Libération Mardi 10 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5
Le système productif de
Vénétie peut-il tenir long-
temps si la quarantaine
se prolonge?
C’est une perspective à laquelle
je ne veux pas penser, d’autant
qu’il n’y a qu’une partie de la
Vénétie qui est aujourd’hui en
quarantaine. Une grande por-
tion du reste de la région tra-
vaille et produit à peu près
dans des conditions normales.
Je ne suis pas précisément en
mesure de dire quel sera l’effet
sur la croissance car ce sont
des chiffres qui reflètent une
moyenne. Or la situation dans
la région est contrastée, en
taches de léopard. Je suis tout
de même optimiste, notam-
ment car la Chine a vite ab-
sorbé la crise du Sras en 2003
et est repartie avec des forts
taux de croissance. Cette fois-ci
aussi, les signaux en prove-
nance de Chine nous indiquent
que les sociétés sur place sont
en train de redémarrer. La fi-
liale de mon groupe est repar-
tie à 100 %. Nous devons af-
fronter une urgence sanitaire
et la situation des Bourses
peut nous faire craindre une
crise beaucoup plus profonde.
Mais je veux rester confiant,
car l’économie de Vénétie est
fondée sur une industrie saine
et solide.
Recueilli par ÉRIC JOZSEF
Correspondant à Rome
(90 % pour le vaccin contre la rougeole) est
concentrée en Inde. Cette mondialisation de
la production s’est même accélérée depuis
l’épisode du Sras en 2003, alors qu’il aurait
fallu en tirer les leçons.
«Test de souveraineté». La France espère
donc que ses partenaires, lors du sommet,
accepteront de coordonner leurs mesures de
protection, mettront le paquet pour financer
la recherche d’un vaccin qualifié de «test de
souveraineté européenne» et ouvriront les
cordons de la bourse pour aider les régions les
plus touchées. Elle souhaite aussi que la
«question industrielle» soit traitée : «Il faut,
pour les prochaines crises, développer les in-
dustries européennes afin de ne plus dépendre
de la Chine ou de l’Inde, explique-t-on à l’Ely-
sée. Il ne s’agit pas de lancer un Gosplan sovié-
tique, mais on doit être capable de gérer au
niveau européen la démondialisation qui
s’annonce.»
La crise du Covid-19, après celle des migrants
et le Brexit, va-t-elle réveiller les Européens,
qui semblent avoir abandonné toute ambition
collective, comme l’a montré leur échec sur
le budget communautaire 2021-2027? Pour
l’Elysée, «ça peut être une opportunité de re-
lancer la machine. Les peuples veulent plus
d’Europe car ils voient bien que les réponses
nationales sont insuffisantes».
JEAN QUATREMER
Correspondant à Bruxelles
Cette crise a fait prendre conscience aux
Vingt-Sept que, soixante-dix ans après le
début de la construction communautaire,
il n’y avait aucune possibilité de pilotage
européen, et bien sûr aucun stock commun
de médicaments ou d’équipements de pro-
tection... De même, il a fallu cette crise pour
qu’ils se rappellent à quel point ils étaient
dépendants des pays tiers. Ainsi, 80 % des
principes actifs des médicaments vendus
en Europe et 40 % des médicaments finis
proviennent de Chine (pour les deux tiers)
et d’Inde (pour un tiers). Ces deux pays pro-
duisent même 60 % du paracétamol mondial,
90 % de la pénicilline, 50 % de l’ibuprofène.
Et 60 % de la production mondiale de vaccins
D
epuis dimanche, les
trois provinces de Pa-
doue, Trévise et Venise
ont été placées en quarantaine
par le gouvernement italien.
Président du groupe Carraro
(systèmes de transmission) et
de l’organisation patronale
Confindustria en Vénétie, En-
rico Carraro analyse les ré -
percussions de la crise du coro-
navirus sur l’économie de la
région qui, avec la Lombardie,
assure 30 % du Produit natio-
nal italien.
L’économie de Vénétie est-
elle déjà fortement touchée
par la mise en quarantaine
d’une partie de la région?
La situation est très compli-
quée car l’épidémie de corona-
virus est intervenue à un mo-
ment où l’économie italienne
était déjà en difficulté. Quant
aux entreprises de Vénétie
qui exportent chaque année
pour 1 milliard d’euros vers la
Chine, principalement dans le
Devant le Colisée,
à Rome, dimanche.
PHOTO A. FALCONE.
LA PRESSE. AP
LES FAITS DU JOUR
n Le seuil des 110 000 personnes
contaminées a été franchi dans
le monde, selon l’Organisation
mondiale de la santé, qui précise
qu’en Chine, sur les 80 000 cas
rapportés, 70 % ont guéri.
n La barre symbolique
des 500 morts du coronavirus a été
franchie lundi en Europe. Et parmi
les pays du Vieux Continent, la
situation italienne demeure la plus
critique : en vingt-quatre heures,
97 décès supplémentaires ont été
enregistrés par les autorités sanitaires,
portant à 463 le nombre total
de personnes qui ont succombé au
Covid-19 depuis son apparition dans
la péninsule. Le gouvernement italien,
qui a mis en quarantaine 15 millions
d’habitants vivant dans trois régions
du nord du pays pour tenter
d’endiguer la propagation du virus,
a décidé lundi de fermer également
toutes les stations de ski du pays.
n En France, la situation semble
pour l’instant un peu moins
alarmante mais l’épidémie
progresse de jour en jour et de plus
en plus vite. 1 412 cas étaient
dénombrés lundi soir, selon le
ministère de la Santé, dont cinq
députés : Sylvie Tolmont (PS), Michèle
Victory (PS), Guillaume Vuilletet
(LREM), Elisabeth Toutut-Picard
(LREM) et Jean-Luc Reitzer (LR),
hospitalisé dans un service
de réanimation à Mulhouse. Le
ministre de la Culture, Franck Riester,
a également été testé positif mais il se
dit «en forme», a annoncé son cabinet.
Le nombre de victimes est aussi
à la hausse, avec au moins 25 décès.
n Pour limiter la contamination,
le gouvernement a interdit
les rassemblements de
plus de 1 000 personnes, dont les
manifestations sportives (comme
le match de Ligue des champions
PSG-Dortmund, qui se jouera à huis
clos mercredi), les spectacles et
les grands meetings de campagne.
Anne Hidalgo a ainsi annulé sa
réunion de fin de campagne du
premier tour, prévu jeudi soir, dans
le XIe arrondissement. Mardi matin,
Edouard Philippe recevra tour à
tour à Matignon plusieurs ministres
(Intérieur, Santé, Transports,
Education nationale...) pour évaluer
la situation et les mesures prises.
Cela représente un chiffre d’af-
faires de 180 milliards d’euros.
L’industrie touristique est
totalement à l’arrêt, et presque
toutes les réser -
vations pour l’été
prochain ont été
annulées. Pour
certaines socié-
tés, les domma-
ges sont irrépara-
bles. L’autre gros
problème, c’est
l ’ i m p o s s i b i l i té
pour nos techni-
ciens et nos com-
merciaux de se déplacer à
l’étranger. Enfin, le danger se-
rait de voir après l’Italie, l’Alle-
magne, puis la France, puis les
Etats-Unis se fermer.
La crise a-t-elle déjà des
conséquences en termes
d’emploi?
Certaines entreprises ont ra-
lenti leur production et ont dû
avoir recours à la cassa integra-
zione [sorte de chômage partiel,
ndlr]. On espère que ce ne sont
que des mesures temporaires.
Il est trop tôt pour calculer le
manque à gagner économique
provoqué par la crise. L’ur-
gence est de trouver de l’argent
pour les toutes petites entre-
prises qui ont souvent des pro-
blèmes de trésorerie et de re-
construire, dès à présent, la
réputation de nos produits à
l’étranger.
luxe et le mobilier, elles avaient
déjà beaucoup souffert de l’ex-
plosion de la maladie dans le
Hubei. D’autres sociétés, dans
l’industrie mé -
canique ou élec-
tronique, avaient
au contraire déjà
senti le gronde-
ment de la crise
par manque de
pièces d’assem-
blage produites
en Chine. Au-
jourd’hui, avec
l’arrivée du virus
en Italie, nous devons faire
face à des scénarios auxquels
nous n’étions pas préparés.
Nous avons passé un week-end
de terreur après l’annonce de la
mise en quarantaine de cer-
tains territoires car nous ne
savions pas comment le dis -
positif allait fonctionner. Il y
a encore beaucoup de points
critiques, mais nous verrons
comment les affronter. L’es-
sentiel, c’est que la plupart des
entreprises ont pu lundi matin
ouvrir normalement leurs
portes. Les marchandises
entrent et sortent des usines
normalement.
Quels sont les secteurs par-
ticulièrement affectés par
la crise?
Sans aucun doute le tourisme.
Chaque année, la Vénétie ac-
cueille 70 millions de visiteurs.
INTERVIEW
DR
«La plupart des sociétés de
Vénétie ont pu ouvrir lundi»
Après un «week-end
de terreur» avec
la quarantaine
imposée dans le nord
de l’Italie, le chef
du patronat dans
la région reste plutôt
optimiste, sauf si
la situation perdure.
L’Union européenne est
largement dépourvue
de moyens d’action,
la santé n’étant,
pour l’essentiel, qu’une
«compétence d’appui»
des Etats. En clair,
elle ne peut agir
que si les capitales
le lui demandent.