Libération - 10.03.2020

(Dana P.) #1

14 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mardi 10 Mars 2020


va dans le mur. Puisqu’on veut rele-
ver nos ambitions climatiques à ho-
rizon 2030, il est essentiel que les
Français soient associés à la défini-
tion de ces mesures. La convention
va nous donner une nouvelle im-
pulsion pour accélérer.
Faut-il un référendum pour
donner un plus large écho aux
préconisations que la conven-
tion rendra en avril?
Il serait important d’avoir un grand
moment où l’on ne parlerait plus
que d’écologie dans le pays. Le pré-
sident de la République a ouvert ce
chemin.
Le Haut Conseil pour le climat
martèle que la France «n’est pas
sur la bonne trajectoire» pour
atteindre la neutralité carbone
en 2050... EE-LV et les ONG repro-
chent à l’exécutif de revoir à la
hausse les émissions de gaz à ef-
fet de serre (GES) autorisées jus-
qu’en 2023. Que répondez-vous?
Si tous les pays se limitaient aux
engagements pris lors de l’accord de
Paris de 2015, on dépasserait les 3° C
de réchauffement d’ici à 2100, donc
tout le monde doit faire plus. La
France, avec onze autres pays euro-
péens, a demandé à la Commission
que l’on relève rapidement nos
ambitions. L’Europe s’est engagée
à baisser de 40 % ses émissions de
GES d’ici à 2030, nous proposons
de porter la baisse jusqu’à 55 %.
Je réponds par ailleurs aux ONG
que nous n’avons absolument pas
baissé nos ambitions pour 2023. Je
constate juste qu’on part de plus
haut que prévu, car la France a émis
depuis 2015 plus de GES que promis
par le précédent gouvernement. On
va donc accélérer. Nous réfléchis-
sons par exemple à un dispositif
fiscal pour soutenir les industriels
qui investissent pour réduire leurs
émissions.
La rénovation thermique des bâ-
timents ne décolle pas. L’asso-
ciation négaWatt déplore que
l’on «force l’électrification des
usages en sacrifiant les écono-
mies d’énergie» , via une régle-
mentation favorisant les chauf-
fages de type «grille-pain».
Je trouve surprenant que des gens
qui veulent réduire les émissions de
GES soient contre l’électricité... Car
celle-ci est largement décarbonée :
le nucléaire et les énergies renou -
velables ont pour point commun
de ne pas émettre de GES. Dans la
future réglementation environne-
mentale 2020 des bâtiments neufs
(RE2020), nous corrigeons un coef-
ficient anormalement favorable au
gaz qui, lui, émet des GES.
L’Etat a prévu d’indemniser EDF
à hauteur de 400 millions d’eu-
ros pour la fermeture de Fessen-
heim. A-t-il les moyens d’ac -
corder une telle somme pour
chaque réacteur à fermer?
Fermer cette centrale n’est pas
banal. Cela fait des années qu’on en
parlait, nous le faisons, avec beau-
coup d’accompagnement pour le
territoire et les salariés. Certains
veulent faire fermer toutes les cen-
trales, d’autres trouvent que c’est
climaticide et qu’il ne faut rien arrê-
ter. Nous, nous tentons d’avoir une
approche rationnelle et crédible. Le
Conseil d’Etat a estimé qu’il faut

une indemnisation en cas de déci-
sion mettant fin à une activité éco-
nomique. Pour Fessenheim, celle-ci
tient compte du caractère excep-
tionnel de cette décision, qui n’avait
pas été programmée à l’avance.
Elle sera donc moins élevée pour
les futures fermetures?
Le principe ne sera pas le même
car EDF a désormais de la visibilité.
Nous avons annoncé que pour
atteindre 50 % de nucléaire dans la
production d’électricité en 2035, il
faudra fermer 14 réacteurs, compre-
nant ceux de Fessenheim, dont le
second sera fermé le 30 juin.
Après avoir dénoncé «le déve -
loppement anarchique des éo -
liennes», vous avez qualifié l’éo-
lien d’ «indispensable». Quelle
est votre position?
L’éolien est indispensable à notre
transition énergétique. Mais pour
doubler la production d’énergie
éolienne et quintupler le photo -
voltaïque en dix ans, nous devons

ELISABETH BORNE


«Je veux porter

une écologie

positive»

Avec un bilan en matière d’environnement qui


laisse sceptiques de nombreux acteurs, la ministre


en charge de ces questions défend la mise en


œuvre d’une transition énergétique tenant compte


de réalités complexes.


FRANCE


D


ifficile d’imprimer à l’hôtel
de Roquelaure, marqué par
le passage de Nicolas Hu-
lot. Et quand Emmanuel Macron
lui-même préempte désormais les
sujets écologiques pour tenter d’en
faire la seconde jambe de son nou-
veau «en même temps» devant
le mener vers 2022. A la tête du
ministère de l’Ecologie depuis
juillet 2019 et la démission de
François de Rugy, Elisabeth Borne
«assume» un profil technique
après des années où il fallait un
«poli tique» à la tête de ce porte-
feuille. L’ex-patronne de la RATP,
passée par la direction de cabinet
de Ségolène Royal à ce même mi -
nistère, assure vouloir gérer la
«complexité» de la transition éner-
gétique. L’occasion de dénoncer les
«discours culpabilisants, in -
cantatoires ou simplistes» des
écologistes qui critiquent l’ac-
tion du gouvernement dans la
lutte contre le réchauffement
climatique.

Aux élections municipales, on
s’attend à une nouvelle percée
des écologistes. Signe que les
électeurs ne perçoivent pas le bi-
lan écologique de l’exécutif?
Cela traduit plutôt une prise de
conscience de tous les Français
quant à l’urgence. L’écologie de-
vient une cause commune et c’est
une bonne nouvelle. A l’inverse des
récits apocalyptiques
des collapsologues, je
crois que la transition
écologique prépare une société
dans laquelle on vit mieux : où l’on
respire un air plus pur, où l’alimen-
tation est plus saine, la consomma-
tion plus responsable. Je veux por-
ter une écologie positive, concrète
et qui assume la complexité. C’est
à mettre en regard d’autres dis-
cours, culpabilisants, incantatoires
ou simplistes.
D’autres, comme le maire
(EE-LV) de Grenoble, Eric Piolle,
font aussi du concret, non?
Je ne vais pas faire son bilan, qui
n’est pas exemplaire dans tous les
domaines. Mais dès lors qu’elle de-
vient un projet universel, l’écologie
n’est plus l’affaire d’un parti, elle dé-
passe les clivages générationnels ou
sociaux. Je suis bien placée pour sa-

voir ce qui a été fait sous le précé-
dent quinquennat. Et je peux dire
que nous n’avons jamais appré-
hendé le sujet de façon aussi globale
que sous l’actuel, en engageant des
transformations aussi systémiques.
La fermeture de la centrale nu cléaire
de Fessenheim et des centrales
à charbon, la prime à la conversion
pour un million de ménages pour
passer à des véhicules
moins polluants, le
remplacement d’un
million de chaudières au fioul : ce
n’est pas simple, mais c’est très
concret et c’est nous qui le faisons.
Si vous dites avoir engagé ces
chantiers, que vous apporte la
convention citoyenne pour le
climat? Ne met-elle pas votre mi-
nistère hors jeu?
La convention a commencé ses tra-
vaux en octobre et, depuis, nous
avons voté trois lois (mobilités,
énergie-climat, économie circu-
laire) donc nous continuons d’agir.
Nous l’avons constaté fin 2018-dé-
but 2019 avec la taxe carbone, desti-
née à réduire les émissions de gaz
à effet de serre (GES) des trans-
ports : on peut avoir de très bonnes
idées, mais si on ne prend pas en
compte l’acceptabilité sociale, on

Recueilli par
LILIAN ALEMAGNA,
LAURE EQUY
et CORALIE SCHAUB
Photo ALBERT FACELLY

INTERVIEW

Free download pdf