Libération - 10.03.2020

(Dana P.) #1

2 u Libération Mardi 10 Mars 2020


A la Bourse de Dubaï, dimanche. Les marchés des Emirats arabes unis

C’


est une marée d’indices
boursiers rouge vif qui
s’est affichée sur les écrans
des salles de marché du monde en-
tier lundi. De Riyad à Doha, en pas-
sant par Sydney, Berlin, Milan, Paris
ou New York, toutes les places fi-
nancières ont bu la tasse. Quelques
minutes ont suffi pour que les
ordres de ventes débordent ceux des
acheteurs. -5 %, -6 %, - 7 % et - 8,39 %
en fin de séance à Paris. Partout, les
investisseurs ont décidé de prendre
la poudre d’escampette. Les mar-
chés redoutent désormais une dé-
bâcle de l’économie réelle, alors que
l’épidémie de coronavirus désorga-
nise les chaînes de production sur
toute la planète, cloue les avions au
sol, provoque l’annulation de cen-
taines de salons professionnels,
plombe le secteur du tourisme. «Le

système international se bloque, sous
l’impulsion de la Chine, dont l’acti-
vité s’est vraiment ralentie, explique
Philippe Waechter, directeur de la
recherche économique chez Ostrum
Asset Management. On ne voit pas
très bien quelle pourrait être, dans
les semaines qui viennent, la source
d’une impulsion positive sur l’acti-
vité économique. On est bord d’une
récession globale.»

SAUVE-QUI-PEUT
Même si la Chine redémarre très
doucement, le choc négatif va conti-
nuer à se propager dans le reste du
monde. Lundi, quinze minutes
après son ouverture, l’indice de la
Bourse de New York, le Dow Jones,
cédait plus de 7 %. Les échanges
sur le S & P 500 ont été interrompus
après une baisse de plus de 7 %. Et
rien n’y a fait. Pas même l’activation
momentanée des fameux coupe-cir-
cuit boursiers (arrêt des cotations)

censée calmer les esprits grégaires,
un système mis en place après l’ef-
fondrement de Wall Street un
certain lundi noir d’octobre 1987,
lorsque l’indice plongeait de 22 %.
Des centaines de milliards de dol-
lars se sont volatilisés à New York et
ailleurs. Certes, jusqu’ici toutes les
incertitudes liées aux effets du coro-
navirus sur l’économie mondiale
n’étaient pas pour rassurer les spé-
culateurs et les investisseurs en ac-
tions, obligations et autres produits
financiers. En fin de semaine der-
nière, beaucoup hésitaient encore
entre se délester d’une grosse partie
de leurs portefeuilles boursiers
et faire le dos rond dans l’espoir
qu’une coordination prochaine
entre Etats et Banques centrales
vienne siffler la fin de l’incertitude.
Mais l’hésitation a cédé la place au
sauve-qui-peut quasi général.
L’équation bourso-financière mon-
diale s’est en fait singulièrement

compliquée en fin de semaine der-
nière, lorsque les 14 pays membres
de l’Opep se sont retrouvés dans la
capitale autrichienne. La scène se
déroule jeudi à Vienne, à l’entrée du
siège de l’Organisation des pays ex-
portateurs de pétrole. Des ministres
viennent tout juste de débarquer
d’Algérie, de Guinée-Equatoriale,
de république du Congo, du Vene-

zuela... Tous sont venus à la de-
mande de l’Arabie Saoudite. A l’en-
trée du bâtiment, ils se soumettent
aux contrôles de température, évi-
tent les accolades, les embrassades
et font des tentatives de footshake.
Avant d’entrer dans le vif du sujet,
ils se rencontrent en petits comités.
La Russie est là elle aussi, flanquée
de ses neuf pays alliés producteurs
de pétrole et non-membres de
l’Opep. Moscou a envoyé son mi -
nistre de l’Energie, Alexander No-
vak. Dans la grande salle qui abrite
les séances plénières, les discus-
sions peuvent commencer.

GUERRE DES PRIX
«Nous savions que les discussions
allaient être compliquées», confie le
responsable d’une salle de marché
qui a shorté (vendu) dès jeudi les va-
leurs du secteur pétrolier, persuadé
du pire. L’ordre du jour est relative-
ment simple. S’entendre à 24 pays

Par
VITTORIO DE FILIPPIS

ÉDITORIAL


Par
LAURENT JOFFRIN

Incendie


ÉVÉNEMENT


On le sait, les marchés financiers
ne sont pas des modèles de séré-
nité. Ils viennent d’en donner
une nouvelle preuve. Alors que
la population, en dehors de quel-
ques manifestations de panique
localisées, affronte avec un cer-
tain sang-froid l’épidémie de co-
ronavirus, les Bourses mondiales
ont plongé verticalement lundi
matin à l’ouverture. Une chute

qui porte un nom redouté dans
l’histoire économique : le krach,
de sinistre mémoire. On croit que
la panique vient des citoyens me-
nacés dans leur santé : elle vient
des boursiers menacés dans
leurs bénéfices. La crainte d’une
récession conjuguée à la baisse
du prix du pétrole en sont la
cause immédiate. Or l’épidémie,
si elle dure quelques semaines,
ou même quelques mois, sera
immanquablement suivie par un
rattrapage qui effacera une partie
des pertes de l’économie réelle.
Qu’à cela ne tienne : les spécula-
teurs sont comme les moineaux.
Au moindre bruit, ils s’égaillent.
Dans le doute, ils ne s’abstien-
nent pas, ils vendent. Ils aggra-
vent ainsi des risques qui sont
bien réels. Le ralentissement
de l’activité engendré par les

précautions antivirus obère
la croissance. Il fait craindre
une chute de la consommation,
un recul de l’investissement,
un arrêt de l’embauche. D’autant
que cette fièvre atteint un corps
fragile : l’économie mondiale
vit sur une montagne de dettes,
héritées de la précédente
récession, celle de 2008.
Pour éteindre l’incendie de l’épo-
que, les Banques centrales ont
noyé l’économie sous un déluge
de liquidités. Les banques
peuvent-elles ouvrir plus
les vannes du crédit? Difficile à
imaginer. Mais si elles décident
de serrer la vis, la correction sera
sévère. On espère, au minimum,
une coordination européenne
rapide et efficace. Le moins
qu’on puisse dire, c’est qu’elle
se fait attendre.•

Coronavirus


Alerte rouge


et lundi noir


Face à la propagation de l’épidémie et après une baisse


spectaculaire des prix du pétrole, les Bourses mondiales


se sont effondrées les unes après les autres.


Une récession globale est désormais redoutée.


«Le système


international
se bloque, sous

l’impulsion


de la Chine, dont


l’activité s’est


vraiment ralentie.»
Philippe Waechter
d’Ostrum Asset Management
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