son slogan, c’est «Arnouville
mérite mieux». Sur les affi-
chettes qu’il file à ses copains
par paquets, il y a son visage
en énorme. Il assure que ses
colistiers ne veulent pas ap-
paraître sur les photos. La se-
maine dernière, une femme
a reproché à Di-
ril d’avoir fait fi-
gurer sa mère
sur sa liste sans
l’avoir avertie de l’étiquette
RN. La scène a été racontée
dans le Parisien.
Au bout d’à peine trente mi-
nutes, la moitié de ses co-
pains ont plié bagage. Diril,
42 ans, restaurateur à Chave-
nay (Yvelines) à soixante bor-
nes de là – son directeur de
campagne nous a fait croire
qu’il effectuait le trajet tous
les jours – a déjà la bougeotte :
«Les gens en ont marre des
tracts, ils connaissent le pro-
gramme.» Le candidat nous
prend dans sa bagnole : «Je
équipe distribue des tracts.
Sur l’un, on peut lire un «mes-
sage de Michel Aumas», l’an-
cien édile LR qui a laissé les
clés de la ville à Pascal Doll,
le maire sortant ; un autre
vante un «nouveau souffle»,
un autre encore «une équipe
qui vous ressemble», avec der-
rière, la photo des colistiers.
Quand on demande à un can-
didat son avis
sur les rumeurs
d’inscriptions
frauduleuses sur
la liste du Rassemblement
national, il élude : «Nous, on
ne s’occupe pas de ça, on est
des vrais gens d’Arnouville, on
ne fait pas d’entourloupe.»
Slogan. Un type débarque
en voiture de location sur le
parking. Parka rouge et capu-
che moumoutée, il serre quel-
ques pognes. Il a donné ren-
dez-vous à un groupe d’une
dizaine d’hommes, dont son
«directeur de campagne», qui
a un accent du Sud-Ouest. Il
raconte que «Bardella va
L'HISTOIRE
DU JOUR
A priori, le RN
n’est pas
le bienvenu ici.
Il y a six ans,
il n’avait même
pas de liste.
RN : à Arnouville, l’étiquette qui gratte
Sur la liste de David Diril, il y
a beaucoup de «Diril», six.
Mais «jamais de la famille
toute proche», selon lui. Et
puis pas mal d’autres noms.
Selon nos informations, au
moins cinq de ses colistiers
ont porté plainte. Ils accusent
le candidat d’avoir abusé
d’eux. Dans leurs déposi-
tions, tous racontent la même
chose, mais beaucoup se
connaissent : vers le 22 ou le
23 février (la date limite pour
déposer les listes était le 27),
Diril ou un de ses représen-
tants déboule et demande un
coup de main, «au nom de la
communauté chaldéenne»,
parce qu’il faut «se souder». Il
suffit pour cela d’une signa-
ture de soutien sur un docu-
ment (Cerfa) donné de la
main à la main ou laissé dans
la boîte aux lettres. «En au-
cun cas il ne m’a parlé du
Front national», raconte une
victime présumée. Et puis
«cette personne a pris une
photo de ma pièce d’identité».
Coin. Une fois la liste rendue
publique, certains reçoivent
des coups de fil étonnés : «Tu
es avec le FN ?» Une source ju-
diciaire souffle : certains ont
«pu être abusés de bonne foi,
pas forcément tous». Ce sont
des commerçants, des gens
qui connaissent Diril de vue,
ou pas. Mis en cause, le can-
didat raconte pour se défen-
dre qu’il n’a «menti à per-
sonne : mon visage est partout
dans la ville, les gens savent
que je suis RN.» Il dit aussi :
«Je les ai connus sur le ter-
rain, je suis allé les voir par
hasard.» Diril invoque des
«pressions» qui auraient fait
changer d’avis les gens, des
élus sortants qui auraient dé-
croché leur téléphone : «On
ne signe pas un document
Cerfa par hasard», martèle-
t-il. La source judiciaire
rappelle d’ailleurs «qu’aux
municipales, il y a toujours
beaucoup de plaintes».
A Arnouville, la tête de Diril
est bien à chaque coin de rue.
La plus imposante affiche est
collée avenue de la Républi-
que, devant son QG de cam-
pagne installé dans une bara-
que vide et en travaux. «Nos
opposants? Ils avaient tous
prédit qu’on n’y arriverait
pas... à faire la liste.» •
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