Libération - 10.03.2020

(Dana P.) #1

18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mardi 10 Mars 2020


O


n l’aurait presque ou-
blié, mais François
Fillon, en sus d’être
poursuivi pénalement pour
détournement de fonds pu-
blics, de même que son sup-
pléant Marc Joulaud, pour
avoir, selon les enquêteurs,
employé fictivement son
épouse, Penelope Fillon, en
tant qu’assistante parlemen-
taire – pour un total évalué
à 1 million d’euros – est égale-
ment jugé pour un délit an-
nexe : omission déclarative
devant la Haute Autorité pour
la transparence de la vie pub -
lique (HATVP). Délit très ac-
cessoire en apparence (passi-
ble d’une seule année de
prison, contre dix), mais qui
en dit long sur le bonhomme,
examiné lundi après-midi par
le tribunal correctionnel
avant clôture des débats.
En cause, un prêt accordé
en 2012 par le milliardaire
Marc Ladreit de Lacharrière,
de 50 000 euros, et non
déclaré lors de la mise en
place de la HATPV en 2013.
Simple «oubli matériel, une
erreur que je ne cherche pas à
dissimuler», tempère à la
barre François Fillon en un
rare moment de contrition,
avant toutefois de remonter
illico au front, droit dans
ses bottes, au risque du syn-
crétisme : «C’est une erreur
honnête.»

Petite bête. Lacharrière
n’est pourtant pas rien pour
le couple : homme d’affaires
en tous genres, toujours prêt
à rendre service, il leur aura
prêté pendant des années son
chalet à Courchevel en guise
de villégiature, et assuré le fi-
nancement initial du micro-
parti de François Fillon
(Force républicaine), avant de
dénicher en 2012 un petit
boulot fort bien rémunéré au
sein de la Revue des Deux
Mondes à Penelope, qui se
plaignait alors de «s’ennuyer».

En réponse à la question d’un
parquet toujours à la recher-
che de la moindre petite bête,
François Fillon assure avoir
remboursé Marc Ladreit de
Lacharrière en février 2017, en
pleine cam pagne présiden-
tielle : non pas pour éteindre
l’incendie juridico-médiati-
que qui était en train de
plomber sa candidature, mais
parce que son éditeur venait
de lui verser les droits d’au-
teur de son livre. Ouf, l’hon-
neur est presque sauf, du
moins sur ce point.
Autre omission déclarative,
un prêt de sa propre fille, em-
ployée par lui-même comme
assistante au Sénat, toujours
pour la même cause – finan-
cer la rénovation de son
manoir (150 000 euros de tra-
vaux au total) sis à Sablé-sur-

Sarthe. Seul un prêt complé-
mentaire du Crédit agricole,
de 50 000 euros, sera déclaré.
«Parce qu’il était docu-
menté», justifie François
Fillon à la barre, comme si le
reste n’avait pas à être rendu
public. Satanée HATVP : de-
vant déclarer parallèlement
l’activité de sa petite PME pa-
rallèle, 2F Conseil, il omettra
fatalement un zéro pour ses
revenus annuels de 2016
(22 000 euros déclarés au lieu
de 220 000). Après avoir
longtemps tu que Penelope
était rémunérée pour l’épau-
ler dans sa carrière politique,
le cas de François relèverait-il
davantage de la psychanalyse
que du code pénal?
Justement, ce lundi après-
midi était, par la suite, consa-
cré à l’«interrogatoire de per-

sonnalité» des prévenus : un
bref instant d’humanité avant
que les gens de robe ne pren-
nent définitivement la parole
(réquisitoire du parquet puis
plaidoiries de la défense). Le
tribunal restera sur sa faim.
Service minimum de Pene-
lope Fillon, toujours prison-
nière de sa pudeur et /ou de
sa timidité : «Je n’ai plus d’em-
ploi rémunéré, ma vie est en
suspens. Mais j’espère avoir
des projets à la fin de cette his-
toire.» François Fillon, lui,
n’aura rien lâché, si ce n’est
ses actuels émoluments :
350 000 euros annuels au
sein de la société d’investisse-
ment Tikehau Capital, plus
100 000 euros en tant que
retraité de la politique, sans
davantage vouloir quantifier
le tarif de ses interventions

lors de colloques devant des
parterres de financiers mon-
dialisés.

«Observateur». La fin
d’audience a vu un grand
moment de tartufferie avec
l’intervention d’un avocat de
l’Assemblée, partie civile au
procès. Mandaté par son ac-
tuelle majorité macroniste, il
marche manifestement sur
des œufs : il n’est «pas là pour
aggraver l’accusation ou fra-
giliser la défense», fait-il va-
loir, mais en tant que simple
«observateur» en vue de ré-
clamer remboursement au
cas où le tribunal entrerait en
voie de condamnation – non
seulement sur le million en-
caissé par Penelope, mais
aussi, «à titre subsidiaire sur
la part employeur», les coti-

sations patronales versées
par ses députés-employeurs
aux frais du Palais-Bourbon,
portant l’addition potentielle
à 2,1 millions d’euros.
Sauf que François Fillon, si
d’aventure il devait plonger
pénalement, n’entend mani-
festement pas le faire seul. Il
avait déjà mouillé ses collè-
gues députés et sénateurs,
employant comme lui fem-
mes ou enfants sur fonds pu-
blics. Question téléguidée de
Me Antonin Lévy à son cli-
ent : «Que pensez-vous de Ni-
cole Belloubet [actuelle garde
des Sceaux, ndlr] qui a omis
de déclarer 330 000 euros à la
HATVP, soit 26 % de son pa-
trimoine ?» Réponse circons-
tanciée : «Aucune obser -
vation.» Du moins pour
l’instant.•

Au procès Fillon, «erreur


honnête» et tartufferie


Par
RENAUD LECADRE

François et Penelope Fillon au tribunal correctionnel de Paris, le 26 février. PHOTO ALBERT FACELLY

FRANCE


La saga judiciaire
a repris lundi.
Au menu : «oublis»
sur la transparence,
«interrogatoire
de personnalité»
et potentielle
addition présentée
par l’Assemblée
nationale.

En Martinique, une scolarité
paralysée depuis deux mois
Depuis début janvier, les écoles,
collèges et lycées de l’île sont presque tous bloqués par le
mouvement social contre les retraites... dans l’indifférence
générale. Chaque matin ou presque, le scénario se répète :
les accès aux établissements scolaires sont empêchés par
des cadenas, des palettes. Le recteur espérait un retour à la
normale cette semaine. PHOTO BENOIT DURAND. HANS LUCAS

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