Libération - 10.03.2020

(Dana P.) #1

Libération Mardi 10 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13


gale aux libertés de circula-
tion et d’expression».
De quoi rendre le sourire à
Mickaël, aux manettes de
sa voiture sono. Le visage
buriné, ce militant, «ni de
droite ni de gauche», met la
musique à fond : «Avant, il
n’y avait pas les clés USB,
les MP3, les téléphones por -
tables, c’est moi qui parlais
dans le micro.» Lorsqu’il par-
courait les rues de Saint-De-
nis, le chef-lieu de la Réu-
nion, il devait parfois éviter
les «broquettes», des clous
étoilés semés sur le bitume
par le camp adverse... «On
diffusait les messages et la
musique jusqu’à minuit au
moins ; après, on allait en
boîte !» Au retour, raconte
Mickaël, il lui arrivait de re-
trouver «l’auto brûlée par
les nervis», ces gros bras
dont s’entouraient les élus.
Des pratiques révolues. Au-
jourd’hui, ce sont les dé -
cibels qui départagent les
concurrents. A Saint-Paul ou
à Saint-Benoît, certains can-
didats garent leur voiture
sono, plein volume, face au
meeting adverse...
LAURENT DECLOITRE
Correspondant
à la Réunion

Pour la troisième fois dans la
journée, le véhicule de loca-
tion surmonté de deux mé-
gaphones passe au ralenti
dans le quartier de Grande-
Montée, à Sainte-Marie, une
commune du nord de la Réu-
nion. Sans répit, il balance
ses décibels à la gloire d’Yves
Ferrières, candidat sans éti-
quette aux municipales dans
la ville de 33 000 habitants.
«Ce soir, réunion publique
au terrain de foot de Bois-
Rouge», crache la voiture
sono sur laquelle sont collées
des affiches électorales. Co-
rinne, enseignante, n’en peut
plus : «C’est agaçant, cette
pollution sonore ; pour le
coup, je ne voterai pas pour
lui !» Si elle suit cette règle, la
quinquagénaire risque de re-
noncer à son devoir électo-
ral : à Sainte-Marie comme
dans les 23 autres communes
de la Réunion, les candidats
utilisent quasiment tous des
véhicules sonorisés.
Une tradition locale, qui
donne des allures de
kermesse aux élections.
«Sainte-Marie, nou lé bien,
nou march main dan la main
avec Richard», diffuse en
créole la Twingo de San-
drine, sur des airs de séga.

A la Réunion, les voitures sono


électorales font grand bruit


Le Havre L’Elysée suit avec anxiété
la campagne chahutée de Philippe


«Le soir du premier tour, on ne parlera que du Havre», pronos -
tique, dans l’angoisse, un haut responsable de LREM. Contre
toute attente, la victoire d’Edouard Philippe paraît loin d’être
assurée dans la ville qui l’avait élu maire dès le premier tour
en 2014. Un sondage récent lui donnait 42 % des suffrages, soit
à peine plus que ses deux principaux concurrents réunis, le
communiste Jean-Paul Lecoq (25 %) et l’écologiste Alexis Deck
(16 %). En octobre, Philippe s’était lancé dans la bataille sur la
foi d’un sondage qui laissait prévoir une victoire dès le premier
tour. C’était sans compter les dégâts de la réforme des retraites
et du 49.3. Battre le Premier ministre dans sa ville : l’opposition
unanime est tendue vers cet objectif. Le chef du gouvernement
avait expliqué que cette candidature était pour lui une occasion
de démontrer qu’il avait bien le soutien des électeurs. «C’est
un Premier ministre politique. C’est son ADN et sa force. Il a be-
soin de se relégitimer»,
soulignait alors son entourage. Ces con-
ditions posées, un échec au Havre devrait, en toute logique,
conduire à une démission de Matignon. Une contrariété de
plus pour Emmanuel Macron, qui ne voulait surtout pas rema-
nier sous la contrainte. Plutôt qu’au lendemain de municipales
ratées, il souhaitait composer son nouveau gouvernement au
début de l’été, une fois la réforme des re traites définitivement
votée. A.A. PHOTO ALAIN GUILHOT


Au Touquet,
Macron se mêle des
municipales Le prési-
dent de la République a apporté son soutien
public à une liste conduite par un entrepreneur
investi par LREM. Ce qui déplaît au leader de
la droite locale, à la tête de la ville depuis deux
mandats. La gauche, elle, n’existe pas. Pas de
liste PCF, PS ou écolo... PHOTO AIMÉE THIRION

LIBÉ.FR

René Revol, 72 ans, seul maire LFI
d’une commune de plus de
2 000 habitants et vieil ami de
Jean-Luc Mélenchon, se présente
à nouveau à Grabels, située en pé-
riphérie de Montpellier, dont il
tient les rênes depuis 2008.


« J’ai une démarche ci-
toyenne, sur des valeurs de
gauche. Avant, j’étais au
Front de gauche (FG), main-
tenant à La France insou-
mise (LFI). Mais ça n’a aucun
sens dans ce village. Il y a
5 000 électeurs. Les listes FG
et LFI ne dépassent pas 15 %
à 25 % aux élections législa -
tives, présidentielle, ou aux


régionales. Sur ma liste, il y
a six encartés, en plus de
moi : un Europe Ecologie-les
Verts (EE-LV), trois LFI et un
Génération·s. Les autres
sont sans étiquette. Ça crée
une unité.
«Au niveau
m u n i c i p a l ,
on s’engage
pour un projet. En novembre,
j’ai invité les habitantes et ha-
bitants de Grabels qui le veu-
lent à élaborer ce nouveau
projet et la liste. En décem-
bre, on a réuni six groupes de
travail. Les résultats ont été
restitués lors d’une réunion
publique en janvier. Il y a eu

68 000


C’est le nombre de tracts que Nelly Savio, in-
vestie LREM à Wasquehal (Nord), a dû envoyer
au pilon. Ce qui n’est pas très écolo mais la can -
didate n’avait pas le choix. Comme le rapportait
la Voix du Nord ce week-end, Savio avait fait im -
primer 34 000 bulletins de vote. Sauf que ceux-ci
comportaient le logo EE-LV que la liste n’avait pas
le droit d’utiliser, n’étant pas soutenue par le parti
écolo. La candidate a ainsi dû tout réimprimer.
Mais cette fois-ci, c’est une coquille sur le nom
d’un colistier, risquant d’invalider la liste, qui a
contraint LREM à ré-réimprimer une nouvelle fois
ses bulletins de vote. Ballot.

«On organise des voisinades.
Pour la quatrième, on était
38 dans un appartement.
Les gens s’expriment plus
facilement. Il y aura aussi
une réunion publique. Ce
que je fais avec les citoyens,
élaborer des projets loca -
lement, cela correspond
à l’esprit LFI. Mais ça
correspond aussi à l’esprit
EE-LV. J’épouse totalement
la ligne stratégique de LFI :
l’idée de sortir des cartels
de partis, moi, je l’applique
localement.»
Recueilli par
SOLANGE
DE FRÉMINVILLE

unanimité pour que je sois de
nouveau tête de liste. Et
des participants se sont
proposés pour se présenter à
mon côté. Dans une ville
de moins de 9 000 habitants,
aucun frais de campagne
n ’e s t r e m -
boursé et il
n’y a aucun
financement politique. Il ne
peut venir que des citoyens.
J’ai collecté 7 000 euros de
contributions individuelles
pour un coût de campagne
total estimé à 10 000 euros :
un quatre-pages en papier
recyclé, un site web, une page
Facebook.

René Revol, maire de Grabels (Hérault)


«On organise des voisinades, pour


la quatrième on était 38 dans un appart»


L’ÉDILE DIT 2/


L’employée municipale, tout
de bleu vêtue, roule pour le
maire sortant, Richard Nirlo
(divers droite), et assure ne
pas mettre la musique trop
fort, «par respect des gens».
Deux rues plus loin, Nico, au
volant d’une autre voiture
sono, raconte que des habi-
tantes dansent même avec
lui lorsqu’il s’arrête. De
son côté, Christian Annette,
le candidat socialiste, a
équipé deux fourgonnettes.
«J’ai enregistré un
message de qua-
tre minutes. On
s’arrête aux en-
droits stratégi-
ques et les gens
nous écoutent
depuis leur pas-
de-porte ou leur
balcon, explique-t-il.
C’est très utile, car ils ont
peur du maire et n’osent
pas venir à mes réunions
publiques.»
Ce folklore festif est-il vrai-
ment efficace? Dans plu-
sieurs communes, les élus
semblent le croire et ont pris
des arrêtés pour en restrein-
dre l’utilisation par leurs ad-
versaires. A Sainte-Suzanne,
Maurice Gironcel, le maire
sortant (communiste), a

ainsi limité les horaires de
passage. Son adversaire,
Daniel Alamélou (divers
droite), a déposé un recours
en référé-liberté pour at-
teinte à sa liberté d’expres-
sion. «Comment lutter contre
l’abstention, s’indigne-t-il, si
on ne peut informer les élec-
teurs sur le choix et les élé-
ments du projet ?» Mêmes
fausses notes à Bras-Panon,
où le maire sortant, Daniel
Gonthier (divers droite), a
restreint les cré-
neaux. Of -
ficiellement
pour ne pas
déranger les
écoliers. Jean-
Hugues Rate-
non ne l’en-
tend pas de cette
oreille. Le député de
La France insoumise voit
dans cet arrêté «une atteinte
déguisée contre l’expression
démocratique».
Le Conseil d’Etat, saisi
en 2012, considère que «l’in-
terdiction par le maire de la
circulation de véhicules équi-
pés de haut-parleurs ou de
porte-voix diffusant des pu-
blicités, des propagandes ou
tout message, constitue une
atteinte manifestement illé-

10 km

Saint-Paul

Saint-Pierre
Océan Indien

la FournaisePiton de
2366 m

Saint-Denis

LA RÉUNION

Sainte-Marie
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